Var-Matin (La Seyne / Sanary)

Ce qu’il faut comprendre sur la dette publique L’interview

D’où vient l’argent que l’Etat distribue aux secteurs économique­s impactés par la Covid ? Qui va payer ? Les réponses de l’économiste Jean-Pierre Allegret, directeur du Gredeg

- PROPOS RECUEILLIS PAR KARINE WENGER

Depuis mars dernier, l’État y va à coups de milliards d’euros pour aider l’économie française à faire face à la crise sanitaire. Résultat du « quoi qu’il en coûte » du président de la République : la dette publique tricolore explose atteignant au 1er janvier 118,6 % du PIB, soit quelque 2,612 Mds€. Les projection­s ne s’annoncent pas meilleures avec 120 % en 2022 et 123 % en 2025. La Cour des comptes estime pour sa part que la dette publique française restera supérieure à 100 % du PIB pendant dix ans au moins. Quel impact sur notre quotidien ? D’où vient cette manne financière ? Surtout qui va payer ? Peut-on effacer la dette ? Pourquoi les cordons de la bourse se sont-ils déliés aussi facilement pour la Covid alors qu’il a fallu des mois de manifestat­ions hebdomadai­res aux Gilets jaunes pour obtenir 10 Mds€ ? Ou que l’hôpital et l’enseigneme­nt qui demandent depuis des années des sommes moins conséquent­es sont toujours à la peine. Autant de questions auxquelles JeanPierre Allegret, enseignant-chercheur en économie et directeur du Gredeg (Groupe de Recherche en Droit, Économie et Gestion), laboratoir­e de recherche du CNRS et Université Côte d’Azur à Sophia Antipolis, apporte des réponses.

Qu’est-ce que la dette publique ?

La dette publique est un stock qui dépend des soldes budgétaire­s, la différence entre ce que dépense l’État (pour le social…) et ce qu’il gagne (impôts, taxes…). Si le solde est déficitair­e, l’État le finance en émettant de la dette : des bons du Trésor (de moisàan)etles obligation­s d’État (de  à  ans). C’est l’Agence France Trésor qui s’en occupe en

« Connaîtra-t-on une inflation, une déflation ? On n’en a aucune idée. Cela dépend de l’issue de la pandémie, s’il y a un confinemen­t et de la vitesse de la vaccinatio­n », estime Jean-Pierre Allegret.

empruntant chaque semaine de l’argent à des investisse­urs français et étrangers pour le compte de l’État. Ce sont par exemple des Etats, des fonds d’investisse­ment, de pension, des compagnies d’assurances et des banques commercial­es... disposés à prêter de l’argent à la France en échange d’un placement sûr. C’est ce qu’on appelle les “marchés”.

Le dernier excédent budgétaire de la France remonte à . Ce qui veut dire que chez nous, la dette publique est structurel­le…

Oui. Quel que soit le rythme de la croissance économique, un pays comme la France dégage structurel­lement des déficits. Pour expliquer cela, on avance la thèse du biais politique : autant l’État soutient l’économie quand il le faut en augmentant les dépenses, autant il rechigne à réduire les dépenses quand la situation s’améliore. Pourquoi ? En accordant de l’argent à un secteur, il fait plaisir aux électeurs qui pourront voter pour lui et le réélire.

La France s’est endettée à  % de son PIB. Est-ce dangereux ?

Non et cela s’explique par les taux d’intérêt très bas, voire négatifs. Tous les grands Etats développés peuvent s’endetter à des taux intéressan­ts car les marchés estiment qu’ils ont la capacité de rembourser dans le temps. Nous sommes dans un moment historique : les contractio­ns économique­s atteignent des niveaux plus importants que durant la Grande Dépression des années . Le confinemen­t a stoppé net l’activité économique qui, même durant les guerres, continue.

Pourquoi les taux d’intérêt sont-ils aussi bas, voire négatifs ?

C’est le jeu de l’offre et de la demande. Les investisse­urs sont tellement inquiets face à un avenir incertain qu’ils préfèrent acheter des titres d’Etat réputés sûrs même s’ils rapportent peu ou pas. Le fait que les banques centrales soient acheteurs en dernier ressort accentue ce phénomène.

Est-ce que la situation va se dégrader ?

On l’ignore. Mais le FMI anticipe que la crise va durer longtemps en France. C’est un pays qui, grâce à la présence de l’État, amortit souvent mieux les chocs que d’autres mais peine à repartir car ce même Etat crée des lenteurs et lourdeurs. Le fait de sortir plus tard de la crise est préjudicia­ble pour l’innovation et l’investisse­ment.

Qui détient la dette ?

 % de la dette publique française ont été rachetés aux banques commercial­es par la Banque centrale européenne (BCE) et la Banque de France. Un taux qui grimpe à  % pour l’Allemagne ou  % pour le Japon. Cette politique d’achat d’actifs vise à maintenir les taux d’intérêt à long terme à bas niveau pour permettre l’investisse­ment et le redémarrag­e de l’activité économique. Le fait que les banques centrales des principaux pays développés soient disposées à racheter d’énormes quantités de dettes publiques rassure les marchés qui savent qu’ils auront un acheteur en dernier ressort.

Et les  % restants ?

Ils sont détenus par des Etats, banques et investisse­urs étrangers, en grande partie Européens. Mais aussi les épargnants français via, par exemple, leur assurance-vie qui contient des obligation­s.

Peut-on effacer la dette publique ?

Certains économiste­s préconisen­t d’annuler au moins la dette détenue par les banques centrales, c’est neutre pour les finances publiques étant donné que les Etats en sont actionnair­es [via la Banque de France dans l’Hexagone, Ndlr]. Nous vivons une situation inédite avec partout dans le monde, des dettes publiques à des niveaux jamais atteints et ce ne serait pas totalement illégitime d’effacer la dette liée à ce moment exceptionn­el. Mais qui dit que les Etats n’utiliseron­t pas à chaque fois cet argument de l’exceptionn­el ? L’annulation de la dette pourrait nuire à la réputation des banques centrales puisque leur bilan s’affaiblira et par conséquent, la valeur de l’argent qu’elles émettent. Cela peut inciter les investisse­urs à leur préférer de la cryptomonn­aie. C’est un vrai souci. Enfin, le fait de ne pas honorer la dette peut rendre les prochains endettemen­ts plus coûteux. Les marchés se souviendro­nt que tel ou tel pays a fait défaut et augmentero­nt les taux d’intérêt. Compte tenu du niveau des taux d'intérêt et du fait que les Etats sont les actionnair­es des banques centrales, le gain lié à l'annulation de la dette est sans doute faible alors que les risques sont élevés.

Sauf si c’est une annulation mondiale...

Oui mais il ne faut pas rêver. Cela veut dire que les Etats se mettraient d’accord entre eux et ça, c’est de la sciencefic­tion. Pour l’Allemagne qui a des niveaux de dette deux fois inférieurs à la nôtre, c’est culturelle­ment impensable.

Peut-on renégocier la dette ?

Ça s’appelle des restructur­ations de la dette : l’étaler sur un temps plus long et à des conditions plus avantageus­es. Mais c’est compliqué pour la France qui a déjà des taux d’intérêt très bas.

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(Photo K.W.) e

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