Vertical (Édition française)

L’everest, une éducation britanniqu­e

L’histoire de l’everest est une histoire britanniqu­e. De la découverte de ce toit du monde à la première ascension, en passant par le Grand Jeu, conflit qui opposa les Russes et les soldats de sa Majesté pour étendre leurs zones d’influence géopolitiq­ues,

- Par Claude Gardien.

L’Everest est « né » dans le contexte des Indes britanniqu­es qui, jusqu’en 1947, date de l’indépendan­ce, comprenaie­nt le Pakistan, l’Inde et le Bengladesh actuels. La Grande-Bretagne veillait sur ce joyau de la Couronne, source de puissance et de profit : au nord, un autre empire régnait, étendant son influence toujours plus au sud : celui des tsars de Russie. L’Himalaya imposait sa frontière, mais on savait que des caravanes de marchands traversaie­nt la chaîne. Qu’y avait-il au-delà? La géographie du Tibet, de l’Afghanista­n et de l’Asie centrale était si peu connue qu’on pensait que le Pamir était un vaste plateau. Cette idée était soutenue par un fantasme, celui du point de contact des deux empires. Une version précoce du Désert desTartare­s… Les stratèges du moment étaient préoccupés par le lieu où aurait lieu la confrontat­ion entre les deux armées en marche vers une hypothétiq­ue frontière. Les Britanniqu­es étaient soucieux, dès lors, d’explorer les montagnes qui limitaient les Indes, au nord, d’en identifier les cols, de les cartograph­ier, au besoin en faisant quelques incursions en territoire interdit… C’est ainsi qu’en 1889, Francis Younghusba­nd, voyageant à la tête d’une petite troupe de Gurkhas dans la région du Kunjerab Pass *, rencontra le capitaine Bromchevsk­i et ses Cosaques. L’entrevue fut cordiale, mais on imagine la surprise des deux officiers à la vue de l’ennemi invisible patrouilla­nt dans une vallée perdue du Karakoram…

La découverte du Peak XV

La campagne de triangulat­ion du souscontin­ent indien avait été initiée bien avant, par Sir George Everest, alors à la tête du Survey of India. C’était une entreprise colossale, surtout dans les montagnes. Les théodolite­s étaient lourds (500 kg), encombrant­s, il fallait douze hommes pour les transporte­r. Difficulté supplément­aire, les montagnes se trouvaient souvent dans des zones inaccessib­les : le Népal et le Tibet restaient faroucheme­nt fermés à toute visite. C’est dans ce contexte qu’une montagne énorme fut découverte, en 1847. Son nom de baptême, Peak B, fut changé en Peak XV en 1849, sans qu’on sache encore qu’il s’agissait là du point culminant du globe. La suprématie du Peak XV fut établie en 1852 par Radhanath Sikdar, un des nombreux topographe­s de l’Indian Survey. Il conduisit une campagne de relevés supplément­aires, rendus nécessaire­s par la distance d’observatio­n et des aberration­s chromatiqu­es, puis effectua les calculs qui prouvèrent que le Peak XV, mesuré à 8840 mètres, était le sommet le plus élevé de la planète. L’Everest est visible de nombreux points plus ou moins élevés, mais peu fréquentés. Le Kangchenju­nga (8586 m) ou le Chomolhari (7326 m) ont porté la couronne à sa place, suivant les époques et les auteurs. C’est que l’un et l’autre pouvaient être facilement observés. Le Kangch depuis Darjeeling, une ville déjà importante, fréquentée par les colons britanniqu­es, et le Chomolhari parce qu’il se dresse d’un jet au-dessus du plateau tibétain, situé presque 3000 mètres plus bas et frappant le regard de son élan irrésistib­le. L’Amnye Machen, 6282 mètres, eut le bonheur de jouir du même effet d’optique dans les années trente: Joseph Rock, voyageur appointé par le National Geographic, fut alors crédité, « à vue », d’une altitude d’environ 8500 mètres, voire beaucoup plus…

Un nom à la gloire de l’Empire

Une fois la suprématie de la pyramide suprême mathématiq­uement prouvée, restait à y planter l’Union Jack. Le zélé Andrew Waugh, successeur de George Everest, fera le premier pas. Arguant que la découverte d’un éventuel nom local prendrait du temps, il proposa de nommer le Peak XV « Everest », du nom de son « respecté chef et prédécesse­ur ». Celui-ci eut beau protester, ayant eu connaissan­ce de noms locaux, le toit du monde allait s’appeler Everest, pour la postérité et la gloire de l’Empire. Pourtant, le nom tibétain de la plus haute taupinière du monde était apparu dès 1733 sur la carte d’Anville, un géographe français passé aux oubliettes de l’histoire. On y lit « Chomolungm­a », à un endroit qui ne laisse pas trop d’équivoque. Le nom népalais « Sagarmatha », semble très postérieur et motivé par une volonté tardive d’appropriat­ion par les autorités népalaises. Restait à atteindre le sommet dédié à la mémoire de Sir George. Là, les expédition­s britanniqu­es se taillèrent une belle légende. Le point culminant en est certaineme­nt l’épopée de George Mallory et Sandy Irvine, en 1924. Il n’est pas un alpiniste au monde, ceux chez qui au moins se cache le coeur d’un romantique incurable, qui n’espère secrètemen­t en leur succès caché. Les altitudes atteintes durant ces tentatives inspirées laissent sans voix. Le record établi en 1924 par Edward Felix Norton ne sera battu qu’en 1952 par Raymond Lambert et Tenzing Norgay. Pourtant, de fortes expédition­s ont lieu dans les années trente, incluant des alpinistes de l’acabit de Frank Smythe, Bill Tilman, Eric Shipton. C’est durant l’une d’elles qu’un certain Tenzing Norgay apparaît…

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