YosEsigo, le petit Yosemite italien
La guerre qui consume les équipeurs et les déséquipeurs de la falaise voisine de Cadarese a poussé un groupe d’amis milanais, amoureux du Yosemite, à regarder ailleurs et à chercher plus haut, loin des fonds de vallée, les fissures de leurs rêves. Qui cherche trouve, et aux dires des visiteurs toujours plus nombreux, la petite falaise de YosEsigo est une belle excellence italienne, comparable à l’expresso, même si elle a un arrière-goût amer (les cotations) délicieusement yankee.
J’aime le trad, le trad moderne, fait de friends, de stoppers et d’escalade libre. Si les deux premiers éléments peuvent s’acheter en magasin, on n’obtient pas toujours le succès escompté avec le troisième. J’ai commencé l’escalade relativement tard, autour de la trentaine, mais grâce à mon ami Andrea Sommaruga, j’ai eu la possibilité de m’approcher presque immédiatement du clean climbing et de l’escalade en fissures. Cela m’a amené à aller au Yosemite, qu’Andrea fréquente depuis des années. Le Yosemite nous a toujours fascinés du fait de son histoire et de son éthique qui empêche de planter le moindre spit au perforateur. Non seulement les fissures sont dépourvues de protections fixes, exception faite pour quelques pitons ou stoppers/friends bien encastrés, mais même en dalle, les spits, enfoncés à la main, sont éloignés les uns des autres à des distances sidérales. Évidemment, les friends – dans l’absolu la plus grande invention du XXe siècle, qu’on doit à Ray Jardine – sont les enfants (ou les « amis ») de cette éthique, tout comme la naissance et le développement de techniques de verrous que lesYankees maîtrisent depuis toujours et à l’aide desquels ils s’adonnent à des exercices de voltige sur des longueurs qu’à nos premières visites nous trouvions difficiles voire infaisables! Si le niveau des grimpeurs de fissures américains dépend de la générosité géologique de ces lieux (il y a plus de fissures dans leYosemite que dans toute l’Europe), l’éthique a contribué de manière considérable à déterminer le développement des techniques de progression. Notre belle Italie, dotée de rochers variés, est assez avare en fissures, et il n’y a aucun consensus concernant la façon de les équiper.
Découverte d’une terre promise
Dans le Val d’Orco, paradis du trad en Italie, il arrivait que des spits apparaissent à côté de lignes très bien protégeables ou que, comme à Cadarese, une falaise, unique par sa concentration de fissures, soit ouverte dans une optique sportive. Je pense que des lieux proposant une telle abondance de fissures sont si rares qu’ils devraient être protégés afin de laisser la possibilité à ceux qui aiment cette discipline de pouvoir la pratiquer. Mais je me garderai bien d’entrer dans une polémique rebattue depuis des années. Notre espoir résidait dans la découverte d’une terre promise, d’un terrain vierge où nous pourrions grimper comme nous aimions le faire et où aucun antécédent ne nous laisserait pieds et poings liés. Chaque fois que nous allions à Cadarese, nous nous arrêtions pour regarder les parois qui dominent Croveo, juste au-dessus de la falaise d’Osso, et nous imaginions qu’elles pourraient être sillonnées par quelques fabuleuses fissures. Nous avons obtenu la confirmation d’habitués du coin, comme Fabrizio Fratagnoli, explorateur et défenseur de ces lieux, qui avait entendu dire que là-haut, montaient vers le ciel les plus belles fissures de l’Ossola. Un dimanche pluvieux de mai 2010, fatigué d’imaginer sans savoir, je suis parti de Milan pour aller voir de mes propres yeux. Après avoir garé ma voiture au parking où s’amorce le chemin privé pour Esigo, je suis monté à l’alpage et, arrivé sous la barre rocheuse, j’ai pris droit à travers le bois. Ce que j’ai vu était supérieur à ce que j’avais imaginé : des fissures parfaites sillonnaient des murs lisses et verticaux sur plus de 40 mètres, certaines étaient déjà propres et semblaient attendre d’être bourrées de friends. En longeant la falaise, enclin à une stupeur qui frôlait la commotion, je suis arrivé à son extrémité gauche où j’ai trouvé ce qui allait devenir le secteur Full Metal Jacket (FMJ) composé d’une poignée de lignes d’anthologie.
Texte : Stefano Frabetti. Photos : Maurizio Oviglia.