Le risque suicidaire
Psycho La crise sanitaire s’installe dans la durée et avec elle les angoisses, les incertitudes. Les psychiatres constatent une augmentation de la souffrance psychique et appellent à la vigilance
Anxiété, insomnie, angoisse… Depuis quelques mois nombreux sont ceux qui ont été confrontés à ces symptômes, à un moment ou un autre. Chez certains, ils se sont installés insidieusement jusqu’à les faire basculer dans la dépression. LeD Virginie Buissé, psychiatre au CMP de Menton (Centre médico-psychologique), l’a constaté, à l’instar de tous les spécialistes de la santé mentale que nous ayons interrogés depuis le début de la crise sanitaire : en 2020, jamais les professionnels n’ont reçu autant de nouveaux patients. Heureusement pas toujours à des stades avancés de la maladie. Parfois deux ou trois consultations suffisent à les rassurer et à les apaiser. Mais elle, comme ses confrères, alerte : « il faut être vigilant parce que beaucoup de personnes souffrent sans forcément oser le dire. » « Avec le recul, on constate que le premier confinement n’a pas engendré la catastrophe psychique à laquelle on aurait pu s’attendre. C’est à la levée du confinement que nous avons eu une vague de patients surtout anxieux et ayant du mal à se “remettre en route” », analyse le Dr Buissé. Certes, personne ne l’a vu venir, ça a été un choc, mais chacun est parvenu tant bien que mal à s’adapter. « En revanche, cet automne, ça a été très difficile. Il faut se remémorer le contexte : pendant l’été, tout le monde pensait que c’était fini, que l’épidémie était sous contrôle mais lorsqu’elle est repartie au moment de la rentrée des classes, cela a suscité des réactions d’angoisse, ainsi qu’un retour de l’incertitude et des doutes. Des personnes ont ainsi basculé dans la dépression. »
rLes espoirs de normalité douchés
Pour la psychiatre, l’explication est relativement simple : «Ils se sont dit “on a tout donné pendant les deux mois de confinement mais ça n’a pas suffi”. Un peu comme si leurs espoirs de retour à la normale avaient soudainement été douchés ; ils ont été stoppés en plein élan. Pour certains ce sont des projets professionnels ou de formation qui
Les journées nationales pour la prévention du suicide se sont déroulées le février. Les professionnels tirent la sonnette d’alarme.
es sont tombés à l’eau alors qu’ils avaient misé dessus. Ils se sentent anéantis, sans perspective à court et à moyen terme. On ignore quelle sera la situation dans un mois, deux mois, même dans un an. En aura-ton terminé avec la pandémie ? Personne ne le sait. » monde était logé à la même enseigne. La population a relativement bien géré la situation sur le plan psychique, remarque le Dr Buissé. Sauf que le reconfinement, le couvre-feu, les multiples continu. C’est très anxiogène. »
Savoir débrancher de l’actu
La psychiatre conseille donc de prendre du recul : s’il est bien de s’informer, il s’agit de choisir le bon média ; il faut aussi faire une pause de temps en temps et débrancher radio, télé et autres notifications intempestives qui s’affichent à longueur de journée sur les smartphones. « Pour quelqu’un qui souffre d’anxiété ou de dépression, c’est difficile à gérer. Parce qu’il y a beaucoup d’informations, parfois contradictoires. Nous passons quasi systématiquement un moment à débriefer ce qu’ils ont entendu lors des consultations, souligne la psychiatre. Par ailleurs, la psychothérapie est plus complexe parce que beaucoup de choses que l’on préconise en temps normal ne sont pas possibles comme faire du sport ou des activités de loisir, sortir, passer de bons moments entre amis, tout ce qui donne le “goût de la vie “est en quelque sorte réduit voire interdit. »
Une accentuation de la souffrance psychique
Le Dr Buissé, ainsi que ses confrères, ont dû s’adapter. Y compris au port du masque, qui fait écran à la communication non verbale.
Pour le moment, les psychiatres n’ont pas noté un accroissement du nombre de passages à l’acte suicidaire, que ce soit dans la région ou sur l’ensemble du territoire national. En revanche, ils ne cachent pas leur inquiétude. « On constate un réel accroissement des difficultés psychologiques dans la population. Il y a un sentiment de malêtre évident, indique le
Dr Buissé. Nous nous faisons particulièrement de souci pour l’après : il est possible que ce soit au moment où la situation sanitaire s’améliorera que des personnes se rendent compte de ce qu’elles ont perdu. Et se retrouvant submergées par les angoisses, entrent en crise suicidaire. Lorsque des individus souffrent au point de vouloir en mourir, ils ont besoin de l’autre pour sortir du tunnel et retrouver la réalité. Il est important que les gens veillent les uns sur les autres. Si vous constatez que votre conjoint, votre voisine, votre collègue ou même votre boulangère ne semble pas bien, il faut impérativement en parler, l’inciter à aller voir un professionnel. On n’est pas obligé d’aller directement chez un psychiatre, une première consultation avec son médecin traitant peut déjà aider. Ce dernier pourra ensuite réorienter son patient s’il juge qu’il a besoin d’être pris en charge par des spécialistes. Les mois à venir vont être encore difficiles. Personne n’est à l’abri de perdre pied à un moment ou un autre. Il ne faut pas hésiter à consulter. »
Ce n’est pas la panacée mais ils n’ont pas le choix. « Plus le temps passe, plus cela devient pesant pour la population. Nous sommes vraiment très inquiets. Nous sentons bien une accentuation de la souffrance psychique. Les problèmes d’ordre psychiatrique risquent de se majorer. Il faut faciliter l’accès aux soins psychiques. » Les professionnels de la santé mentale n’ont de cesse de tirer la sonnette d’alarme. Toute la question est de savoir si les pouvoirs publics et surtout la population ont entendu le message et ont conscience de l’ampleur de la catastrophe annoncée.
Il est possible de contacter directement un médecin psychiatre, un psychologue, un CMP ou simplement un généraliste pour parler de ses difficultés psychiques.