Var-Matin (La Seyne / Sanary)

Pierre Rabhi « L’humanité ne peut continuer à vivre ainsi »

Dans Frères d’âme, Edgar Morin et Pierre Rabhi dissèquent le moment de bascule civilisati­onnelle que nous vivons. Et dessinent une pensée nouvelle où l’amour et l’intelligen­ce éclairent la voie vers un “humanisme régénéré” et une fraternité d’âme.

- PROPOS RECUEILLIS PAR LAURENCE LUCCHESI llucchesi@nicematin.fr

Ils ne s’étaient croisés que brièvement par le passé, mais n’avaient jamais eu l’occasion d’amorcer un tel dialogue. Pourtant, Edgar Morin et Pierre Rabhi étaient forcément amenés à se parler. C’est désormais chose faite, grâce au journalist­e Denis Lafay, qui a réuni le sociologue et l’agroécolog­iste et recueilli leur dialectiqu­e dans Frères d’âme. Interview de Pierre Rabhi.

Comment ce livre est-il né ?

Dans notre société devenue complexe, incertaine, peut se produire un rapprochem­ent d’âmes. Des âmes qui dialoguent pour faire en sorte que ce monde s’organise d’une autre façon.

Avec Edgar Morin, vous aviez une proximité évidente ?

Oui, mais ça va au-delà de ça. Comme je le disais, la situation est telle qu’elle pose la question de la continuité de l’histoire humaine. On ne peut pas imaginer que l’humanité continue à vivre en polluant, en détruisant la planète, en se faisant la guerre, on est dans un processus suicidaire. Il y a des conscience­s qui se soucient du monde, c’est pour cela que j’ai créé Les Colibris ().

Au-delà de la pandémie, vous dites : ‘‘Ce qui importe le plus, c’est de mettre fin à la cacophonie des valeurs’’ ?

Absolument. Je réfléchis depuis longtemps à ce qu’est l’humanité. Et je fais mienne la pensée de Socrate : ‘‘Tout ce que je sais, c’est que je ne sais rien’’ .Sicen’estque nous sommes dans un marasme terribleme­nt aggravé par ce Coronaviru­s et qu’il y a urgence à se mobiliser.

Vous fustigez la capitalisa­tion cumulée des GAFAM ?

()

Oui, cela nous ramène à cette prétention selon laquelle avec la modernité, nous allions évoluer, sortir de la barbarie. Et nous sommes en train de nous rendre compte que ce postulat est le plus barbare de toute l’Histoire ! Car non seulement on ne s’occupe pas de la vie, on la détruit, mais on s’occupe beaucoup plus de la violence. L’humanité s’est dotée des pires moyens de sa propre destructio­n. On répète que la bombe atomique est si terrible que cela instaure une trêve due à la peur, mais cela signifie que l’espèce humaine n’a pas évolué. C’est pour cela que je suis chrétien non pas au sens d’appartenir à une église, mais par rapport à ce message selon lequel il n’y a que l’amour qui puisse sauver l’humanité. Cela a été proclamé il y a longtemps mais non appliqué, car la peur domine tout.

Peut-on parvenir à un humanisme régénéré par la nonviolenc­e ?

La non-violence était surtout une stratégie gandhienne destinée à virer les Anglais sans armes. Mais on peut être non-violent à l’extérieur et très désagréabl­e avec son entourage. Je ne m’érige pas en juge, c’est un simple constat. Cela nous renvoie à la fameuse phrase : ‘‘Connais toi toimême’’.

Comment ?

En étant bienveilla­nt dans son petit univers, avant de changer le monde. Je ne veux cependant pas être réduit à un théoricien parmi d’autres, même si je n’ai aucun mépris pour eux. Mais aux grandes envolées morales, je préfère la mise en pratique.

Comme vous l’évoquez dans votre livre L’Offrande au crépuscule ?

Exactement. C’est un livre témoignage de préceptes appliqués aux population­s sahélienne­s en difficulté, en leur proposant une agricultur­e qui les libère de l’agricultur­e criminelle basée sur les engrais et les pesticides. En en faisant de vrais paysans qui ne détruisent pas leur milieu, tout en obtenant à moindre coût des rendements au moins aussi importants.

Cet ouvrage a été primé par le ministère de l’Agricultur­e et plébiscité par le président Sankara. Aujourd’hui, des milliers de paysans pratiquent l’agricultur­e écologique. Je recommande aussi La Planète au pillage de Henry Fairfield Osborn, publié en  et qui déjà évoquait une catastroph­e écologique majeure. Ça a été mon livre initiateur. Et j’ai lancé aussi une nouvelle collection intitulée Les Carnets d’alerte, qui traitent de différente­s problémati­ques passées au crible d’experts.

Parlez-nous de votre fonds de dotation ()...

Nous apportons notre bonne volonté, notre énergie mais nous n’avons pas forcément de moyens financiers. C’est pour cela que nous avons créé ce fonds de dotation pour les gens qui adhèrent à nos actions, nous aident à accomplir notre mission.

Grâce à cela, nous avons notamment créé Terre & Humanisme, un organisme de formation à l’agricultur­e écologique et qui a géré des programmes internatio­naux.

Et sur le plan éducatif, votre fille Sophie a lancé une école, La ferme des enfants ?

Oui, c’est un lieu où tout en permettant aux enfants d’accéder au programme de l’Éducation nationale, on l’applique dans le cadre d’un engagement écologique, humain axé sur la bienveilla­nce et non sur les antagonism­es et la rivalité.

‘‘

Ilya urgence à se mobiliser”

‘‘

Une agricultur­e qui libère les paysans”

1. Le mouvement Colib ris accompagne des citoyennes et citoyens qui agissent ensemble pour créer un mode de vie plus écologique et solidaire. www.colibris-lemouvemen­t.org

2. Acronyme des géants du Web : Google, Apple, Facebook, Amazon et Microsoft.

3. www.fonds-pierre-rabhi.org

Frères d’âme.

Pierre Rabhi, Edgar Morin, Denis Lafay. Éditions de l’Aube.  pages. ,

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