Livraison, Internet, occasion : le commerce chamboulé
Les Français ont moins dépensé pendant le confinement. Forcément. Ils devraient se lâcher à Noël, à moins que les habitudes n’aient changé. Précisions avec un expert de la consommation Un week-end de plus, c’est essentiel dans une période comme celle-là.
Jacques Creyssel est le patron de la FCD (Fédération du Commerce et de la Distribution), qui regroupe la plupart des enseignes de la grande distribution. Il analyse le contexte si particulier de ces fêtes de fin d’année, placées sous le double signe des contraintes de la Covid-19 et de l’envie généralisée de « se lâcher ».
Le budget des Français est à la hausse. Le commerce va pouvoir respirer ?
Les enquêtes montrent effectivement que les consommateurs veulent plutôt augmenter leur budget de Noël. Mais on voit par ailleurs qu’ils sont, pour le moment, réticents, d’une manière générale, à consommer davantage. L’optique consistant à épargner plus qu’auparavant. Depuis le mois de mars, ils ont accumulé cent milliards d’épargne.
Le sujet, c’est donc de savoir à partir de quel moment ils vont transformer cette épargne en consommation, quel qu’en soit le type : logement, voiture ou achats plus quotidiens. La réouverture des commerces est évidemment un point positif, l’annonce des vaccins en est un autre.
L’annonce des vaccins, un point positif pour le commerce ? Malgré les réticences exprimées ? Ces réticences sont normales, puisque l’on vient juste d’annoncer le résultat des recherches ; les Français ont le sentiment que tout cela va très vite. Mais dès qu’ils seront rassurés, c’est-à-dire aussitôt que les vaccins se mettront en place et se généraliseront, ce sera le signe que la pandémie s’arrêtera progressivement et que les projets repartiront. On voit bien que c’est ce qui va déclencher le changement de comportement des ménages.
Une épargne pour l’avenir ou parce que l’on n’a pas pu dépenser ?
Les deux. Il y a, naturellement, tout ce que l’on n’a pas dépensé au restaurant, par exemple, bien que cela ne se soit pas traduit par une augmentation très forte des achats dans les magasins alimentaires.
En mars et avril, le budget alimentaire des Français, tout compris, a même baissé de
%. Donc, on ne dépense pas ce que l’on a eu l’occasion d’économiser. Par ailleurs, les Français sont inquiets pour une raison très simple : ils voient bien que leur emploi est éventuellement menacé, que le pouvoir d’achat global pose des problèmes, et ils s’inquiètent de hausses futures des impôts pour financer toutes les aides. Dans ces cas-là, traditionnellement, cela les conduit à épargner plus.
Un mois pour rattraper le temps perdu : comment le commerce fait-il face ?
La situation est particulièrement tendue car c’est la troisième année de suite qu’il y a des difficultés. Les Gilets jaunes il y a deux ans, les manifestations contre la réforme des retraites qui ont bloqué des centres-villes l’an dernier et la pandémie aujourd’hui. Beaucoup espèrent que décembre leur permettra non pas de compenser, mais au moins de rattraper une partie du chiffre d’affaires perdu. C’est le mois le plus important pour les commerces, particulièrement pour les magasins de jouets, de livres, de parfums, mais aussi pour tous les produits nonalimentaires dans les grandes surfaces.
Raison pour laquelle nous nous sommes battus pour que la réouverture ait lieu dès hier : un week-end de plus, c’est essentiel dans une période comme cellelà.
Qu’attendre pour les fêtes ?
On peut penser que, par définition, il y aura moins de grandes fêtes familiales. De ce point de vue, il y a une grosse inquiétude chez les producteurs de chapons, d’huîtres ou de foie gras. On peut espérer, en revanche, que le budget cadeaux sera en progression car les gens auront envie de se faire plaisir après tout ce qu’il s’est passé.
Mais il faut garder à l’esprit que, pour de nombreux Français, la situation reste très difficile. Beaucoup sont encore en chômage partiel, ou l’ont vécu durant une longue période. Il faut aussi penser à tous les salariés qui dépendent du secteur du tourisme et qui, aujourd’hui, sont très largement à l’arrêt. Tous ceux-là vont devoir continuer à se restreindre, malheureusement.
Cette déflagration aura-t-elle changé nos habitudes de consommation ?
Oui, sûrement. Mais plutôt dans l’amplification de mouvements que l’on constatait avant. On voit que l’e-commerce se développe de manière très forte, avec une nouveauté : le drive et les livraisons en matière alimentaire avec des progressions de à % sur une semaine actuelle, par rapport à l’année précédente. On constate aussi, pour le moment, que des secteurs déjà éprouvés souffrent encore plus, comme l’habillement, le textile. Et des mouvements anciens autour de l’achat de vêtements d’occasion s’amplifient également.
Offrir un habit d’occasion n’est plus un tabou ?
Le secteur du textile est marqué par le fait que les Français consacrent moins d’argent, globalement, à leur habillement.
Ce qui marche bien, c’est soit le luxe, soit le bas de gamme. Ou l’occasion : une volonté de moins gâcher. En offrira-t-on ? Je ne peux pas le prévoir, mais il est certain qu’il y a une augmentation forte.
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Se fera-t-on livrer le réveillon ? On voit en tout cas qu’il y a un développement extrêmement fort des livraisons, que ce soit à partir des restaurants ou des magasins. Et beaucoup de ceux qui avaient l’intention d’aller au restaurant pour les fêtes passeront par ce biais, s’ils n’ont pas envie de faire la cuisine eux-mêmes.