Var-Matin (La Seyne / Sanary)

Le doux regard de Denis le nabi

Maurice Denis a donné au jardin de la chapelle Saint-Cassien à Cannes les couleurs tendres du mouvement post-impression­niste nommé nabi.

- ANDRÉ PEYREGNE magazine@nicematin.fr

Qu’on aimerait s’installer dans le doux paysage que voici ! La lumière y est caressante, les couleurs tendres. On s’assoirait dans l’herbe, on s’allongerai­t sous les pins. On pousserait même la porte de la chapelle. Il doit être apaisant de s’y recueillir ! La vie, ici, est légère et colorée.

Tel est le monde de Denis le nabi. Denis ? Maurice Denis, le peintre. Nabi ? Le style de peinture du début du XXe siècle aux couleurs inattendue­s, qui « ravit dans l’extase », qui « reçoit les paroles de l’au-delà », qui nous présente, ici, des arbres aux troncs roses et aux ombres vertes. C’est en 1922 que Denis le nabi a peint cette Chapelle Saint Cassien à Cannes, dont le tableau est, aujourd’hui, conservé au

Musée d’art et d’histoire de Provence à Grasse. Cette toile, il l’a peinte non seulement pour exalter la beauté du site mais aussi pour célébrer un lieu de pèlerinage. Il était, en effet, très porté sur la religion. Dans l’Antiquité grecque, l’endroit, qui est, aujourd’hui, situé près de l’aéroport de Mandelieu, comportait un temple dédié à Aphrodite.

Au VIe siècle, les moines des îles de Lérins y établirent un monastère. Par la suite, une chapelle fut édifiée en l’honneur de saint Cassien et devint un lieu de pèlerinage.

Représenta­tion non réaliste

« Comme les nabis, Maurice Denis n’hésite pas à exagérer ses visions, et à donner de la nature une représenta­tion décorative et symbolique, non réaliste, commente Grégoire Couderc, assistant de conservati­on au Musée de Grasse. Maurice Denis donne l’image de jardins paradisiaq­ues dans lesquels les nuances et les tons chauds et pastels créent une atmosphère rêveuse. »

Si l’on observe attentivem­ent le bas du tableau, on voit deux personnes de taille minuscule. L’une est vêtue de noir, l’autre de rouge. Elles ont le dos tourné, sont dans une pose contemplat­ive. Elles observent la nature, tout en en faisant elles mêmes partie, comme si elles étaient absorbées par elle. On aimerait se glisser silencieus­ement à leurs côtés, partager leur méditation… Qu’on est loin des tapages de la Croisette où, dans l’effervesce­nce de l’après-Première Guerre mondiale, au moment où ce tableau a été peint, Cannes attire les gloires mondaines de l’Europe, les majestés en exil ou en villégiatu­re : le roi de Suède, le roi de Portugal, le shah d’Iran, les princes russes. La riche société parisienne vient s’y épuiser en nuits blanches, les palaces prospèrent, le tourisme balnéaire se développe. Ici, on est à l’écart de tout cela.

Renversé par un camion

Lorsqu’au début des années 1920, François Carnot, fils du président de la République assassiné Sadi Carnot, créa le Musée Fragonard à Grasse, le peintre Maurice Denis, qui était son ami, lui offrit ce tableau. Il est le symbole d’une douceur de vivre qui, pourtant, ne fut pas celle de la fin de vie du peintre. Maurice Denis connut, en effet, une mort violente, renversé, en 1943, à l’âge de 88 ans, par un camion. A-t-il retrouvé, au paradis, les mêmes couleurs douces que celles qui nous enchantent en ce tableau ?

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Des jardins paradisiaq­ues dans lesquels les tons pastels créent une atmosphère de rêve ”

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(Photo Carlo Barbiero/Musée d’art et d’histoire de Provence de Grasse) La Chapelle Saint-Cassien à Cannes, par Maurice Denis, , huile sur toile,  x  cm.
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