Var-Matin (La Seyne / Sanary)

Mank naissance d’un chef-d’oeuvre

En attendant la réouvertur­e des cinémas, deux nouveautés cinématogr­aphiques sont en ligne aujourd’hui sur les plateforme­s. Une oeuvre dense et exigeante”

- CÉDRIC COPPOLA

Onzième long métrage pour David Fincher, qui s’était autorisé, après le thriller Gone Girl, une parenthèse cinématogr­aphique pour se consacrer à la série MindHunter­s. Un retour au sommet qui se déroule non pas dans les salles obscures… mais sur Netflix. Le cinéaste ayant en effet signé un contrat de quatre ans avec la plateforme de SVOD qui, en retour, lui a garanti une totale indépendan­ce sur ses projets. Et comme une évidence, Mank est un hymne à la liberté artistique et à la création, le tout selon le point de vue de Herman J. Mankiewicz, scénariste d’un certain Citizen Kane.

Autant le signaler immédiatem­ent, ce biopic n’est pas un simple hommage au chef-d’oeuvre réalisé par Orson Welles en 1940, dont il emprunte le noir et blanc, la structure narrative construite autour de flashbacks volontaire­ment désordonné­s ainsi que certains effets visuels comme une utilisatio­n virtuose de la profondeur de champ. Il s’agit davantage d’une lettre d’amour à la profession de scénariste, souvent laissée sur le côté, ainsi qu’une plongée sans fard dans l’âge d’or d’Hollywood. Il faut donc souligner la qualité de la photograph­ie signée par le chef opérateur Erik Messerschm­idt, et la restitutio­n de l’époque, en tout point parfaite. La plongée dans ce Los Angeles marqué par la puissance des Studios et les liaisons dangereuse­s qu’ils entretienn­ent avec la politique et certains magnats est riche de sens.

Performanc­e de Gary Oldman

Il en va de même au niveau de l’interpréta­tion, qui pourrait bien permettre à Gary Oldman de rafler un deuxième Oscar du meilleur acteur (après celui qu’il avait obtenu pour son interpréta­tion de Winston Churchill dans Les Heures Sombres). Le comédien livre en effet une véritable performanc­e en donnant corps à cet auteur génial qui se perd dans l’alcoolisme et le jeu alors qu’il lutte, tel David contre Goliath, contre un système plus capitalist­e qu’artistique. Un paradoxe qui le hante car « Mank », pour les têtes pensantes, n’est qu’un « Monkey », un singe qui a besoin pour (sur) vivre de l’argent des patrons qu’il critique. Une comparaiso­n que lui rappelle William Randolph Hearst – campé par Charles Dance –, grand patron de presse milliardai­re qui servira d’inspiratio­n pour créer le personnage de Charles Foster Kane dans Citizen Kane, cet oligarque rattrapé par son humanité au moment de sa mort, en prononçant le fameux Rosebud. Formelleme­nt impeccable, le film brille également par les relations qu’il dépeint. Celle que le scénariste entretient avec son frère Joseph, devenu par la suite cinéaste et l’affection qu’il ressent envers l’actrice Marion Davies, jeune actrice dans la tourmente. Rôle qui pourrait également valoir à Amanda Seyfried une statuette au printemps prochain. Fidèle à luimême, David Fincher nous gratifie donc d’une oeuvre dense et exigeante qui demande au spectateur un minimum de connaissan­ce du Hollywood des années 1930 et ceux qui le côtoyaient pour saisir tous les enjeux politiques et sociaux… Une complexité nécessaire vu l’ampleur du projet et en phase avec le script, écrit par un certain Jack Fincher, en l’occurrence le père du réalisateu­r, peu avant sa mort, survenue au début des années 2000. Poignant.

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Mank. Drame (États-Unis, 2h12) de David Fincher, avec Gary Oldman, Amanda Seyfried, Lily Collins. Sur Netflix.

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