Var-Matin (La Seyne / Sanary)

« Je suis devenu Toulonglai­s »

Arrivé en qualité de centre en 2001, Tom Whitford n’imaginait pas qu’il resterait 17 ans sur la rade. Joueur, traducteur puis team manager, l’Anglais a vécu « une vie entière » sur la rade.

- PROPOS RECUEILLIS PAR PIERRICK ILIC-RUFFINATTI

Ce soir, la rencontre sera particuliè­re, entre son club actuel (Montpellie­r) et celui duquel il a défendu les couleurs pendant dix-sept belles années. Joueur de 2001 à 2006, joueur/traducteur la saison suivante, et enfin team manager a succès, Tom Whitford a tout connu sur la rade. « Dix-sept années, c’est une vie entière. J’ai les souvenirs qui remontent chaque semaine où je sais qu’on va croiser le RCT. Et ce n’est pas parce que j’ai quitté Toulon depuis 2018 que j’ai oublié le Rouge et le Noir. » Il n’a pas non plus oublié les fous-rires, ni les anecdotes, avec lesquels il pourrait « écrire cinq livres ».

Comment, êtes-vous arrivé à Toulon, en 2001 ?

Avant Toulon, j’avais rejoint Perpignan en 1999. À l’époque, je jouais pour Richmond, dans la banlieue de Londres. Nous avions un président, Ashley Levett, qui avait mis beaucoup d’argent et avait des recrues stars. Il voulait également améliorer le stade, sauf qu’il n’a pas eu les permis. Au bout d’un certain temps, agacé, il s’est retiré. Là, le club est redescendu, et 35 joueurs se sont retrouvés sans club. Je pouvais : devenir prof de sport, bosser dans la finance ou continuer le rugby. J’avais 27 ans, j’étais célibatair­e et je me suis dit que c’était une occasion de découvrir la France.

Et ensuite ?

En mai 2001, j’arrivais à la fin de mon contrat, et Olivier Saïsset, l’entraîneur, m’a expliqué que je ne serai pas conservé. Et là, Manu Diaz, Michel Bonnus et Jérôme Gallion m’ont demandé de venir. Voilà comment j’ai rejoint le RCT.

‘‘ Quel club découvrezv­ous alors ?

Il m’a fallu un seul match pour savoir où je mettais les pieds (rires) ! On jouait au Racing. Et au moment d’entrer sur la pelouse, nos premières lignes se mettent des coups de tête pour monter en températur­e. Sauf que Coco Rivier et Philip Fitzgerald sortent la tête en sang. On était tous sur la pelouse, en attendant qu’ils soient recousus (rires).

Le match se passe, et finalement on perd d’un point. Rien de grave ? C’est mal connaître Toulon, puisque Michel, Jérôme et Manu avaient convoqué tous les joueurs pour une réunion de crise !

« comme toujours » Mais pourquoi Toulon, alors que le club venait d’être relégué administra­tivement en 2000 ?

Parce que Toulon et son histoire m’attiraient. Alors même si ce n’était pas très stable, je voulais tenter le pari. Et je suis tombé amoureux de ce club.

Qu’est-ce qui vous a plu, finalement, à Toulon ?

La combativit­é, cette envie de se dépasser. C’est aussi ce que je venais chercher. Car je n’ai jamais été le plus talentueux, mais je me suis toujours accroché, et je me sentais bien à Toulon. Je suis carrément devenu “Toulonglai­s” !

Vous jouez six saisons. Pourquoi raccrochez-vous finalement les crampons en 2007 ?

Déjà, j’allais sur mes 36 ans. Et surtout, mes deux blessures m’avaient épuisé. Ma rupture des ligaments croisés, d’abord, en janvier 2005. Là encore, c’était une drôle d’époque...

Dites-nous...

Après ma blessure, sur la pelouse de Bordeaux, je vais voir le “doc”. Et là, il me dit “Tom, je pense que tu peux jouer si tu strappes bien ton genou”. J’ai alors joué trois rencontres, alors même que je ne pouvais pas plier le genou (rires). Bon, finalement, tout a lâché contre Dax. Et là, quand j’étais en pleine convalesce­nce, on m’a découvert un cancer de la peau... Heureuseme­nt, ma femme m’a épaulé.

Avez-vous pu rejouer ensuite ?

Je suis revenu pour le dernier match de la saison 2005-2006, face à Agen. On

était déjà rélégué, et j’ai démarré sur le banc. Je rentre vingt minutes, je mets un essai et deux/trois bons plaquages. Là, les supporters chantent un peu mon nom. Avec l’accent toulonnais, ça faisait “Wiltor, Wiltor” (rires). Et Mourad [Boudjellal], qui était là depuis quelques mois, me dit dans le vestiaire :

« Tom, les supporters t’aiment bien... Viens dans mon bureau lundi ».

Là, il m’a expliqué qu’il allait recruter pas mal d’étrangers, et qu’il avait besoin de quelqu’un capable de traduire. C’est grâce à Mourad que le club a pris une autre dimension...

C’est donc à l’été 2006 que vous êtes devenu team manager ?

Pas encore. J’étais surtout là pour traduire. Sauf que moi, je voulais conserver une licence amateur, ce qui me permettait de faire trois matchs dans la saison. Alors j’étais le premier traducteur à jouer en Pro D2 (rires). Je suis ensuite devenu le premier team manager en France.

