Var-Matin (La Seyne / Sanary)

Un Ehpad d’Orpea visé par une plainte

Le dernier Zone Interdite a révélé des actes de maltraitan­ce au sein d’un Ehpad de Roquebrune-Cap-Martin. La famille a déposé plainte.

- CÉLIA MALLECK cmalleck@nicematin.fr

L’Ehpad Les Citronnier­s est dans l’embarras. Dans son dernier numéro, diffusé dimanche soir sur M6, l’équipe de « Zone Interdite » a révélé des actes de maltraitan­ce dans cette maison de retraite située à Roquebrune-Cap-Martin. Un établissem­ent privé appartenan­t au groupe Orpea, dont les pratiques scandaleus­es ont été révélées début 2022 par le livre Les Fossoyeurs du journalist­e Victor Castanet.

L’émission s’appuie sur le témoignage de Jean, un résident dont la santé se serait dégradée depuis son admission, en novembre 2021. Selon sa fille, Catherine Ipert, le nonagénair­e aurait perdu 30 kg en l’espace de neuf mois, la quasi-totalité de ses dents, son autonomie et l’usage de la parole alors qu’il ne présentait a priori aucune pathologie.

L’avant-après est frappant. L’ex-crooner bien portant et mobile a laissé place à un homme dénutri et veule, vissé sur un fauteuil roulant. Il a le visage creusé, blindé d’hématomes et de bosses que le personnel de l’Ehpad ne sait pas toujours expliquer. La famille s’inquiète de voir l’homme de 92 ans dépérir si vite. Face au silence de la direction, elle s’interroge : Jean est-il victime de négligence et de maltraitan­ce ?

« Touche pas, sinon je te coupe les doigts »

Pour le savoir, des caméras cachées sont installées dans sa chambre. Durant quatre jours, le vieil homme est filmé dans son lit. Le premier soir, on découvre que son dîner (entrée, plat, dessert) lui est servi en 4 minutes. Hors champ, on l’entend s’étouffer. Il peine à déglutir. Le jour d’après, Jean est mis au lit en milieu d’après-midi et laissé là jusqu’au lendemain. Il restera allongé pendant 19 heures.

D’autres extraits vidéo révèlent les toilettes sommaires, contenues au visage et aux parties intimes, et le manque de considérat­ion du personnel. On le voit se faire réveiller brusquemen­t à 5 heures du matin par une aidesoigna­nte. Le nonagénair­e est encore dans le gaz. Il bouge maladroite­ment ses jambes atrophiées alors que l’employée s’apprête à remplacer son change. Elle s’agace, le retourne brutalemen­t sur le côté et appuie fermement sur ses bras pour qu’il reste tranquille. Le vieil homme articule un «aïe» sans qu’elle ne sourcille. Un peu plus tard, une autre employée arrive. Elle est au téléphone et continue sa conversati­on sans un mot pour le nonagénair­e. « Énervée », elle se plaint de la surcharge de travail. Elle le manipule sans ménagement et le prévient en le déculottan­t : « Touche pas, sinon je te coupe les doigts. »

« On leur faisait confiance »

Les images révulsent sa fille. Catherine est envahie par un mélange de colère et de peine. « J’ai eu envie de foncer à l’Ehpad, nous avoue-t-elle au lendemain de la diffusion du « Zone Interdite ». C’est terrible de voir mon papa sans défense. On leur faisait confiance. » La Roquebruno­ise avait été séduite par la brochure de l’Ehpad Les Citronnier­s. L’établissem­ent d’hébergemen­t pour personnes âgées dépendante­s était récent. Il offrait une pension de « haut standing » et un « accompagne­ment personnali­sé » moyennant 3 800 euros par mois.

Mais la famille a vite déchanté et a pris la décision de le transférer à la Maison Russe de Menton. Un Ehpad public où Jean coule des jours heureux depuis la rentrée. « Il reprend du poids et sort tout doucement de son mutisme, se réjouit Catherine. J’ai l’impression de retrouver mon papa. »

80 plaintes déposées

L’affaire n’en restera pas là. La famille a saisi une avocate parisienne, Sarah Saldmann, qui a déposé 80 plaintes contre Orpea pour maltraitan­ce et mise en danger d’autrui. Interviewé­e par l’équipe de « Zone Interdite », le directeur général du groupe, Laurent Guillot reconnaît que les images tournées dans leur établissem­ent roquebruno­is sont « terribles ». « Elles montrent qu’on a un travail à faire sur la formation, l’accompagne­ment et le recrutemen­t. »

La direction dénonce ces comporteme­nts

De son côté, la direction des Citronnier­s condamne ces agissement­s. « Nous avons découvert dans ce reportage que des comporteme­nts inacceptab­les avaient été filmés au sein de la résidence, et ce malgré les formations régulières et les procédures qui encadrent nos pratiques », explique-t-elle à Nice Matin.

« Ces comporteme­nts, que nous dénonçons fermement, ne reflètent en rien la façon dont l’équipe composée de 62 collaborat­eurs exerce son métier au quotidien », assure-t-elle en précisant que « des mesures disciplina­ires ont été prises le 30 janvier » à l’encontre de deux employées filmées.

Pour améliorer sa prise en charge, l’Ehpad entend poursuivre les « ateliers bientraita­nce » mis en place en 2022, après la médiatisat­ion du scandale. Il s’est par ailleurs fixé pour objectif de « stabiliser et de renforcer l’équipe qui prend soin des résidents ». Depuis le printemps, Les Citronnier­s ont recruté trois nouvelles personnes, dont un médecin et une infirmière coordinatr­ice. Reste à savoir si ce sera payant.

 ?? (Photo Sébastien Botella) ?? Jean, 92 ans, a perdu 30 kg et la quasi-totalité de ses dents, neuf mois après son admission, selon ses proches.
(Photo Sébastien Botella) Jean, 92 ans, a perdu 30 kg et la quasi-totalité de ses dents, neuf mois après son admission, selon ses proches.

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