Var-Matin (La Seyne / Sanary)

Le carnaval de Nice CÉLÈBRE SES 150 ANS

On célèbre, cette année, le siècle et demi du lancement du grand événement niçois, le 23 février 1873. Coup d’oeil dans le rétro.

- ANDRE PEYREGNE magazine@nicematin.fr

Soudain, sur la place de la Préfecture, apparut le char du Soleil. La foule, qui avait pris place sur des tribunes aménagées pour la circonstan­ce, explosa en vivats. Des oriflammes étaient agitées aux fenêtres. Une pluie de confetti s’abattit sur le char. En ce 23 février 1873 le « nouveau carnaval » faisait son entrée dans sa bonne ville de Nice. C’était il y a cent cinquante ans. On célèbre cette année le siècle et demi de son lancement. La préfecture se trouvait alors dans le Palais Sarde. À cette époque, le corso carnavales­que suivait le cours Saleya, tournait sur la place de la Préfecture et repartait par la rue SaintFranç­ois de Paule. Il se déroulait dans ce qu’on appelle le « Vieux Nice ». Derrière le char du Soleil suivaient ceux de la « Marmite du Diable » et de l’ « Olympe » (avec Vénus et Jupiter en personne, s’il vous plaît !) ainsi que les quatre cavalcades des « Carabinier­s d’Offenbach », des « Brigands », des « Mousquetai­res » et des « Templiers ». On entendait le piétinemen­t métallique des sabots ferrés des chevaux sur le sol. Les cavaliers étaient dotés d’uniformes et de bonnets carnavales­ques. Les Niçois accueillai­ent leur nouveau carnaval, mais la fête, elle-même, était ancienne.

Dès le XIIIe siècle

On en trouve trace dès 1294 lorsque le comte de Provence Charles II, duc d’Anjou, vint y « passer des jours joyeux ». Des bals s’y déroulaien­t à tout va – bals de la noblesse, des marchands, des artisans, des pêcheurs et des ouvriers. L’Église interdisai­t aux prêtres « de danser, de regarder danser, de porter des cheveux longs, une barbe, des masques et des souliers rouges ou vert ! »

Peu à peu, avec le temps, des cortèges de voitures à chevaux apparurent. L’histoire de Nice se souvient de celui de 1821 lorsque la Cour de Sardaigne vint passer les fêtes à Nice ; de celui de 1830 qui se déroula en présence du duc de Savoie CharlesFél­ix ; de celui de 1856 qui eut lieu devant la mère du tsar de Russie Alexandra Feodorovna. Après l’annexion de Nice à la France en 1860, la fête fut encore plus belle. Mais la guerre de 1870 l’éteignit. De même, la période trouble qui suivit, au cours de laquelle Garibaldi voulut faire revenir Nice à l’Italie, lui fit perdre sa joie.

Il fallait redonner à Nice l’envie de la fête ! Un homme s’y employa. Ce fut Andriot Saëtone

Création du comité des fêtes

Il fallait redonner à Nice le goût de la fête ! Un homme s’y employa. Ce fut Andriot Saëtone. Ce responsabl­e du secteur social et des orphelins à la Préfecture, qui fut par ailleurs consul de Grèce et consul d’Argentine mourut jeune, à l’âge de 49 ans. Il eut pourtant le temps de créer à Nice, en 1873, le comité des fêtes. Convainqua­nt le maire Auguste Raynaud qu’il fallait « rendre à Nice son ancienne splendeur », il créa un « grand carnaval », ainsi que le raconte Annie Sidro dans ses indispensa­bles ouvrages sur le sujet. Le comité des fêtes comprenait des nobles niçois et des membres de l’importante colonie étrangère : les comtes d’Aspremont, Arson de Saint -Joseph, Garin de Cocconato, Diesbach (dont la villa se trouvait à l’emplacemen­t de l’actuelle Villa Masséna), le baron Roissard de Bellet, le banquier Avigdor (dont la splendide villa trônait au milieu de la Promenade des Anglais), le noble Léonard Rozy qui hébergeait la famille du tsar lors de ses séjours niçois dans sa Villa Peillon (actuelle clinique du Parc Impérial).

Pour faire vivre le carnaval, on fit aussi appel aux dotations étrangères. C’est ainsi que la Société des Bains de Mer de Monaco apporta une contributi­on financière qui devint, avec les années, aussi importante que celle de la Ville de Nice. Cela faisait dire au Journal de Monaco que « le carnaval était autant monégasque que niçois ». Cette participat­ion financière faillit être compromise lorsqu’en 1877 François Blanc, créateur du Casino de Monte-Carlo, apprit qu’il allait être caricaturé sur un char de carnaval. On dut retirer le char pour ne pas perdre la subvention.

Toute allusion religieuse prohibée

En 1873, la municipali­té niçoise, inquiète des débordemen­ts que pouvait susciter l’arrivée du nouveau carnaval, prit cet arrêté : « Les personnes qui prendront part aux amusements ne pourront lancer que des fleurs ou des dragées de petite taille... Il est interdit de lancer tout objet qui puisse blesser, endommager ou salir les vêtements tels que des oeufs remplis de quelque matière que ce soit... Toute allusion politique, religieuse ou militaire est rigoureuse­ment interdite et tout déguisemen­t qui pourrait blesser la décence ou les moeurs... » Le Journal de Nice du 24 février 1873 s’éblouit. Bien avant notre actuelle spécialist­e du carnaval à Nice-Matin, Christine Rinaudo, le chroniqueu­r de l’époque raconte : « Les cavalcades ont fait dans la foule un merveilleu­x effet. On lance des fenêtres, des tribunes, des torrents de confetti, c’est une vraie bataille... Le soir, la ville et le château illuminé n’étaient qu’un ruban de feu. » Le nouveau carnaval de Nice était lancé !

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(Photo Musée Masséna) Le corso de 1875 semblable à celui de 1873, sur la place de la Préfecture.
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(DR) Andriot Saëtone, créateur du comité des fêtes et du carnaval.

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