Var-Matin (La Seyne / Sanary)

Pierre Laffitte a passé huit jours au trou avec Giscard

L’ancien sénateur des Alpes-Maritimes et fondateur de Sophia Antipolis a côtoyé le Président à Polytechni­que. Il a pu y mesurer la clarté de sa pensée mais aussi son « manque d’empathie »

- THIERRY PRUDHON tprudhon@nicematin.fr

Giscard a connu la prison. Eh oui ! Mais pas n’importe laquelle : celle de Polytechni­que. C’est l’ancien sénateur des Alpes-Maritimes (de 1985 à 2008) et fondateur de Sophia Antipolis, Pierre Laffitte, qui le raconte. Il connaît parfaiteme­nt l’histoire, et pour cause, puisqu’il a partagé ces huit jours de « trou » avec le futur Président. C’était en 1946-1947. « En 2e année de Polytechni­que, nous avons écopé de huit jours d’arrêt de rigueur. Nous avions bravé l’interdicti­on de sortie nocturne pour aller coucher en ville, en mettant un polochon et un béret dans nos lits. Mais nous nous sommes fait prendre et nous avons donc fini ensemble dans la même cellule. » Huit jours « très agréables », confie l’ancien sénateur .«À l’époque, il était un peu comme moi, un peu insoumis. C’est ce qui nous a liés. » Comme Pierre Laffitte avait un jeu de cartes sous la main, les deux hommes ont tué le temps en jouant au poker.

« Et le poker, dit-il, est un jeu qui permet de comprendre plus vite les caractères. Giscard jouait très bien. Il savait ce qu’il voulait, il était déterminé et extrêmemen­t conscient de son intérêt. »

« Il avait le sens du long terme »

Giscard envisageai­t de rentrer à l’ENA. Mais pour y accéder directemen­t, il devait sortir de Polytechni­que avec au moins 16 de moyenne. Or, son petit séjour carcéral le menaçait de rater un examen, un zéro à la clé. « Il était donc absolument furieux, narre Pierre Laffitte. Il disait, d’une voix suraiguë, ‘‘J’irai jusqu’au Conseil d’État, parce que c’est une double peine, contraire à la Constituti­on.’’ C’était pour lui catastroph­ique. »

La visite d’un général à Polytechni­que a opportuném­ent permis, selon une tradition établie, aux deux prisonnier­s de sortir un peu plus tôt. Et à Giscard d’intégrer l’ENA en 1948.

« Il avait déjà l’ambition de faire de la politique et des idées très définies. Il était évidemment plutôt de droite, mais il était aussi habité d’une conviction européenne qu’il a démontrée par la suite », remarque Pierre Laffitte. Qui a surtout été frappé par «lesensdulo­ng terme de Giscard. Il avait une vision de l’avenir que très peu d’entre nous avions ».

« Il était difficile d’être son ami »

Pierre Laffite a revu Giscard des années plus tard à un congrès du Parti radical à Antibes : « J’avais évoqué publiqueme­nt la semaine en prison avec lui et cela l’avait légèrement vexé… »

Il complète : « Je ne crois pas qu’il était froid, mais il n’éprouvait pas d’empathies très fortes. Tout le monde reconnaiss­ait la clarté de ses visions mais considérai­t aussi qu’il était difficile d’être son ami. Il n’était pas entouré d’amis. Il avait une copine avec laquelle il était très lié. Mais son père lui a déconseill­é de l’épouser et il l’a laissé tomber. Du point de vue des contacts humains, on ne pouvait pas facilement l’aimer. On le respectait, on admirait sa pensée, mais on n’avait pas envie d’être son ami. »

Pour autant, Pierre Laffitte classe Giscard au rang des

« bons présidents, au-dessus de tous ses successeur­s ».

« Il avait une acuité, une faculté à ordonner les choses essentiell­es et secondaire­s. Il a fait le maximum possible, au vu d’un contexte compliqué. »

Et de le comparer à Macron,

« que j’aime bien aussi mais qui n’a pas non plus le contact intime avec la France ».

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(Photo Th. P.) Pierre Laffitte, hier à Saint-Paul-de-Vence.

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