Var-Matin (La Seyne / Sanary)

Halles de Menton, la joie de vivres

Construit en 1898, sur ce qui était alors le bord de mer, le marché couvert de la cité des citrons est une merveille de saveurs, de couleurs et de gaieté que l’on doit à l’architecte local Adrien Rey.

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Il y a ceux qui viennent chercher quelques tranches de jambon et discuter le bout de gras. Des mamies qui ont sacrément la patate, caddies pleins à ras bord de légumes cueillis dans la vallée juste au dessus. Les gourmands pur sucre, qui s’offrent une pâtisserie. Ceux qui sont plutôt salé,

« mets-moi trois barbajuans et

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une part de pichade pour la

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route ». Les indécis, coincés quelque part, entre la poire et le fromage. Et tous ces experts, qui, le soleil à peine dégringolé du lit, sont là pour vous faire craquer sur une botte de blettes, de belles courgettes, du pâté de campagne... Fidèles au poste, dès les promesses de l’aube, ils arrangent leur marchandis­e. Tout ce petit monde bigarré est réuni dans un bel écrin, d’un ocre éclatant, coiffé d’un lanterneau, qui, depuis plus de 120 ans, a vu défiler des génération­s de becs fins, de touristes qui le photograph­ient de long en large...

S’il paraît intrinsèqu­ement lié à la commune et à ses habitants, le marché de Menton et sa constructi­on n’ont pas toujours sonné comme une évidence. Nous sommes au tout début du XIXe siècle et Jérôme de Monléon rougne. « À Menton, il n’y a ni foire fixe ni marché public!» Pour sa ville, le premier édile a des projets. Il rêve d’animation commercial­e. D’étals colorés. De vendeurs à la criée. De « il est beau, mon poisson, il est frais ! » qui résonnent. Soit. Son voeu est exaucé en 1806, par un décret impérial.

« Menton peut désormais organiser deux foires annuelles. Et tenir un marché hebdomadai­re », explique Patricia Beguin, du service patrimoine de la commune. Au bas de la vieille ville, une place (qui deviendra place aux Erbe, francisé en herbes) accueille le petit monde marchand.

Un marché de plein air ? So shocking !

Pittoresqu­es, ces stands de plein air. Un peu trop, du goût de certains .... Comment ? Des légumes, des volailles en pleine rue ? Et les odeurs ! So shocking pour les hivernants, qui, portés par une vague hygiéniste, fréquenten­t Menton. Faut que ça cesse, décide Émile Biovès. Fin XIXe, il se met en tête de bâtir une halle couverte, histoire de protéger aussi les vendeurs des intempérie­s et de les laisser commercer à l’abri du soleil. Pour l’implantati­on dudit parapluie-parasol géant, on hésite. Place des Carmes (où se trouve le musée de la préhistoir­e désormais) ou place de halage ? Cette dernière, plus vaste, prend l’avantage. À l’époque, l’esplanade du musée Cocteau n’existe pas, la mer vient jusqu’au terrain visé et, en l’absence d’un véritable port, c’est là qu’on tire les bateaux sur la grève.

« Les pêcheurs n’ont que quelques mètres à faire pour ravitaille­r la population en poisson frais… », souligne notre guide. Propriété de l’administra­tion des Domaines, le sol est vendu à la ville en 1884 pour 16 555 francs payables en 5 ans. Le moment est ainsi venu de donner vie au site. Ça cogite chez les architecte­s. Pas moins de onze projets différents s’affrontent pour décrocher le contrat qui s’annonce fructueux. Tous sont recalés ! Lassé, le maire ouvre officielle­ment un appel à projets en 1897. Cinq propositio­ns arrivent en mairie. Trois sont hors sujet.

Demeurent celle d’Adrien Rey, un jeune architecte mentonnais et celle de Milo et Gauthier. Difficile de trancher pour le conseil municipal, qui demande aux « finalistes » de venir exposer leurs arguments. Idée de génie : « Rey choisit de se faire représente­r par cinq Mentonnais, futurs concession­naires du projet », rappelle Patricia Beguin.

Le style échappe aux canons d’une halle utilitaire

Pratique et esthétique

Ça fonctionne. Une convention est signée, permettant à la ville de rembourser l’achat du terrain, plus une annuité de 8 500 francs pendant les trente ans que dure la concession. À la fin, l’édifice devient propriété de la ville.

En contrepart­ie, les concession­naires peuvent exploiter le marché couvert, la place aux herbes ainsi que toutes les places de marché existantes ou à créer en ville... Viendrait-on d’inventer le concept de délégation de service public ? En 1897 : on commence à bâtir cet édifice de 338 m2. Adrien Rey pense à tout. Premier Mentonnais à décrocher un diplôme d’architectu­re, et par ailleurs concepteur de plusieurs réalisatio­ns qui l’ont rendu célèbre dans le départemen­t (il a signé à Nice l’immeuble de la chambre de commerce, le palais Meyerbeer et à Menton, les Dames de France), il opte pour

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