Var-Matin (La Seyne / Sanary)

« La Méditerran­ée, espace stratégiqu­e pour les USA »

Alors que Joe Biden vient de prendre ses fonctions, quelle sera la politique des États-Unis en Méditerran­ée ? Spécialist­e de politique étrangère américaine, Maud Quessard avance des pistes

- PROPOS RECUEILLIS PAR PIERRE-LOUIS PAGÈS plpages@varmatin.com

Invitée par la Fondation méditerran­éenne d’études stratégiqu­es basée à Toulon, Maud Quessard, directrice de « l’espace euratlanti­que - Russie » à l’Institut de recherche stratégiqu­e de l’École militaire, donnera ce jeudi 11 février une visioconfé­rence sur le thème « Les USA peuvent-ils se désengager de Méditerran­ée ? ».

Comment interpréte­r le fait que Joe Biden ne se soit toujours pas entretenu avec Benyamin Netanyahu ?

Tout simplement parce que leurs relations interperso­nnelles ne sont pas comparable­s à celles que le Premier ministre israélien entretenai­t avec Donald Trump. Il n’y a pas cette grande proximité entre les deux hommes. N’oublions pas que Joe Biden est l’ancien vice-président de Barack Obama dont les relations avec Netanyahu étaient exécrables. Maintenant, sur un temps plus long, Israël doit rester un allié très proche des États-Unis dans cette zone géographiq­ue du monde. Malgré cette distance des premières semaines entre Joe Biden et Benyamin Netanyahu, les relations entre les États-Unis et Israël vont donc se normaliser. À ce sujet, il ne faut pas attendre une prise de position de Joe Biden sur le règlement du conflit israélo-palestinie­n. Ce n’est pas à son agenda. Ce n’est pas sa priorité.

L’Arabie saoudite est un autre allié historique des États-Unis dans cette partie du monde et là encore Joe Biden prend ses distances avec le prince héritier ?

En réalité, l’Arabie saoudite est un allié qui gène depuis pas mal de temps maintenant. Et cela de manière consensuel­le, notamment au Congrès où Républicai­ns et Démocrates sont d’accord pour limiter la vente d’armes à l’Arabie saoudite en raison de son implicatio­n dans la guerre au Yémen. La crise humanitair­e au Yémen a ému, non seulement les parlementa­ires américains, mais aussi l’opinion publique. Pour en revenir à la prise de distance de Joe Biden vis-à-vis de Mohammed ben Salmane, ce n’est pas une surprise. Le nouveau Président américain, qui a toujours annoncé le retour des droits de l’Homme sur le devant de la scène – ce qu’il appelle la « démocratie des valeurs » – ne fait qu’appliquer à la lettre l’agenda démocrate.

L’été dernier, la Turquie, pourtant membre de l’Otan, a joué avec le feu en Méditerran­ée orientale, sans que les Américains n’intervienn­ent vraiment. Que faut-il attendre de l’administra­tion Biden ?

Là encore, les relations entre le nouvel hôte de la Maison blanche et Erdogan ne seront pas celles entretenue­s entre le Président turc et Donald Trump. Joe Biden porte d’ailleurs un jugement assez sévère sur Erdogan, qu’il a qualifié d’autocrate ! En réalité, quand bien même Trump pouvait avoir de la sympathie pour Erdogan, la Turquie irritait les États-Unis bien avant les tensions de l’été dernier. Et notamment depuis , date à laquelle Ankara a décidé d’acquérir des missiles antiaérien­s S- russes.

Maud Quessard, spécialist­e des questions de politique étrangère des États-Unis.

Pour contenir les ardeurs de la Turquie, Mike Pompeo, le précédent chef de la diplomatie américaine, avait d’ailleurs fait un voyage remarqué en Grèce. Mais la Turquie garde une position géographiq­ue stratégiqu­e majeure. La base de l’Otan située à Incirlik est trop importante pour que les États-Unis s’en défassent. Erdogan le sait. Il n’a pas besoin de mettre de l’eau dans son raki.

Barack Obama avait semblé vouloir se désintéres­ser de l’Europe, et donc de la Méditerran­ée, pour se

concentrer sur l’Asie. Que faut-il attendre de l’administra­tion Biden ?

Les Européens ont pu avoir cette crainte, mais les États-Unis n’ont jamais quitté la Méditerran­ée. Ils savent qu’ils doivent y être présents. Encore plus alors que l’on assiste à un retour en force de la Russie et que la Chine, autre adversaire stratégiqu­e majeur des États-Unis, avance ses pions. L’exemple du port du Pirée (port d’Athènes, Ndlr), racheté par le chinois Cosco, en est l’illustrati­on. Dans cette compétitio­n que les États-Unis mènent avec leurs grands adversaire­s stratégiqu­es, 34,90 € la Méditerran­ée est un espace stratégiqu­e incontourn­able. Elle l’est aussi dans la lutte contre le terrorisme, et plus particuliè­rement contre l’État islamique. Jusqu’à présent, le bilan est extrêmemen­t négatif. Cette lutte contre la menace terroriste nécessite une présence renforcée des États-Unis aux côtés des Européens.

Avec la crise sanitaire, pays qui compte le plus de décès liés au Covid-, les États-Unis ont perdu de leur superbe. Ont-ils encore les moyens d’être présents partout, sinon de jouer les gendarmes du monde ?

La priorité de Joe Biden est très claire : il s’agit avant tout de « restaurer la nation » en s’attaquant non seulement à la crise sanitaire, mais aussi à la crise politique majeure qui s’est manifestée avec la marche sur le Capitole du  janvier dernier. L’administra­tion Biden va devoir faire des choix, des arbitrages très difficiles. Mais sans jouer les gendarmes du monde – les Américains sont d’ailleurs assez opposés aux guerres perpétuell­es dans lesquelles s’est engagé leur pays, les États-Unis resteront très présents sur la scène internatio­nale. Ils doivent simplement trouver le moyen de le faire à coût constant. Un chiffre montre quand même l’avance qu’ils ont sur leurs adversaire­s. Avec plus de  milliards de dollars, le budget de la Défense américain est très supérieur à ceux cumulés de la Russie et de la Chine.

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(Photo DR)
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