Var-Matin (La Seyne / Sanary)

Bouvard : « L’humour est une définition de l’esprit »

A bientôt 91 ans, l’infatigabl­e chroniqueu­r publie Des grumeaux dans la passoire (Plon) nouveau livre d’anecdotes croustilla­ntes sur les personnali­tés qui ont jalonné sa longue vie

- PROPOS RECUEILLIS PAR ALEXANDRE CARINI acarini@nicematin.fr

Dans son bureau vitré, avec terrasse sur la Californie cannoise qu’il a si longtemps habitée, il nous accueille avec une cordialité jamais démentie, pour ses « confrères » en particulie­r. S’enquiert de votre quotidien, pour lequel il s’est fendu d’un billet durant dix-sept années : « J’ai eu grand plaisir à y travailler, parce que je pouvais rencontrer des lecteurs, alors que dans la presse nationale, on ne croise personne, sourit celui qui fut aussi directeur de France Soir. À un feu rouge à Cannes, il y avait toujours un type pour me dire qu’il avait lu mon billet dans Nice-Matin. » À ses pieds, Toutou, le petit Yorkshire dont il s’est entiché, fidèle compagnon de ses vieux jours. Bien sûr, la démarche n’est plus aussi leste, et le corps s’anime un peu au ralenti. Mais à bientôt 91 ans (le 6 décembre), Philippe Bouvard garde l’oeil pétillant du garnement et l’esprit vif du chroniqueu­r de notre société, dont la plume peut être aussi caustique que son regard est acéré. Joueur de roulette sur la Croisette, celui que d’aucuns ont jadis prédit «pas doué pour le journalism­e » garde surtout sa profession en addiction. Infatigabl­e bourreau de travail (encore RTL, Azur TV, VSD), cet «amnésique » à la mémoire d’éléphant publie un 67e livre (!), Des grumeaux dans la passoire, où les anecdotes croustille­nt comme des miettes. Une savoureuse galerie de portraits dont se dégage en filigrane le sien. Reflet d’une époque, proche de l’épopée. Présidents, stars du cinéma, artistes, vedettes et autres grosses têtes, son propre théâtre de Bouvard. Comédie humaine, dont il préfère toujours en rire. Et l’on jubile à évoquer avec lui ce qui sera peut-être son jubilé…

Des grumeaux dans la passoire,

vos souvenirs cinquante ans après

Vous avez pris votre temps, mais avec de la suite dans les idées ? Depuis un demi-siècle, j’avais pas mal de choses à raconter. Et puis quand je ne travaille pas, je m’ennuie ! Ces  portraits, c’est en réalité une balade dans ma vie, qui est quand même longue !

Un oursin dans le caviar.

De Dali à Pagnol, de Zitrone à Bern, de Bardot à Delon ou d’Auriol à Macron, une personnali­té ressort ?

Mon modèle et maître, Pierre Lazareff, un journalist­e de génie, aussi dépourvu de diplômes que moi, qui me suis assis plus tard dans son fauteuil de directeur de France Soir. Un petit bonhomme incroyable, rouquin à l’allure négligée dans un vieux pull-over et pantalon élimé, mais il était rayonnant d’intelligen­ce et parlait au rythme de sa pensée.

Il y a ce conseil de Michel Audiard :

« Tu écris n’importe quoi, pourvu que ce soit un peu drôle ».

L’humour sauve de tout ? Ah oui, mais je n’écris pas n’importe quoi ! C’est valable au cinéma, mais pas dans la presse, même si la fantaisie n’y est pas interdite. L’humour, c’est une définition de l’esprit, et j’ai toujours mis en avant le côté drôle d’un sujet dramatique.

Avec Brigitte Bardot, ce fut

« je t’aime moi non plus ».

Le tout-puissant patron du Figaro m’avait dit : « si vous voulez être connu, il faut vous moquer des gens plus connus que vous ».

J’ai longtemps raillé Brigitte Bardot. Et puis un jour, j’ai écrit que j’avais beaucoup de considérat­ion car cela faisait cinquante ans qu’elle réussissai­t à m’esquiver.

Ça l’a fait rire, je l’ai invitée aux Grosses Têtes, et nous sommes tombés dans les bras.

Ce fut tardif, mais très agréable.

Amis, jusque dans l’amour des animaux !

Comme BB, j’aime tous les chiens, surtout le mien ! Toutou me témoigne une fidélité, une tendresse, que je n’ai pas toujours connue chez les bipèdes.

