La semaine de Claude Weill
Lundi
Avec l’alacrité qu’on lui connaît, le toujours jeune François de Closets, ans à la Noël passée, met les pieds dans le plat. Il faut arrêter de « fiche en l’air la vie des futures générations pour protéger les plus de o ans ».
C’est vrai, tout a été fait depuis le début de cette crise sanitaire pour protéger les plus âgés et les plus fragiles. Ce faisant, on a imposé de grands sacrifices aux plus jeunes, qui eux ne risquaient rien. Notre société a une dette envers eux. Elle devra être acquittée. Mais pas au prix du sacrifice de leurs grands-parents – que d’ailleurs ils ne réclament pas !
« Quand vous arrivez à la fin de votre vie, elle n’a pas du tout le même prix que celle d’un jeune qui a sa vie devant lui », plaide F. de Closets. C’est là que, en toute amitié, nous divergeons radicalement. Toute vie humaine a une égale valeur. C’est un acquis de la civilisation. Un principe philosophique non négociable. Admettre qu’il y ait une hiérarchie des vies, que certains aient plus de légitimité à exister que d’autres, c’est ouvrir la porte au pire.
Mardi
Folie de la « cancel culture » quand, voulant faire justice des fautes de nos aïeux, elle se lance dans une expurgation du passé digne de l’URSS.
Sur la proposition d’un panel de citoyens, le conseil des écoles de San Francisco a décidé de débaptiser un tiers des écoles de la ville. Radié, Abraham Lincoln, qui préserva l’unité de la Nation. Renié, George Washington, er président des États-Unis. Récusé, Thomas Jefferson, qui rédigea la Déclaration d’indépendance. Répudié, James Madison, co-auteur de la Constitution.
Tous coupables d’avoir « pratiqué l’esclavage, opprimé les femmes », ou attenté au droit de chacun «à la liberté et à la poursuite du bonheur » - formule due à Jefferson, justement…
Il y a là quelque chose qui tient du meurtre du père. Des pères fondateurs en l’occurrence. Ne resterait plus à nos modernes iconoclastes qu’à plastiquer les statues
géantes du Mont Rushmore pour effacer toute trace de ce qui fut.
De quoi cette fureur négationniste est-elle le nom ? Du souhait légitime de regarder en face les crimes du passé ; de reconnaître les souffrances qu’ils ont causées ; de donner la place qu’ils méritent aux Amérindiens, aux Noirs, aux femmes et à tous les laissés pour compte du roman national américain. Revisiter l’histoire, soit. Toutes les époques l’ont fait. Mais si c’est pour l’enrichir, pas pour l’amputer et la défigurer. Rien de plus absurde que de prétendre juger les hommes d’hier selon les normes juridiques, éthiques, politiques d’aujourd’hui.
Oui, Jefferson, riche planteur de Virginie, « possédait » des centaines d’esclaves. Oui, il avait les préjugés raciaux et sexistes d’un homme de son temps. Mais c’était aussi un penseur aux idées avancées, pétri de l’esprit des Lumières, lecteur de Montesquieu et Rousseau, féru d’art et de sciences. Un humaniste selon les critères de l’époque. Oublier qu’il fut aussi et d’abord cela, nier ce que
l’Amérique lui doit, c’est ajouter la myopie à l’anachronisme. Une forme de talibanisme culturel.
Mardi
Selon le Ministère de la Justice, femmes ont été tuées par leur compagnon en , contre en . Preuve que les campagnes de sensibilisation portent, et que les mesures prises à la suite du Grenelle des violences conjugales n’étaient pas la « poudre aux yeux » dénoncée par les associations militantes.
Certes , c’est encore de trop ! Mais une baisse de % en un an, c’est à la fois significatif et contre-intuitif : avec le confinement, on redoutait plutôt une hausse. Bref, c’est un encouragement à persévérer !
Mercredi
Navalny empoisonné. Navalny emprisonné. Condamné à trois ans et demi de colonie pénitentiaire, au terme d’un simulacre de procès, pour avoir enfreint son contrôle judiciaire… parce qu’il se faisait soigner en Allemagne. En matière de cynisme, on ne fait pas mieux.
Navalny n’est ni Soljenitsyne, ni Sakharov. Mais par son combat contre la corruption, il s’est imposé comme le porte-étendard de l’opposition anti-système. Il faut donc à tout prix le faire taire. Et frapper fort pour intimider ceux qui le soutiennent : cette population jeune et urbaine qui n’en peut plus de l’autocratisme poutinien.
Que faire ? Tsar est maître chez lui. La Russie profonde chérit et admire celui qui lui a rendu son lustre et sa puissance.
Les pressions internationales ? Elles n’iront guère plus loin que des remontrances verbales. L’Allemagne a besoin du gaz russe. Et l’Europe, du vaccin Spoutnik-V. On enrage d’impuissance en se remémorant les mots de Claude Cheysson, le jour du putsch de Jaruzelski en Pologne : «Bienentendu, nous ne ferons rien. »
« Rien de plus absurde que de prétendre juger les hommes d’hier selon les normes juridiques, éthiques, politiques d’aujourd’hui. »
Jeudi
Le Danemark annonce qu’il lancera au printemps un « coronapas » numérique. Téléchargé sur les smartphones, il permettra aux vaccinés et aux porteurs d’anticorps de circuler librement, d’aller au restaurant, au match, au concert : de revivre.
Et nous, Français défiants, y sommes-nous prêts ? Faut-il voir là une mesure liberticide et discriminatoire, une façon déguisée de rendre la vaccination obligatoire ? Ou une mesure de salubrité publique, préalable à la levée des restrictions sanitaires ?
Nous n’échapperons pas au débat. Il risque d’être âpre. Mais gageons que la plupart de nos voisins finiront par suivre l’exemple danois. On parie ?