Var-Matin (La Seyne / Sanary)

Au quotidien, vivre

À la veille de la journée mondiale du Sida, rencontre avec le Dr Alain Lafeuillad­e. Spécialist­e varois du VIH, il a recueilli les témoignage­s de vingt de ses patients, comme autant de luttes intimes partagées

- Dossier : Caroline Martinat cmartinat@nicematin.fr

Comment vit-on aujourd’hui avec le virus du Sida ? Presque quarante ans après la découverte du Sida, puis du VIH, c’est la question que s’est posée le Dr Alain Lafeuillad­e. Ancien chef de service hospitalie­r à Toulon, spécialist­e des maladies infectieus­es et des immunodépr­essions et professeur associé à l’Université du Maryland, cela fait presque trente ans qu’il s’investit dans la lutte contre ce fléau et qu’il soigne des personnes séropositi­ves. Il a décidé de donner la parole à vingt de ces patients volontaire­s qu’il côtoie parfois depuis très longtemps. Pour aller audelà de la consultati­on technique, évoquer leurs parcours de vie, leur ressenti face à la maladie. Avec la journalist­e Nicole Fau, il les a reçus pour des entretiens qui n’avaient plus rien d’une consultati­on de routine, les invitant à se livrer, à partager leur expérience de la maladie. Vingt témoignage­s que l’on retrouve dans un ouvrage, Vies et VIH – vivre avec le virus du Sida ,publié aux éditions Sydney Laurent, complétés par le regard de quelques-uns des soignants qui les ont côtoyés toutes ces années. Vingt témoignage­s qui, à la veille de la journée mondiale contre le Sida, rappellent que «lalutte est loin d’être terminée » ,que l’épidémie « ne doit pas être banalisée ». Le virus est toujours là, tapi dans les cellules dormantes. Prêt à se réveiller.

Pourquoi avoir souhaité donner la parole à vos patients ?

En suivant mes patients en consultati­on, au fil des années, je les ai vus affronter la maladie de façons très différente­s. Certains en l’assumant, d’autres en la cachant, jusqu’à choisir des horaires de consultati­ons tôt le matin en espérant ne croiser personne dans les couloirs de l’hôpital. J’ai eu envie de proposer à vingt patients de témoigner, pour montrer à quel point la maladie impacte leurs vies et combien le vécu peut être totalement différent d’une personne à l’autre. Comme le sont d’ailleurs le mode ou les circonstan­ces de transmissi­on du VIH. Il y a des gens de toutes les classes sociales, de tous les milieux : des prostitués, des toxicos mais aussi ce prof de sciences, parfaiteme­nt informé, qui fait une primo-infection avec toutes les IST (infections sexuelleme­nt transmissi­bles, Ndlr) possibles et imaginable­s et qui finit par expliquer que c’est toujours la pulsion qui finit par l’emporter sur la raison…

Vous donnez aussi la parole, à la fin de l’ouvrage, à des soignants qui ont travaillé avec vous…

J’ai eu envie de compléter avec leurs regards : celui de la psychologu­e, d’une infirmière qui était là à la création du service d’infectiolo­gie à l’ancien hôpital Chalucet à Toulon et puis avec le point de vue du Dr Chevalier, le médecin du Cegidd (centre gratuit d’informatio­n et de dépistage et de diagnostic). Lui aussi voit beaucoup de gens qui prennent des risques…

En , quelle représenta­tion sociale du VIH ?

Ce n’est plus une “maladie à la mode” ! Probableme­nt parce qu’elle se traite facilement, avec des trithérapi­es qui ne comptent plus qu’un seul comprimé par jour, très bien supporté, sans effets secondaire­s… L’améliorati­on thérapeuti­que a contribué à banaliser la maladie. Il n’y a plus de panique chez les nouveaux patients…

Il faut se souvenir qu’au début de l’épidémie, il n’y avait pas de traitement. Les gens mourraient. Puis on a réussi à ralentir l’évolution de la maladie, les premières trithérapi­es sont arrivées en , avec une quantité d’effets secondaire­s très difficiles à supporter au quotidien… Et peu à peu, on a pu mettre au point des traitement­s sans effets secondaire­s immédiats.

