PAKISTAN ORIENTAL
À l’est du Baltoro, deux glaciers font la jonction avec l’immense Siachen. Kondus et Saltoro n’ont été que sporadiquement visités depuis deux siècles, le conflit du Cachemire indo-pakistanais s’étant stabilisé pile sur la zone. Dans cette guerre, des péri
« La Scoumoune » . Le nom de notre voie qui désigne une « malchance généralisée » peut signifier que Mathieu Maynadier avait un peu forcé la dose d’ennuis potentiels. « Mémé » est un alpiniste bien connu des lecteurs de Vertical et n’en est pas à son coup d’essai en très haute montagne. À 32 ans, avec une dizaine d’expéditions en Himalaya et dans le Baltoro, c’est même un genre de vétéran. « Pour tes vacances d’été avec ta copine et un couple d’amis, reconnaît-il, tu as toujours mieux fait d’aller grimper sur les îles grecques ou au Yosemite plutôt que d’aller à 5 000 en pleine zone de conflit du Cachemire ! » Avec sa compagne Charlotte Barré et un couple lui aussi bien connu de la communauté des grimpeurs de difficulté, Jérôme Pouvreau et Florence Pinet, Mathieu n’a pas hésité à faire lever quelques barrières, fussent-elles militaires.
UN MASSIF AU POTENTIEL REMARQUABLE TANT EN CAILLOUX QU’EN GLACE ET MIXTE.
« Les commandants des garnisons locales ont tout pouvoir, explique Jérôme. À chaque check-point, notre très officiel permis pouvait être déclaré obsolète, ce fut une chance de pouvoir pénétrer cette vallée sauvage. » Nous fûmes définitivement stoppés à l’est du village de Karmanding, au milieu d’une garnison pendant un exercice à balles réelles. Un voile de déception et de colère se lisait sur le visage de Mathieu à qui échappait encore le Graal tant espéré : pénétrer au-delà des sources d’eau chaude de Khorkondus en direction du Saltoro Kangri. Nous dûmes nous rabattre vers l’ouest sur le vallon de Latchit. Après des décennies d’interdiction totale aux étrangers, une équipe de quatre Polonais avait grimpé en rive droite non loin du village, à l’automne 2015. « Nous avons vu de nombreux jolis pics vierges, résumait Tomasz Klimczak, le leader. Ces montagnes ressemblent aux Alpes, avec de la glace, du mixte et du dry. Nous pensons que Latchit possède un vrai potentiel et que de futures expéditions y vivront d’inoubliables aventures. » C’est exactement ce que nous étions venus faire. Nous décidâmes de remonter jusqu’au fond du vallon, du moins si les désastreux porteurs pakistanais nous l’autorisaient. On connaissait leur mauvaise réputation – surtout si on compare au Népal. Mais la désertion pure et simple d’hommes sans paroles et fatigués par une seule journée de marche... Ça !
BIG WALLS, FACES MIXTES, COULOIRS ET GOULOTTES À N’EN PLUS FINIR.
L’accumulation des galères avait coûté beaucoup de temps et il ne fallait plus tergiverser. L’équipe jeta son dévolu sur une aiguille fort esthétique à défaut d’être très longue. Nous la baptisâmes La Chimère en hommage à ce monstre mythologique symbolisant les fantasmes impossibles. Pendant que les grimpeurs ouvraient « La Scoumoune », une voie de 400 m culminant à 5 100 mètres en 7b max, le photographe photographiait. Je remontais un bout de glacier et de goulotte jusqu’à une brèche à 5 400. Prenant ainsi de la hauteur, je me dégageais la vue vers de nouvelles cimes du cirque de Latchit. Big walls haut perchés, faces mixtes ciselées d’ice-flute, couloirs et goulottes à n’en plus finir... Qui avait osé prétendre qu’il n’y avait plus rien à découvrir ?!
Branche septentrionale du glacier de Latchit, tous les sommets que vous voyez sur la photo sont vierges et culminent à plus de 5500.
"Summiiit !" Mémé Maynadier, Chacha Barré, Flo Pinet et Jé Pouvreau de droite à gauche. Joie de l'équipe de la Voie de la Scoumoune au sommet de l'aiguille de la Chimère, 5100 mètres.