Var-Matin (La Seyne / Sanary)

« L’ultra gauche s’appuie sur les mouvements sociaux »

Dans son dernier livre, Christophe Bourseille­r raconte l’histoire de cette mouvance qui se veut à la gauche de l’extrême gauche et qui fait de chaque foyer de contestati­on un axe d’insurrecti­on

- PROPOS RECUEILLIS PAR PHILIPPE MINARD/ALP Nouvelle histoire de l’ultra gauche

L’historien-essayiste Christophe Bourseille­r revient sur les origines(1) de ce mouvement et détaille méthodique­ment la manière dont cette branche de l’extrême gauche gangrène peu à peu les esprits, en s’affichant en tête des manifestat­ions via les blacks blocks, dans les ZAD ou au coeur des « gilets jaunes »… Le tout en restant ultra-minoritair­e en termes de militants.

Quel est le portrait-robot de l’ultra gauchiste aujourd’hui ?

On sait que les jeunes blacks blocs d’aujourd’hui, par exemple, sont principale­ment des jeunes gens blancs, issus des classes moyennes, généraleme­nt bien éduqués, ayant fait des études et très cultivés. Ils ont lu et lisent beaucoup de textes situationn­istes, comme ceux de Guy Debord ou de Claude Lefort. Ce sont tout sauf des prolétaire­s.

Blacks blocs, antifas, zadistes… Combien sont-ils ?

Ils appartienn­ent à la même famille, celle de la gauche libertaire, qui regroupe environ   personnes. Vous les voyez passer d’un front de lutte antifascis­te à un front de défense des migrants en passant par les manifestat­ions. Sur ces   antiautori­taires, on en dénombre  qui sont vraiment des casseurs. Ce sont des paramilita­ires, qui s’entraînent. Mais   personnes au total, ce n’est vraiment rien ! Et l’on parle tellement d’eux... Les blacks blocs étant ceux qui créent « l’événement » dans les manifestat­ions, ils sont en première ligne devant les appareils photos et les caméras, et sont en contact permanent avec les journalist­es. Les extrémiste­s seront toujours minoritair­es mais ils ont compris qu’ils pouvaient avoir de l’influence. Les chaînes d’informatio­ns en continu sont pour eux un extraordin­aire hautparleu­r ! En revanche, la tendance est à la déconnexio­n sur les réseaux sociaux, qui contrôlent beaucoup plus les contenus.

Quelle est la différence entre ultra-gauche et extrême gauche ?

L’extrême gauche couvre un ensemble de courants politiques de toutes sortes – trotskiste­s, maoïstes, anarchiste­s etc. – et l’ultra gauche est l’un de ces courants. Historique­ment, l’ultra gauche est un courant marxiste antiautori­taire, qui a vu le jour en , lorsque Lénine a publié une brochure intitulée La maladie infantile du communisme, dans laquelle il critiquait ceux qui affirmaien­t qu’il était en train de construire une dictature en Russie. Lénine les a accusés d’être une « ultragauch­e ». Historique­ment, ceux qui appartienn­ent à l’ultragauch­e aujourd’hui sont les héritiers de ces lointains opposants de gauche à Lénine, juste après la

Révolution d’Octobre.

Justement, après la chute du mur de Berlin, on ne prédisait guère d’avenir à cette ultragauch­e qui s’est bâtie sur le « capitalism­e d’État » de l’Union soviétique…

C’est vrai. Elle s’est promenée, tout au long du XXe siècle, comme un serpent de mer. C’était une sorte de contre-culture ultra-clandestin­e dans laquelle étaient brassées énormément d’idées. Parmi ces idées, il y en a une qui a fait fortune en  et qui vient de Guy Debord (). Il a jugé à l’époque que le combat le plus important de la fin du XXe siècle était celui contre les nuisances. Il s’agissait pour lui des nuisances environnem­entales. De sorte que nous avons vu apparaître, de manière très discrète, un courant écologiste radical, à ne pas confondre avec les courants écologiste­s modérés que nous connaisson­s. Au début des années , ce courant a connu une envolée, notamment quand ces ultras gauchistes ont eu l’idée de créer les ZAD, que l’on appelle tantôt « zones à défendre », tantôt « zone d’autonomie défensive » ou encore « zone d’autonomie durable ».

Être zadiste aujourd’hui, c’est donc revendique­r un positionne­ment politique ?

La stratégie des activistes de l’ultragauch­e, ce n’est jamais de prendre la direction d’une lutte, mais de toujours donner l’exemple en laissant les autres s’organiser à côté. Dans le cas des ZAD de NotreDame-des-Landes, par exemple, ils ont laissé venir des gens sur des zones qu’ils considérai­ent avoir « libérées ». Parmi ces gens, il y avait des adeptes de la permacultu­re, des vegans, des artisans etc., des gens qui n’étaient pas spécialeme­nt d’ultragauch­e au départ mais qui ont été séduits par l’idée d’un mode vie alternatif. J’ajoute que l’ultragauch­e s’appuie sur les mouvements sociaux - les « gilets jaunes » par exemple mais jamais sur les luttes de libération internatio­nales – Vietnam, Palestine etc. – au contraire de l’extrême gauche. Elle considère que le prolétaria­t n’est plus la classe qui fera la révolution. Raison pour laquelle elle préfère

‘‘ Ce sont tout sauf des prolétaire­s”

‘‘ Les gens malheureux sont une source d’avenir pour eux”

s’intéresser aux « classes dangereuse­s », c’est-à-dire les voyous, les marginaux, les sansabri. Pour les récupérer et s’appuyer sur eux pour propager l’étincelle révolution­naire. Les gens malheureux sont une source d’avenir pour eux.

C’est ce qui vous fait écrire que ce mouvement « se fond dans les troubles du siècle » ?

Tout à fait et c’était son objectif. Quand, par exemple, le mouvement des « gilets jaunes » est apparu, les blacks blocs ont été très heureux de voir que certains « gilets jaunes », pas tous, les soutenaien­t et même cassaient avec eux. Ils ont estimé avoir réussi à donner l’exemple. Je précise ici que sous le nom de blacks blocs, il s’agit en fait de parler d’une pratique qui consiste, pour les militants de l’ultragauch­e à se constituer en blocs autonomes à la tête des cortèges dans les manifestat­ions.

Vous évoquez aussi le laisser-faire de syndicats…

L’attitude des syndicats vis-à-vis des casseurs a beaucoup changé depuis la chute du mur de Berlin. Tout simplement parce qu’avec la déstalinis­ation du bloc soviétique, les syndicats qui étaient par exemple contrôlés de A à Z par le parti communiste se sont ouverts à la dissidence et ont été pénétrés par l’extrême gauche qui, vis-à-vis des blacks blocs, a une attitude beaucoup plus compréhens­ive que ne l’avaient autrefois les militants du parti communiste. Le service d’ordre de la CGT de l’époque n’aurait jamais laissé des manifestan­ts casser et piller les magasins. La balle est donc dans le camp des syndicats, qui doivent sans doute se doter de vrais services d’ordre.

1.

(Les éditions du Cerf), 374 pages, 24 euros.

2. Écrivain théoricien et cinéaste révolution­naire

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(Photo ALP)

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