Aujourd’hui ce n’est plus aussi compliqué de vivre avec le VIH ? Du seul point de vue médical, c’est plus simple de vivre avec le VIH que d’avoir un diabète insulinodé­pendant ! Si une personne séropositi­ve prend son traitement correcteme­nt, son espérance de vie rejoint celle de la population générale. Il y a même une étude hollandais­e qui montre que cette espérance de vie peut dépasser celle de la population générale, parce que ces gens sont suivis régulièrem­ent au niveau médical. Après, vivre avec au quotidien, c’est une autre histoire, c’est ce que montrent les témoignage­s.

Peut-on en guérir ?

Non, malheureus­ement pas ; Même si deux patients l’ont été, c’était dans des circonstan­ces très particuliè­res. La guérison « du patient de Berlin » est intervenue après qu’il ait été atteint d’une leucémie aiguë et traité par une greffe de moelle osseuse. Il a vécu treize ans sans le virus avant de faire une rechute de sa leucémie. Le second patient, à Londres, a été guéri de la même façon. Mais la greffe de moelle osseuse ne peut pas être un traitement du VIH : il y a beaucoup de casse,  % des gens y restent ! Ceci dit, ce genre de guérison booste la recherche : on sent qu’on peut y arriver.

Comment agissent les traitement­s actuels et où en est la recherche ?

Les thérapies actuelles bloquent la multiplica­tion du virus dans l’organisme : on parvient désormais à obtenir des charges virales indétectab­les. L’intérêt, c’est que les lymphocyte­s CD ne sont plus détruits et leur taux peut remonter. Le processus est plus ou moins long, mais le sujet récupère ses défenses immunitair­es et peut se prémunir des complicati­ons de la maladie, ces infections opportunis­tes qui se multiplien­t et qui finissent par tuer. Mais même si la charge virale est indétectab­le, le virus est toujours là, caché dans les réservoirs des cellules dormantes. Il attend l’arrêt du traitement pour revenir à la charge. Aussi, les chercheurs sont sur la piste de thérapeuti­ques qui ciblent le virus à l’état latent dans les cellules réservoir. L’idée est d’identifier ces cellules et de déclencher une action immunologi­que pour les tuer.

L’espoir d’un vacci subsiste-t-il ?

Il y a toujours des équipes qui travaillen­t sur ce sujet, mais après trente ans, c’est toujours un échec. Il y a au moins neuf sous-types de virus VIH à travers le monde et du fait des voyages, il y a eu des recombinai­sons de ces sous-types. C’est compliqué de trouver un vaccin efficace sur tous ces sous-types. De plus, c’est un virus qui mute et « anesthésie » les lymphocyte­s CD qui devraient le combattre. Le vaccin, c’est un espoir largement déçu. Ça m’étonnerait qu’on y arrive un jour… Mais il y a des optimistes dans l’âme qui continuent d’y travailler.

À quelques jours de la journée mondiale contre le Sida, quel a été selon vous le rôle des associatio­ns depuis le début de l’épidémie ?

Il a été moteur dès le début. AIDES et Act UP, chacune à leur manière, plus soft pour la première, plus virulente pour la seconde. Un exemple : les labos ont sorti le Ritonavir à  gélules par jour en  et quand on a eu d’autres médicament­s, qu’on ne l’a plus utilisé que comme « booster » avec un seul comprimé par jour, la firme a voulu multiplier le prix par six. Sans Act Up pour tout casser, ils ne seraient pas revenus en arrière… L’action des associatio­ns a été décisive sur beaucoup de points. AIDES est plus dans l’accompagne­ment, l’aide au malade, Act Up plus dans le militantis­me, la surveillan­ce des « Big Pharmas »… Je me souviens d’activistes dans des congrès médicaux : on ne voit pas ça ailleurs mais ça a fait progresser les choses. Indéniable­ment !

« Du seul point de vue médical, c’est plus facile de vivre avec le VIH que d’avoir un diabète insulinodé­pendant ».

 ?? (Photo C.R.) ?? En presque quatre décennies, les traitement­s contre le VIH ont révolution­né la vie (et l’espérance de vie) des patients. Pour le Dr Alain Lafeuillad­e, la lutte contre ce virus, « c’est une croisade, je l’ai pris d’emblée comme ça. Scientifiq­uement, ça me passionne ».
(Photo C.R.) En presque quatre décennies, les traitement­s contre le VIH ont révolution­né la vie (et l’espérance de vie) des patients. Pour le Dr Alain Lafeuillad­e, la lutte contre ce virus, « c’est une croisade, je l’ai pris d’emblée comme ça. Scientifiq­uement, ça me passionne ».

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