La semaine de Claude Weill
Lundi
Ouverture du procès Sarkozy. Un ancien président de la République en correctionnelle pour « corruption active », l’événement est inédit. On aurait pu supposer qu’il suscite passions et curiosité. Bizarrement, on a l’impression que tout le monde s’en fiche. A part les chroniqueurs judiciaires et les prévenus, bien sûr… L’ancienneté des faits, sans doute (sept ans !), sur quoi tout a été dit. Bref, ça sent le réchauffé. Pour que la machine médiatico-judiciaire s’emballe, il faut qu’un puissant de l’heure soit dans le viseur.
Un « ex », ce n’est pas pareil. Remarque incidente, au moment où il est question de défense des libertés. Ecouter les échanges entre un client et son avocat constitue à nos yeux une grave atteinte aux droits de la défense – même si la Cour de Cassation a validé l’interception des discussions entre Nicolas Sarkozy/Paul Bismuth et Me Herzog, pièces sur lesquelles repose tout le dossier. Lorsqu’il exerçait comme avocat, Me Dupond-Moretti était très critique envers ces pratiques. Peu de chances qu’il ait changé d’avis.
Mardi
Partie d’un site musulman britannique, l’infox a fait le tour du monde. La France d’E. Macron aurait décidé de ficher et immatriculer les enfants musulmans. Tout part d’une fausse interprétation de la loi « Séparatismes » visant à lutter contre la déscolarisation. Amplifiée et déformée, la rumeur va embraser le Net, de la presse « politically correct » américaine jusqu’au Pakistan, où une ministre évoquera les méthodes du régime nazi.
Suivront réfutations et excuses embarrassées. Le mal est fait.
On sait qu’il existe une conception de la laïcité qui est propre à la France et qui, vue du monde anglo-saxon, a fortiori musulman, suscite souvent l’incompréhension. C’est ainsi. On ne convertira pas le monde à notre façon de voir. Qu’au moins nos confrères américains évitent de traiter d’un sujet auquel ils ne comprennent rien. L’affaire est trop grave. Leur ignorance
et leur malveillance peuvent tuer.
Mercredi
Mort de Maradona. De tous les personnages de la mythologie contemporaine, peut-être le plus complexe à analyser. Diego ange et démon, génie et tricheur, milliardaire aux manières de gamin des rues. Diego, ses frasques, ses addictions, ses mauvaises fréquentations. Sur l’homme, tout a été dit. Restera pour les historiens à se pencher sur le phénomène social, culturel, quasi religieux, qu’il a engendré. A Naples, dans l’antique artère Spaccanapoli, devant le café où le chroniqueur aime à prendre son expresso du matin, se trouve un petit oratoire tout semblable à ceux que la ferveur populaire voue à la Sainte-Vierge. Quelques photos, une coupe, et dans un cadre doré, « un véritable cheveu de Maradona ».
Une relique païenne. Presqu’aussi vénérée que l’ampoule renfermant le sang séché de San Gennaro, qui trois fois l’an miraculeusement se liquéfie, promettant à Naples toutes sortes de félicités.
Diego n’a-t-il pas propulsé Naples en tête du scudetto ?
Cela aussi tenait du miracle !
Jeudi
C’est une vidéo de ’ ’’, mise en ligne par le site Loopsider. Réalisée à partir d’images de vidéosurveillance, elle montre un groupe de policiers tabasser avec une rage folle un homme, producteur de musique, nommé Michel Zecler. Les faits ont eu lieu à Paris e et remontent au samedi . L’indignation est immédiate et unanime. Le ministre de l’intérieur annonce dans l’heure que les trois policiers en cause sont suspendus. L’IGPN a été saisie dès le mardi, soit deux jours avant la diffusion de la vidéo. Peu importe… Chacun comprend que cette bavure de trop, à ce moment précis, va cristalliser la mobilisation contre la loi « liberticide ».
Les « violences policières » ont désormais un visage : celui, tuméfié et ensanglanté, de Michel Zecler. La bataille de l’article ouvre une crise politique.
Vendredi
De Charybde en Scylla. Pour desserrer l’étau, Jean Castex a annoncé qu’une commission indépendante serait chargée de proposer une
« nouvelle rédaction » de l’article
. Cela sent le classement sans suite. Las ! Cette fois, ce sont les députés qui se récrient, LREM compris.
Et les sénateurs donc ! On bafoue les prérogatives du Parlement ! Nouveau pas de clerc de l’exécutif. La commission devra seulement « nourrir la réflexion du gouvernement ». En politique, on ne sort souvent d’un piège que pour tomber dans un autre.
Samedi
Comme prévu, la « marche des libertés » est un succès. Tout l’éventail des opposants à la loi « Sécurité globale » est là, des partis de gauche aux ultras, en passant par les « gilets jaunes » et les militants des droits de l’homme.
Drôle de patchwork. Car les casseurs aussi sont de la partie, qui ne manquent jamais une occasion de se greffer sur les mouvements populaires pour brûler, casser, agresser les forces de l’ordre. Défenseurs des libertés, eux ? Cette stratégie de la tension a un objectif : désarmer l’Etat. Elle place le pouvoir devant une redoutable alternative : faire usage de la force, et se voir accusé par les opposants de gauche et la presse de dérive liberticide.
Ou baisser la garde, et être accusé par les opposants de droite et la majorité silencieuse d’impuissance et d’incapacité à assurer la tranquillité publique. Ou pire, les deux en même temps.
« Diego ange et démon, génie et tricheur, milliardaire aux manières de gamin des rues. »