« L’ultra gauche s’appuie sur les mouvements sociaux »
Dans son dernier livre, Christophe Bourseiller raconte l’histoire de cette mouvance qui se veut à la gauche de l’extrême gauche et qui fait de chaque foyer de contestation un axe d’insurrection
L’historien-essayiste Christophe Bourseiller revient sur les origines(1) de ce mouvement et détaille méthodiquement la manière dont cette branche de l’extrême gauche gangrène peu à peu les esprits, en s’affichant en tête des manifestations via les blacks blocks, dans les ZAD ou au coeur des « gilets jaunes »… Le tout en restant ultra-minoritaire en termes de militants.
Quel est le portrait-robot de l’ultra gauchiste aujourd’hui ?
On sait que les jeunes blacks blocs d’aujourd’hui, par exemple, sont principalement des jeunes gens blancs, issus des classes moyennes, généralement bien éduqués, ayant fait des études et très cultivés. Ils ont lu et lisent beaucoup de textes situationnistes, comme ceux de Guy Debord ou de Claude Lefort. Ce sont tout sauf des prolétaires.
Blacks blocs, antifas, zadistes… Combien sont-ils ?
Ils appartiennent à la même famille, celle de la gauche libertaire, qui regroupe environ personnes. Vous les voyez passer d’un front de lutte antifasciste à un front de défense des migrants en passant par les manifestations. Sur ces antiautoritaires, on en dénombre qui sont vraiment des casseurs. Ce sont des paramilitaires, qui s’entraînent. Mais personnes au total, ce n’est vraiment rien ! Et l’on parle tellement d’eux... Les blacks blocs étant ceux qui créent « l’événement » dans les manifestations, ils sont en première ligne devant les appareils photos et les caméras, et sont en contact permanent avec les journalistes. Les extrémistes seront toujours minoritaires mais ils ont compris qu’ils pouvaient avoir de l’influence. Les chaînes d’informations en continu sont pour eux un extraordinaire hautparleur ! En revanche, la tendance est à la déconnexion sur les réseaux sociaux, qui contrôlent beaucoup plus les contenus.
Quelle est la différence entre ultra-gauche et extrême gauche ?
L’extrême gauche couvre un ensemble de courants politiques de toutes sortes – trotskistes, maoïstes, anarchistes etc. – et l’ultra gauche est l’un de ces courants. Historiquement, l’ultra gauche est un courant marxiste antiautoritaire, qui a vu le jour en , lorsque Lénine a publié une brochure intitulée La maladie infantile du communisme, dans laquelle il critiquait ceux qui affirmaient qu’il était en train de construire une dictature en Russie. Lénine les a accusés d’être une « ultragauche ». Historiquement, ceux qui appartiennent à l’ultragauche aujourd’hui sont les héritiers de ces lointains opposants de gauche à Lénine, juste après la
Révolution d’Octobre.
Justement, après la chute du mur de Berlin, on ne prédisait guère d’avenir à cette ultragauche qui s’est bâtie sur le « capitalisme d’État » de l’Union soviétique…
C’est vrai. Elle s’est promenée, tout au long du XXe siècle, comme un serpent de mer. C’était une sorte de contre-culture ultra-clandestine dans laquelle étaient brassées énormément d’idées. Parmi ces idées, il y en a une qui a fait fortune en et qui vient de Guy Debord (). Il a jugé à l’époque que le combat le plus important de la fin du XXe siècle était celui contre les nuisances. Il s’agissait pour lui des nuisances environnementales. De sorte que nous avons vu apparaître, de manière très discrète, un courant écologiste radical, à ne pas confondre avec les courants écologistes modérés que nous connaissons. Au début des années , ce courant a connu une envolée, notamment quand ces ultras gauchistes ont eu l’idée de créer les ZAD, que l’on appelle tantôt « zones à défendre », tantôt « zone d’autonomie défensive » ou encore « zone d’autonomie durable ».
Être zadiste aujourd’hui, c’est donc revendiquer un positionnement politique ?
La stratégie des activistes de l’ultragauche, ce n’est jamais de prendre la direction d’une lutte, mais de toujours donner l’exemple en laissant les autres s’organiser à côté. Dans le cas des ZAD de NotreDame-des-Landes, par exemple, ils ont laissé venir des gens sur des zones qu’ils considéraient avoir « libérées ». Parmi ces gens, il y avait des adeptes de la permaculture, des vegans, des artisans etc., des gens qui n’étaient pas spécialement d’ultragauche au départ mais qui ont été séduits par l’idée d’un mode vie alternatif. J’ajoute que l’ultragauche s’appuie sur les mouvements sociaux - les « gilets jaunes » par exemple mais jamais sur les luttes de libération internationales – Vietnam, Palestine etc. – au contraire de l’extrême gauche. Elle considère que le prolétariat n’est plus la classe qui fera la révolution. Raison pour laquelle elle préfère
‘‘ Ce sont tout sauf des prolétaires”
‘‘ Les gens malheureux sont une source d’avenir pour eux”
s’intéresser aux « classes dangereuses », c’est-à-dire les voyous, les marginaux, les sansabri. Pour les récupérer et s’appuyer sur eux pour propager l’étincelle révolutionnaire. Les gens malheureux sont une source d’avenir pour eux.
C’est ce qui vous fait écrire que ce mouvement « se fond dans les troubles du siècle » ?
Tout à fait et c’était son objectif. Quand, par exemple, le mouvement des « gilets jaunes » est apparu, les blacks blocs ont été très heureux de voir que certains « gilets jaunes », pas tous, les soutenaient et même cassaient avec eux. Ils ont estimé avoir réussi à donner l’exemple. Je précise ici que sous le nom de blacks blocs, il s’agit en fait de parler d’une pratique qui consiste, pour les militants de l’ultragauche à se constituer en blocs autonomes à la tête des cortèges dans les manifestations.
Vous évoquez aussi le laisser-faire de syndicats…
L’attitude des syndicats vis-à-vis des casseurs a beaucoup changé depuis la chute du mur de Berlin. Tout simplement parce qu’avec la déstalinisation du bloc soviétique, les syndicats qui étaient par exemple contrôlés de A à Z par le parti communiste se sont ouverts à la dissidence et ont été pénétrés par l’extrême gauche qui, vis-à-vis des blacks blocs, a une attitude beaucoup plus compréhensive que ne l’avaient autrefois les militants du parti communiste. Le service d’ordre de la CGT de l’époque n’aurait jamais laissé des manifestants casser et piller les magasins. La balle est donc dans le camp des syndicats, qui doivent sans doute se doter de vrais services d’ordre.
1.
(Les éditions du Cerf), 374 pages, 24 euros.
2. Écrivain théoricien et cinéaste révolutionnaire