L’éperon sud du McKinley
En 1961, on ne dit pas encore Denali. On compte peu de voies nouvelles sur la montagne. Et comme celle-ci projette sur les glaciers alentours d’immenses arêtes, il reste beaucoup à faire. Riccardo Cassin, au faîte de sa légende, y trace un itinéraire parfait.
West Buttress, ouverte en 1951, du 4 au 10 juillet, deviendra une grande classique très fréquentée. Trois ans plus tard, c’est le tour de NorthWest Buttress, une voie qui ne laisse guère de souvenir, à part la présence de Fred Beckey1, la légende de l’Alaska, dans l’équipe qui réussit la première. South Buttress, atteint depuis la branche ouest du Ruth Glacier, aura plus de succès. L’ouverture de cette longue et grande voie, du 23 avril au 15 mai 1954, est couronnée par la première traversée sudnord du McKinley. West Rib, ouverte du 7 au 19 juin 1959, deviendra elle aussi un itinéraire apprécié. On en est là quand une forte expédition italienne débarque en Alaska. Leader : Riccardo Cassin ! Il va refaire le coup de la Walker. Il ne connaît pas plus l’Alaska que les Grandes Jorasses en 19382, et il va s’adjuger la grande voie évidente, sûre et difficile, qui deviendra la classique du grand alpinisme sur le point culminant de la chaîne. Carlo Mauri est l’instigateur de cette aventure. Malheureusement, victime d’un accident de ski, il ne participe pas au voyage. Cassin se met en rapport avec Bradford Washburn, directeur du musée des Sciences de Boston, pionnier de l’Alaska et grand photographe. C’est lui qui dévoile la face sud à Cassin. Il réunit une belle équipe: Luigi Airoldi, Gigi Alippi, Jack Canali, Romano Perego et Annibale Zucchi. L’expé commence en mode voyage: visite de NewYork, rencontre avec les Italo-Américains de New York et d’Anchorage, reconnaissance aérienne avec le pilote Don Sheldon (ils se trompent de glacier et larguent cent kilos de matériel sur le Kahiltna nord-est, à l’ouest de l’éperon sud, au lieu du Kahiltna est), puis mauvais temps, chasse et pêche autour de Talkeetna: Riccardo est passionné de chasse et s’en donne à coeur joie. Mais il faut penser aux choses sérieuses: le temps se stabilise sur la montagne et Sheldon va pouvoir à nouveau voler. Le pilote survole l’endroit du précédent largage, mais ne peut pas se poser : neige trop molle. Au retour, il doit faire réparer les patins de son avion et il ne faut pas
Un dièdre infranchissable
Texte : Claude Gardien. compter sur lui pour déplacer les charges larguées au mauvais endroit. Assez de temps perdu, ce sera à dos d’homme et sur des traîneaux bricolés avec des raquettes locales que les Italiens rapatrient leurs colis. Goodwin, Petrecca et Stocco, des alpinistes locaux qui se sont joints à l’expédition, montrent leurs limites au cours de cet exercice. Riccardo use de diplomatie pour les convaincre que plus haut, ils risquent d’avoir du mal à suivre… Goodwin fera quand même quelques incursions dans la partie basse de la voie. Le camp de base est établi, mais pas le beau temps. Le 6 juillet enfin, ils démarrent l’escalade du couloir qui doit les mener sur l’éperon. Deux jours d’escalade pour ne pas avancer beaucoup. Ils ont du mal à imaginer la sortie du couloir. Puis la tempête les bloque à nouveau au camp de base. Quand ils repartent, le 9, Alippi, Airoldi et Canali butent contre un dièdre infranchissable, après avoir escaladé des longueurs en cinquième degré. Un rappel oblique, un couloir, de la neige profonde