Var-Matin (La Seyne / Sanary)

Paul Amoros Chevalier au long cours

Paul Amoros est le dernier meunier de Trigance. Cet artisan passionné des mots a aussi participé à créer la Route de l’histoire et des légendes qui traverse neuf villages du haut Var.

- PAR KARINE MICHEL kmichel@nicematin.fr

Elles ne tournent plus, les ailes de son moulin. À Trigance, sur la route qui mène à Castellane, village des Alpes-deHaute-Provence, le Moulin de Soleils était le dernier moulin à farine de la région. Restent la boulangeri­e-pâtisserie du même nom, la table de restaurati­on…

Les ailes ne tournent plus, mais Paul Amoros, 70 ans, veille toujours au grain. Lui, le dernier meunier du village, a découvert Trigance voilà quarante ans. Un vrai coup de foudre. Avec son épouse, ils quittent Avignon en quête d’un avenir meilleur pour leur fille,

Stella, qui avait « quatre mois à

peine… »

« Je suis arrivé ici et je n’en suis plus parti ».

Yohann et Nicolas, leurs deux garçons, sont nés ici. Y vivent toujours d’ailleurs. Stella n’est pas bien loin non plus.

« Elle est installée à Castellane. »

Assis sur un banc de la place Giraud, au coeur du village, catogan de cheveux blancs coincés dans le col de son pull polaire, Paul Amoros raconte sa ligne de vie. Comment lui, enfant né au Maroc – alors protectora­t français – a roulé sa bosse jusqu’à se poser, définitive­ment sur cette terre de Provence.

« Il a fallu travailler, se souvient-il.

Ici, l’essentiel de l’activité tournait autour du tourisme. Alors nous avons fait nos preuves, pendant une dizaine d’années, dans ce milieu, en travaillan­t au château notamment, etc. » Tout doucement apprendre le métier. Jusqu’en 1990, où « on nous a proposé de reprendre l’affaire du Moulin de Soleils ». Un moulin à eau et à meule de pierre dont il apprend tous les rouages. Autodidact­e, Paul découvre le métier de meunier. « Il m’a fallu tout comprendre. Le réglage des meules, la force de l’eau à donner à la grande roue pour qu’elle tourne. » Tout doucement, il apprivoise le cliquetis de l’eau et le « tic-tac » du moulin… Le four est déjà là. Alors une fois, « peut-être en solitaire, de façon un peu rustre » confesse-t-il, il se met à fabriquer du pain.

« J’étais fier de faire mon pain »

Pendant 18 ans, il sortira du four, un pain d’une seule sorte. Avec fierté. « J’étais content d’aller choisir mes blés pour produire mon pain. » Du bon pain.

Il marque une pause.

Le temps passe, les ailes du moulin brinquebal­ant doivent cesser de tourner. On est en 2007. Le meunier de Trigance devient un maître Cornille. L’affaire (la boulangeri­e-biscuiteri­e), est rachetée par Stéphane Laval (1).

On continue à y faire du pain, des pâtisserie­s… Mais on n’y moud plus les blés de Provence. Il tourne la page.

La légende du trésor des Templiers

De toutes ces années au moulin, devant des clients avides de questions sur la région et ses trésors, Paul croise la route des templiers. « Beaucoup venaient ici à la recherche du secret de ces chevaliers du Moyen Âge, et du trésor que l’on dit caché sur nos terres… »

Curieux, Paul Amoros décide de creuser cette histoire pour en distinguer « le bon grain de l’ivraie ». « Je me suis rendu compte que beaucoup d’auteurs des années soixante-dix ont participé à cette légende, sans beaucoup de vérificati­ons… »

Alors, lorsque les acteurs du tourisme s’interrogen­t sur la meilleure façon de promouvoir le territoire, la richesse de son patrimoine, Paul s’appuie sur la saga templière pour défendre une « Route de l’Histoire et des légendes » autour du petit patrimoine de chacun des neuf villages à

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traverser. Les vacanciers et chercheurs d’or inscrivant leur pas dans ceux d’un chimérique chevalier de Borgandion. Si le canton d’antan a depuis été administra­tivement coupé en deux, il reste cette route médiévale qui participe au développem­ent.

Paul en a même écrit un livre, saluant une nouvelle fois ce patrimoine. « Nous ne sommes pas le Verdon, nous n’avons pas l’éclat des gorges mais nous avons un caractère particulie­r, la beauté, la rudesse, l’envie… », explique ce chevalier des temps modernes.

« J’aime cette terre, c’est une bonne terre ».

Il n’est pas le seul, constate-t-il en observant celles et ceux qui traversent la place du village. Des « figures » historique­s, des jeunes qui viennent ici se réinstalle­r.

« À l’école, on a connu six élèves seulement. Aujourd’hui ils sont 28. »

Preuve d’une vitalité renouvelée.

« Eux, ces jeunes qui passent et moi, nous sommes comme les chevaliers du XXIe siècle. Pour connaître les difficulté­s d’une vie retirée, l’accepter, et se dépasser. Porter des idées autour de l’artisanat, du commerce et de l’agricultur­e. Développer des activités et des rêves, souffrir l’hiver quand l’activité cesse. »

Le poète solitaire qui l’habite travaille à écrire de nouvelles Lettres de mon moulin, hommage à ce qui reste pour l’heure son plus grand regret : ne plus voir les ailes du Moulin de Soleils tourner. « Mais je sais qu’elles tourneront à nouveau… »

Paul ne renonce pas à cette quête, son rêve à achever. Ce rêve qui continue de le faire avancer…

‘‘ Nous sommes comme des chevaliers du XXIe siècle”

1. Stéphane Laval est devenu maire aux dernières élections municipale­s.

2. La route de L’Histoire et des légendes traverse les villages de Trigance, Comps-sur-Artuby, Bargème, La Roque-Esclapon, La Bastide, La Martre, Châteauvie­ux, Brenon, et Le Bourguet.

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