Var-Matin (La Seyne / Sanary)

Soeur Emmanuelle, l’état de grâce à Callian

La religieuse voulait mourir dans son bidonville cairote. Elle a pourtant rejoint le Var en 1993 à la demande de sa congrégati­on. Elle y a poursuivi sa vaste action humanitair­e.

- NATHALIE BRUN nbrun@nicematin.fr Asmae - Associatio­n soeur Emmanuelle | Agir pour l’enfance. Rens. www.asmae.fr

Lorsque vous entendrez ce message, je ne serai plus là. En racontant ma vie, toute ma vie, j’ai voulu témoigner que l’amour est plus fort que la mort. J’ai tout confessé – le bien et le moins bien – et je peux vous le dire, de là où je suis, la vie ne s’arrête jamais pour ceux qui savent aimer. » Confession­s d’une religieuse, ses mémoires qu’elle a commencées vingt ans auparavant au Caire, chez les chiffonnie­rs, paraissent aux éditions Flammarion dès le lendemain des funéraille­s de soeur Emmanuelle, pionnière de l’action humanitair­e et personnali­té adorée des Français. Un livre où elle ne cache rien de ses doutes et de ses errements. Une profession de foi à son image : espiègle, un peu décalée, sans filtre et profondéme­nt humaine. Établie depuis 1993 dans la maison de repos de Notre-Dame-de-Sion, à Callian où elle repose aujourd’hui, la religieuse franco-belge qui a dédié sa vie aux plus démunis, meurt en octobre 2008, moins d’un mois avant de fêter son centenaire. Madeleine Cinquin pour l’État civil, avait vu le jour à Bruxelles, le 16 novembre 1908. Ses premières années commencent sous le signe du bonheur, dans une famille aisée qui a fait fortune dans la lingerie fine. Mais tout bascule brutalemen­t. En septembre 1914, son père qui l’avait accompagné­e à la plage, se noie sous les yeux de la fillette de six ans. Un choc terrible qu’elle analyse, avec le recul, comme le déclencheu­r de sa vocation. « Un sentiment d’insécurité foncière du vivant, de fugacité du bonheur dont nous ne sommes jamais les maîtres, a marqué la trame de mon existence. Son origine date sans doute de ce 6 décembre 1914. Le plaisir m’a toujours paru éphémère. Plus j’en guettais l’instant avec fièvre, plus, une fois le charme envolé, la déception surgissait. De la belle écume si tentante, il ne restait plus dans ma main qu’un peu d’eau amère ! », écritelle en retraçant ce drame familial. Diplômée en sciences religieuse­s et en philosophi­e, cette grande fan de Pascal prononce ses voeux en 1931, et part enseigner en Tunisie et en Turquie. C’est à l’âge de la retraite qu’elle va vraiment se réaliser et donner tout son potentiel.

La grande famille des chiffonnie­rs

En 1971, elle demande à rejoindre le bidonville d’Ezbet el-Nakhl au Caire. Une révélation ! « Je ne savais même pas que c’était possible qu’il y ait des enfants qui vivent dans l’ordure. Sales, pas d’école, pas de dispensair­e… Alors j’ai compris que je pouvais enfin vivre mon rêve : partager nuit et jour quelque chose qui était juste. J’étais une privilégié­e, et donc voilà : j’étais moi aussi au milieu des rats et des chiens sauvages, dans une petite cabane sans eau, sans électricit­é… Enfin je vivais comme des millions d’hommes, de femmes et d’enfants ! » Privée de tout, elle y trouve l’essentiel et une famille de coeur pour qui elle va soulever des montagnes. « J’ai compris comment on s’approchait de Dieu dans les bidonville­s. »

Une ONG pour l’Enfance

En 1980, elle fonde l’associatio­n ASMAEAssoc­iation soeur Emmanuelle qui aide aujourd’hui des milliers d’enfants et, depuis sa chère cabane cairote, s’échine à lever des fonds. À 85 ans pourtant, en 1993, elle doit quitter la mort dans l’âme les bidonville­s pour rejoindre la France, à la demande de sa congrégati­on, inquiète pour sa santé. La charismati­que soeur en baskets se fond alors vite à la vie locale. Depuis Callian, elle continue à pourfendre la misère, portée par une étonnante énergie, gère son associatio­n, embrasse la cause des sans-abri, écrit et surfe sur la vague médiatique avec un naturel qui va droit aux coeurs. Les chefs d’État viennent lui rendre visite. Elle accompagne son ami l’Abbé Pierre, en camion benne, pour une opération de soutien aux Maliens à Paris… «Yalla!» , son cri de ralliement, fait le tour de la planète.

Le 20 octobre 2008, Madeleine, fatiguée, s’éteint dans son sommeil, et va rejoindre ses petites soeurs dans leur tombe collective. Son oeuvre se poursuit dans six pays où 48 000 enfants bénéficien­t directemen­t de l’action d’Asmae-Associatio­n soeur Emmanuelle, une ONG de solidarité internatio­nale française, spécialisé­e dans le développem­ent et la protection de l’enfant, indépendan­te, laïque et apolitique.

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Un sentiment de fugacité du bonheur”

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Vivre, c’est agir. Yalla !”

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(Photo M.P.) Active dans la vie locale.
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