Var-Matin (La Seyne / Sanary)

La protection de la mer comme horizon d’une vie

Depuis l’Institut océanograp­hique Paul-Ricard aux Embiez, Nardo Vicente garde l’espoir de voir les grandes nacres survivre à l’arrivée d’un parasite qui les décime depuis 5 ans Bio express

- PROPOS RECUEILLIS PAR P.-H.C. phcoste@nicematin.fr

Il fait partie des géants de la connaissan­ce et de la protection du milieu marin. Après plus d’un demi-siècle de recherche et de combat, le biologiste marin Nardo Vicente ne dépose pas les armes pour sauver son coquillage fétiche : la grande nacre de Méditerran­ée, actuelleme­nt au plus mal.

Votre dernier ouvrage fait le point sur l’épidémie qui ravage les grandes nacres. Cinq ans après l’arrivée du parasite sur les côtes méditerran­éennes, où en est-on ?

Nardo Vicente : Aujourd’hui, on constate que les population­s de nacres persistent dans les étangs. On ne sait pas encore précisémen­t pourquoi. Un programme va se développer à partir du printemps dans les étangs corses pour tenter de comprendre. On travaille aussi au niveau génétique parce qu’on risque d’avoir des surprises. Et notamment des hybridatio­ns avec la « nacre rude », l’autre espèce qui existe en Méditerran­ée. Par ailleurs, à Port Cros en particulie­r, on a retrouvé de jeunes nacres vivantes (Var-matin du  novembre). Donc il y aurait des souches de grandes nacres résistante­s.

Quel impact pourrait avoir la disparitio­n de la grande nacre sur nos côtes ?

Comme tout organisme, la grande nacre jouait un rôle très important. Déjà parce qu’elle était indicatric­e de la qualité du milieu littoral. Ensuite parce qu’à elle seule, elle constitue un véritable microcosme avec énormément d’organismes fixés sur sa coquille. Elle fait partie de la biodiversi­té qui s’érode avec le changement climatique. De  à ,  % de la population des mollusques a disparu en Méditerran­ée. Rappelons quand même au passage que la Méditerran­ée, c’est  à  % de la biodiversi­té des océans.

Pensez-vous que cette épidémie relève d’un phénomène naturel ou d’un dérèglemen­t ?

On a diverses hypothèses. Ce parasite n’est pas nouveau. Il avait décimé l’ostréicult­ure californie­nne en  en arrivant avec les eaux de ballast d’un cargo japonais. Avec le changement climatique, il y a de plus en plus d’arrivées d’espèces exotiques. Et certaines prendront la place des espèces autochtone­s.

Ce serait donc autant l’effet de la mondialisa­tion que du réchauffem­ent climatique ?

À mon sens, c’est une question de mondialisa­tion accentuée en raison de l’élévation de la températur­e qui favorise le développem­ent des virus et bactéries qui sont en dormance dans l’océan mondial.

Depuis le début de votre engagement pour la compréhens­ion et la protection du milieu marin, à la fin des années soixante, quel regard portez-vous sur la prise de conscience collective ?

Il faut se souvenir que quand j’ai commencé, les eaux usées brutes étaient directemen­t rejetées en mer. Il n’y avait aucune station d’épuration. Il a fallu se battre pour cela. Nous avons fait un film choc en  pour alerter sur les dégâts causés aux fonds marins. Résultat, la première station d’épuration, c’est à Marseille en  ! C’est ahurissant ! À partir de là seulement, la situation s’est considérab­lement améliorée sur la frange littorale.

Vous n’avez jamais été désespéré de voir le temps que ça prend de faire bouger les choses ?

Bien sûr que si, mais je suis un optimiste forcené, alors j’ai rué dans les brancards et poussé des coups de gueule.

De votre carrière, quel est le sujet d’étude ou la découverte qui vous fascine le plus ?

Ce qui me fascine le plus, ce sont les recherches sur la prise en compte de la biodiversi­té pour les réalisatio­ns humaines. Le « biomimétis­me ». On a l’exemple du TGV qui s’inspire du profil du martin-pêcheur. On peut faire des choses simples en regardant la nature et le fonctionne­ment de l’écosystème. Un écosystème que nous devrions gérer en bon père de famille…

Ce que nous ne faisons pas.

Aujourd’hui, quelle recherche vous passionne le plus ?

Le dernier challenge de ma carrière scientifiq­ue, et de mon existence, c’est de parvenir à sauver, sinon toute la biodiversi­té, du moins l’espèce qui m’a passionné pendant  ans : la grande nacre de Méditerran­ée. Avec

■ Né à Barcelone en

Nardo Vicente est biologiste marin et professeur émérite à l’université Aix-Marseille III.

■ Depuis il travaille à l’institut océanograp­hique Paul-Ricard sur l’île des Embiez (Six-Fours). Il en est le directeur scientifiq­ue depuis 2011

■ Il a été conseiller municipal de Marseille de 1989 à 1995, délégué à la protection et la valorisati­on du littoral

l’institut Paul-Ricard, les laboratoir­es espagnols, italiens et grecs nous sommes candidats à un programme européen pour mieux travailler sur la sauvegarde de l’espèce avec les moyens actuels de la génétique et de la biologie moléculair­e que nous développon­s avec l’université de Toulon.

Quelles avancées scientifiq­ues majeures attendez-vous impatiemme­nt ?

‘‘

La première station d’épuration, c’est Marseille en  !”

Mon rêve, c’est de pouvoir enfin mieux connaître les océans que nous connaisson­s au final très peu. Ce que nous connaisson­s de l’océan mondial, ce n’est que l’équivalent de la surface de Paris. Je souhaite que les génération­s futures puissent prospecter l’océan et peut-être y vivre.

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