Var-Matin (La Seyne / Sanary)

David Ledun, l’homme qui refusait d’être vaincu

- RAPHAËL COIFFIER

Prisonnier de mon corps. Un livre. Perdu dans l’océan littéraire. Non. Un témoignage. Puissant. Une île au milieu des silences. De ces silences entourant la maladie de Charcot. Une orpheline, sans traitement. Qui décide de vous couper du monde. De vous enfermer à double tour avec vous-même. Vous paralyse les membres. Mais pas le cerveau. Pas vos pensées. Votre âme…

Une « saloperie » plus forte que la médecine moderne. Une bataille inutile aux yeux de certains. Car à l’issue fatale. Sauf pour David Ledun, engagé depuis quatre ans dans un bras de fer courageux. Grignoté par l’émissaire de la mort, ce gendarme a décidé de se battre. Pour lui. Pour sa femme et ses trois fils. Pour les anonymes, à la dérive. Perdus. Parfois abandonnés…

L’amour le tient en vie

À la force de ses paupières, ce combattant de l’impossible a communiqué longuement avec les deux journalist­es, Cécile MartinCoch­er et Emmanuel Razavi. Des

Malgré la maladie, David Lebrun voyage avec sa femme et ses trois fils.

semaines de battements de cils pour une phrase. Un message. Un mot. L’espoir !

Car, après les larmes, il refuse l’inéluctabl­e. De sombrer dans les abîmes. Page après page, ce sportif aguerri décrit donc son quotidien. Ces coups de blues. Cette enveloppe en perte d’énergie. Ses difficulté­s à communique­r. À s’alimenter. Son emprisonne­ment. Mais aussi sa vaillance face au mal. La résilience familiale. Les projets d’un homme cloué dans son fauteuil médicalisé mais toujours debout. Un guerrier que l’amour tient en vie… Ici, rien n’est larmoyant. Rien n’est pathos. Tout n’est qu’humanité. David Ledun se confie. Se confesse. Sans concession. Se met à nu avec une touchante pudeur. Avec fracas, parfois aussi. Notamment lorsqu’il évoque l’annonce brutale de sa maladie. Comme on vous annonce le prix d’un kilo de patates !

La fraternité n’est pas une froide définition

Depuis ce jour, le motard a enfourché le tigre. S’est juré d’être plus fort que Charcot. Depuis ce jour, il a davantage ouvert les yeux. Sur chaque minute. Chaque seconde. De vie. Dont il savoure les sens. L’essence. Autour de lui, il a fédéré un poignant élan de solidarité. Preuve que la fraternité n’est pas une froide définition perdue dans la lourdeur d’un dico. Épreuves sportives, voyages au Canada, aux États-Unis, ses rêves ont pris forme. Au-delà même de ses espérances. L’éloignant des errances de son enfermemen­t.

Libre dans sa tête, il avance. « Marque des points ». Séduit sa « guerrière ». Comme à l’aube de leur liaison. L’engueule. Pas avec des cris. Du regard. Une façon d’être normal. D’être un couple normal. Qui ne casse pas la vaisselle. Mais se dispute pour mieux se retrouver au fil du quotidien.

« Il faut faire quelque chose de son handicap. Et s’il n’y a aucun sens à se retrouver paralysé et muet, alors, il faut en inventer un. Cela permet de se donner un cap, de trouver des projets à partager et de continuer à ressentir de la joie. » Une sidérante leçon de courage. De ténacité. De la part d’un condamné bien décidé à se construire un avenir. Jusqu’à son dernier souffle. « Pour l’amour des autres. Pour l’estime de soi. » Une conclusion signée David Ledun, un homme ordinaire devenu extraordin­aire !

Prisonnier de mon corps, de David Ledun avec Cécile Martin-Cocher et Emmanuel Razavi.

Ed. Bold, , euros.

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(Photo DR)

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