Avec Maurice Bessy, délégué général du Festival de Cannes, les  coups !

C’était un farceur, et j’avais le goût du canular. On parcourait le Carlton à la recherche d’une starlette, et il y en avait beaucoup. On lui disait que pour faire du cinéma, la production exigeait une visite médicale. Dans une chambre, trois complices en blouse la déshabilla­ient, l’auscultaie­nt, avant de la faire poser avec une rose sur sa partie postérieur­e. Avec le recul, j’en ai honte, mais je me suis tellement amusé !

Pour Jacques Brel en revanche, vous avez préféré perdre un scoop plutôt qu’un ami...

Je suis devenu ami avec beaucoup de personnali­tés, parce que pour les interviewe­r, je les invitais chez moi à déjeuner. Avant son départ pour les Marquises, Brel m’a confié : « Je suis très malade, je vais finir ma vie à l’autre bout du monde et l’on ne me reverra plus ». Je n’ai pas voulu rendre public ce qui n’était peut-être que déclaratio­n d’un soir. Mais sa résolution était prise et d’autres médias l’ont dévoilée. Comme quoi, il ne faut pas être trop sentimenta­l dans ce métier.

Et avec les Présidents ?

René Coty m’avait adopté parce que j’étais le benjamin de la presse qui avait assisté au Congrès de Versailles où il fut élu à la surprise générale. Je suis allé prévenir sa femme, et quand je lui ai demandé ce qu’elle allait faire, elle m’a répondu : «Une tarte!» . De Gaulle m’intimidait tellement que les deux fois où je devais lui être présenté, j’ai tourné les talons ! Hollande, oh non, je ne l’ai jamais vu, rien. J’ai eu une relation assez privilégié­e avec Mitterrand, bien que n’étant pas catalogué à gauche. Je l’ai d’abord détesté mais dans une chronique du Figaro, j’avais écrit par honnêteté qu’il avait plutôt bien fait son métier. Il m’a invité à l’Élysée et nous nous sommes trouvés, comme fans littéraire­s de Jules Renard. Mais il ne fallait pas parler politique ! Je suis très copain avec Sarkozy, et s’il est dédouané dans son affaire de corruption, je pense qu’il peut être réélu triomphale­ment. S’il ne se représente pas, je ne vois pas qui peut faire peur à Macron.

Qu’en pensez-vous justement ? J’ai l’admiration d’un Bac- pour la trajectoir­e du surdoué. J’ai apprécié la façon dont il a enterré Aznavour ou Daniel Cordier, il est toujours trop long quand il prend la parole mais il s’en tire pas mal. En revanche, il est complèteme­nt dépassé et pas toujours bien entouré. Sa dernière trouvaille, ouvrir les stations de ski sans ski, n’est pas très habile…

Votre rapport à la Côte d’Azur ? Toute ma vie, tous les prétextes ont été bons pour y venir. La première fois, j’avais  ans et mes parents m’avaient offert un séjour pour mon anniversai­re. J’admirais la Croisette, et je vois le chauffeur d’une limousine ouvrir la porte pour un petit monsieur, maigre aux cheveux blancs. C’était Jean Cocteau, et je me suis longtemps imaginé les poètes ainsi. Moi aussi, j’ai eu un chauffeur durant cinquante-quatre ans, mais la presse était plus prospère.

Homme d’une époque révolue ou toujours de son temps ?

Je suis d’une époque révolue qui essaie d’être de son temps. Mais je ne sais pas me servir d’un ordinateur, et mes repères culturels disparaiss­ent.

‘‘ Dédouané, Sarkozy, peut être réélu”

Vous avez rompu des amitiés à la moindre allusion antisémite... Oui, et je n’ai pas pardonné à un leader d’extrême droite pour lequel la Shoah est un détail de l’histoire. Ma mère est juive, mon père catholique, mais je ne suis pas pratiquant, et agnostique.

‘‘ La mort, j’y pense de plus en plus... ”

La mort ?

C’est la fin de tout, et quand on ne croit à rien… Si j’y pense trop, c’est quelque chose qui me gâche un peu la vie. Comme je suis d’un naturel optimiste, je me dis que j’ai encore quelques belles années, pour profiter du meilleur sans penser au pire. Mon épitaphe :

« Il y est passé comme les autres ».

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(Photo Patrice Lapoirie)

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