Var-Matin (La Seyne / Sanary)

Livraison, Internet, occasion : le commerce chamboulé

Les Français ont moins dépensé pendant le confinemen­t. Forcément. Ils devraient se lâcher à Noël, à moins que les habitudes n’aient changé. Précisions avec un expert de la consommati­on Un week-end de plus, c’est essentiel dans une période comme celle-là.

- PROPOS RECUEILLIS PAR FRANCK LECLERC fleclerc@nicematin.fr

Jacques Creyssel est le patron de la FCD (Fédération du Commerce et de la Distributi­on), qui regroupe la plupart des enseignes de la grande distributi­on. Il analyse le contexte si particulie­r de ces fêtes de fin d’année, placées sous le double signe des contrainte­s de la Covid-19 et de l’envie généralisé­e de « se lâcher ».

Le budget des Français est à la hausse. Le commerce va pouvoir respirer ?

Les enquêtes montrent effectivem­ent que les consommate­urs veulent plutôt augmenter leur budget de Noël. Mais on voit par ailleurs qu’ils sont, pour le moment, réticents, d’une manière générale, à consommer davantage. L’optique consistant à épargner plus qu’auparavant. Depuis le mois de mars, ils ont accumulé cent milliards d’épargne.

Le sujet, c’est donc de savoir à partir de quel moment ils vont transforme­r cette épargne en consommati­on, quel qu’en soit le type : logement, voiture ou achats plus quotidiens. La réouvertur­e des commerces est évidemment un point positif, l’annonce des vaccins en est un autre.

L’annonce des vaccins, un point positif pour le commerce ? Malgré les réticences exprimées ? Ces réticences sont normales, puisque l’on vient juste d’annoncer le résultat des recherches ; les Français ont le sentiment que tout cela va très vite. Mais dès qu’ils seront rassurés, c’est-à-dire aussitôt que les vaccins se mettront en place et se généralise­ront, ce sera le signe que la pandémie s’arrêtera progressiv­ement et que les projets repartiron­t. On voit bien que c’est ce qui va déclencher le changement de comporteme­nt des ménages.

Une épargne pour l’avenir ou parce que l’on n’a pas pu dépenser ?

Les deux. Il y a, naturellem­ent, tout ce que l’on n’a pas dépensé au restaurant, par exemple, bien que cela ne se soit pas traduit par une augmentati­on très forte des achats dans les magasins alimentair­es.

En mars et avril, le budget alimentair­e des Français, tout compris, a même baissé de

 %. Donc, on ne dépense pas ce que l’on a eu l’occasion d’économiser. Par ailleurs, les Français sont inquiets pour une raison très simple : ils voient bien que leur emploi est éventuelle­ment menacé, que le pouvoir d’achat global pose des problèmes, et ils s’inquiètent de hausses futures des impôts pour financer toutes les aides. Dans ces cas-là, traditionn­ellement, cela les conduit à épargner plus.

Un mois pour rattraper le temps perdu : comment le commerce fait-il face ?

La situation est particuliè­rement tendue car c’est la troisième année de suite qu’il y a des difficulté­s. Les Gilets jaunes il y a deux ans, les manifestat­ions contre la réforme des retraites qui ont bloqué des centres-villes l’an dernier et la pandémie aujourd’hui. Beaucoup espèrent que décembre leur permettra non pas de compenser, mais au moins de rattraper une partie du chiffre d’affaires perdu. C’est le mois le plus important pour les commerces, particuliè­rement pour les magasins de jouets, de livres, de parfums, mais aussi pour tous les produits nonaliment­aires dans les grandes surfaces.

Raison pour laquelle nous nous sommes battus pour que la réouvertur­e ait lieu dès hier : un week-end de plus, c’est essentiel dans une période comme cellelà.

Qu’attendre pour les fêtes ?

On peut penser que, par définition, il y aura moins de grandes fêtes familiales. De ce point de vue, il y a une grosse inquiétude chez les producteur­s de chapons, d’huîtres ou de foie gras. On peut espérer, en revanche, que le budget cadeaux sera en progressio­n car les gens auront envie de se faire plaisir après tout ce qu’il s’est passé.

Mais il faut garder à l’esprit que, pour de nombreux Français, la situation reste très difficile. Beaucoup sont encore en chômage partiel, ou l’ont vécu durant une longue période. Il faut aussi penser à tous les salariés qui dépendent du secteur du tourisme et qui, aujourd’hui, sont très largement à l’arrêt. Tous ceux-là vont devoir continuer à se restreindr­e, malheureus­ement.

Cette déflagrati­on aura-t-elle changé nos habitudes de consommati­on ?

Oui, sûrement. Mais plutôt dans l’amplificat­ion de mouvements que l’on constatait avant. On voit que l’e-commerce se développe de manière très forte, avec une nouveauté : le drive et les livraisons en matière alimentair­e avec des progressio­ns de  à  % sur une semaine actuelle, par rapport à l’année précédente. On constate aussi, pour le moment, que des secteurs déjà éprouvés souffrent encore plus, comme l’habillemen­t, le textile. Et des mouvements anciens autour de l’achat de vêtements d’occasion s’amplifient également.

Offrir un habit d’occasion n’est plus un tabou ?

Le secteur du textile est marqué par le fait que les Français consacrent moins d’argent, globalemen­t, à leur habillemen­t.

Ce qui marche bien, c’est soit le luxe, soit le bas de gamme. Ou l’occasion : une volonté de moins gâcher. En offrira-t-on ? Je ne peux pas le prévoir, mais il est certain qu’il y a une augmentati­on forte.

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Se fera-t-on livrer le réveillon ? On voit en tout cas qu’il y a un développem­ent extrêmemen­t fort des livraisons, que ce soit à partir des restaurant­s ou des magasins. Et beaucoup de ceux qui avaient l’intention d’aller au restaurant pour les fêtes passeront par ce biais, s’ils n’ont pas envie de faire la cuisine eux-mêmes.

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(Photo DR) Une situation « particuliè­rement tendue » après trois ans de crise : Gilets jaunes, grèves et Covid-, souligne Jacques Creyssel.

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