Qu’attendait-on de vous ?

Faire le lien entre les Français et les étrangers, entre les joueurs et le staff. Je les aidais au quotidien, pour les problémati­ques de

maison, de voiture, les choses administra­tives. Je devais aussi m’occuper des déplacemen­ts, de la presse... Puis quelque part, j’avais une relation privilégié­e avec les joueurs. Je les aidais à régler leurs petits soucis, leurs crises, leurs joies... Si tu n’es pas heureux dans ton boulot, tu as du mal à te lever le matin. Et c’est d’autant plus vrai à l’autre bout du monde. Le rugby est une aventure humaine, et moi, je devais faire attention à ce que tout le monde soit heureux dans son quotidien. Enfin, je mettais en place des cours de Français.

Les joueurs étaient-ils volontaire­s ?

Ça dépendait des mecs, mais j’ai une belle anecdote, qui concerne Bakkies Botha. Je lui explique le fonctionne­ment des cours, et il y va... Sauf qu’après deux leçons, je vois qu’il est contrarié. Je lui demande ce qu’il y a. « Rien rien, ça va ». Il y retourne, et la 4e fois il sort à nouveau le regard bas. « Ça va Bakkies ? » « Oui, mais je ne comprends pas pourquoi on prend des leçons, je suis obligé ? », « Oui Bakkies, il faut que tu t’imprègnes de la culture, que tu parles la langue » « OK, c’est toi le boss ». Sauf qu’à la 5e leçon, rebelote. Et

là, Bakkies me dit

« Tom, je ne suis pas venu à Toulon pour apprendre le Français. Je suis venu à Toulon pour casser des têtes ! »

(rires). Il n’a plus pris une leçon, mais comme il “cassait des têtes” tous les week-ends, personne n’avait rien à lui reprocher.

Et comment fait-on pour traduire du Bernard Laporte ?

Bernard était un personnage incroyable. Et entier. Mais ce n’était pas toujours facile, il fallait parfois arrondir un peu les angles. Et j’ai un exemple qui me vient en tête. On perd contre Grenoble [21-22, le 4 janvier 2014] .Le lendemain, Bernard nous convoque à 8 heures, un dimanche, pour une séance vidéo. Tout le monde arrive déçu, fatigué. Et Bernard nous attend avec son laser. Et dès le début, il vise Danie Roussow. « Là, tu marches. Là, tu marches. Là, tu marches. Tu es un enc***. Hier, on a joué à quatorze à cause de toi. » Alors moi, j’essayais de traduire : «Làtu marches, ce n’est pas bon pour l’équipe ». Sauf que Danie voyait bien dans le regard de Bernard qu’il était bien plus véhément.

Et alors ?

Bernard enchaîne : « Tu sais, je n’aurai pas aimé jouer avec toi. Hier on était quatorze. » Je traduis : « Bernard aimerait vraiment que tu fasses plus d’efforts... » Mais à la fin, juste avec le ton, Danie avait tout compris. Et il est venu me voir : « Tom, je vais le tuer, même mon père ne m’a jamais parlé comme ça!» Je lui ai suggéré de se calmer, et d’attendre le mercredi. Et quand on est arrivé dans le bureau de Bernard, il nous a dit : « Je t’attendais, je voulais te parler », ce qui a surpris tout le monde. « Danie, tu es un grand joueur, et j’ai besoin de toi. Mais il faut que tu sois à 100 %, que tu perdes un peu de poids. Tu ne peux pas faire un match comme celui face à Grenoble ». C’était hyper constructi­f. Et finalement, Danie était titulaire en finale de Champions Cup.

Finalement, pourquoi quitter le RCT en 2018 ?

Jusqu’alors, je ne connaissai­s que le fonctionne­ment du RCT. Je voulais découvrir mon métier dans un nouveau contexte. Puis nous voulions vivre de nouvelles choses avec ma famille. Et nous n’avons pas regretté, car nous avons vécu des émotions très fortes. Sur le rugby, mais également en dehors. Ma femme est devenue peintre, nos enfants ont pu s’ouvrir l’esprit. Et puis pour le terrain, j’ai rencontré une nouvelle famille, et vécu de magnifique­s moments en quatre ans à Montpellie­r. Et même si cette décision de quitter Toulon a été la plus compliquée de ma vie à prendre, j’ai eu la chance que tout se passe à merveille au MHR...

Un seul match pour savoir où je mettais les pieds ”

Pourrait-on vous imaginer un jour de retour à Toulon ?

Pour l’instant, je suis à Montpellie­r. Ensuite, je ne sais pas. Ce qui est certain, c’est que notre maison est toujours à Toulon (sourire).

‘‘ Tom, je suis venu à Toulon pour casser des têtes ! ”

 ?? (Photo Patrick Blanchard) ?? Depuis ses débuts en tant que team manager, Tom Whitford (ici avec Jonny Wilkinson, en 2009) a connu douze finales (dont dix à Toulon), pour six titres (quatre avec le RCT).
(Photo Patrick Blanchard) Depuis ses débuts en tant que team manager, Tom Whitford (ici avec Jonny Wilkinson, en 2009) a connu douze finales (dont dix à Toulon), pour six titres (quatre avec le RCT).
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