Vertical (Édition française)

BARBARA ZANGERL

Ancienne bloqueuse de haut niveau, l’autrichien­ne de 29 ans collection­ne aujourd’hui les grandes voies les plus corsées à travers le monde, sur spits ou coinceurs, jusqu’à Pembroke récemment. Voici cinq lieux qui racontent la vie de « Babsi ».

- Par Boris Pivaudran

1LE VORARLBERG C’est dans cette région à l’extrémité ouest de l’Autriche, où elle est née et réside toujours, que Barbara Zangerl a fait ses premiers pas de grimpeuse. Elle est initiée par son frère, à 14 ans, qui l’emmène dans une salle : « J’ai adoré l’escalade dès les premières minutes ». Mais la véritable révélation a lieu lorsqu’elle touche du caillou : « Je me souviens très bien de ma première fois sur du rocher. Je n’imaginais pas que grimper en milieu naturel pouvait être à ce point plus plaisant. Ce fut un tournant décisif ». C’est le début de six années de bloc intensif à travers les secteurs de Suisse, et de voyages. Son niveau explose : elle coche ses premiers 8a bloc à 16 ans, après seulement deux années de grimpe. A 20 ans, en 2008, elle réalise Pura Vida en Suisse et devient ainsi la première femme dans le niveau 8b bloc. Après quatre victoires au Melloblocc­o, vient malheureus­ement la blessure : une hernie discale la coupe de sa passion. Son seul moyen de continuer la grimpe est de se tourner vers la falaise et la grande voie. Une deuxième histoire commence.

2LES DOLOMITES Babsi est du genre à fonctionne­r par déclics. Le solo en 2007 de son ami Hansjörg Auer dans la terrible Voie du Poisson en face sud de la Marmolada en fut un : « C’était la chose la plus dingue que je puisse imaginer. [...] Ca m’a mis dans la tête de gravir la voie du Poisson au moins une fois dans ma vie ». Mais à cette époque elle manque d’expérience alpine. Avec son compagnon le grimpeur italien Jacopo Larcher, elle se rôde au style dolomitiqu­e. Leur première expérience alpine de couple aura lieu dans la voie Temps Modernes, également à la Marmolada. Ils se perdent à la 26ème longueur et sont pris par la nuit. S’en suit une retraite épique sur pitons rouillés : « Ca a été un vrai test pour notre couple. Après ça on a su qu’on collait bien ensemble ». Après avoir parcouru plusieurs classiques des Dolomites notamment Bellavista aux Tre Cime (8b+) - les deux se lancent dans la voie du Poisson à l’été 2016. Une voie réputée pour ses run-outs stressants, qu’ils réussissen­t à vue : « Il n’y avait pas une seule longueur qui n’était pas fantastiqu­e » raconte-t-elle. Quant au solo d’Hansjörg Auer : « Je ne comprends toujours pas comment quelqu’un peut grimper sans corde une voie si technique et aléatoire, où tu ne tiens que grâce à la friction ». Deux jours après, Jacopo et Babsi cochent la voie Cattedrale dans cette même face, ouverte en A4 dans les années 80 et libérée en 8a+.

3LE YOSEMITE Sa première expérience au Yos’ remonte à 2010, avec Hansjörg Auer : « Tout me paraissait si dur que je pouvais à peine bouger ». De retour dans les Alpes, elle s’entraine à la pose de coinceurs sur les belles fissures de Cadarese, en Italie, où elle coche quelques 8a. En octobre 2015, c’est le retour à Camp 4. Babsi et Jacopo décident de se frotter aux run-outs engagés des 30 longueurs d’El Nino (5.13c), sur El Capitan. Les deux tiennent à enchaîner, chacun en tête, toutes les longueurs dures de la voie. Une expérience rude : « A la fin, j’étais vraiment proche de l’échec. Nous n’avions plus assez de nourriture pour rester plus longtemps, et je voulais descendre. [...] C’était dur pour moi de rester calme ». Après huit jours en paroi, ils sortent enfin au sommet. Ascenseur émotionnel : « Une des expérience­s les plus incroyable­s que j’ai vécues, j’étais la personne la plus heureuse au monde de partager ça avec Jacopo ». Elle réalise au passage la première ascension féminine en libre de cette voie. Forts de cette expérience, les deux retournent au Yosemite en novembre dernier, avec en ligne de mire la voie Zodiac (5.13d). Après l’avoir travaillé minutieuse­ment, ils valident l’enchaineme­nt lors d’un push de cinq jours, avec la même exigence du « redpoint ». Ils signent alors la troisième ascension en libre, après celle des frères Huber et celle de Tommy Caldwell.

4L’ECOSSE Au printemps 2016, Babsi décide d’aller se confronter à l’exigeante école du trad anglo-saxon. Destinatio­n l’Ecosse, et notamment le secteur de Dumbarton, terrain de jeu du prolifique Dave MacLeod. « Quelque part dans ma tête j’imaginais Braveheart avec Mel Gibson se battant dans les Highlands ». Déçue, elle apprend que le film a été tourné en Irlande... Sur place, la pluie et les 6°C au mois de mai mettent leur motivation à rude épreuve. Babsi coche néanmoins la ligne Requiem (E8/6b) et réalise la première répétition de Achemine (E9/6c, soit 7c+ expo) : « Dans les derniers mètres j’ai vraiment dû faire un effort pour rester calme. Ca n’était plus si dur, mais à 13 mètres audessus du dernier camalot la chute était interdite ». Pendant ce temps, Jacopo s’offre Rhapsody (E11/7a, soit 8a+/8b), la ligne ultime. Leur histoire avec l’outre-Manche n’est pas finie : le couple à prévu de partir prochainem­ent pour le Pays de Galles.

5LE VERDON Babsi est une amoureuse du Verdon : « Pour moi c’est un des plus beaux spots de grande-voie au monde ». Elle y apprécie les voies classiques chargées d’histoire et les lignes modernes de haute difficulté, mais avant tout le climat, le style de vie et les à-côtés. « Là-bas tu as l’impression de vivre au paradis ». Elle et Jacopo s’y sont offerts l’été dernier les voies Golden Shower (8b+, libérée par Stefan Glowacz), Dame Cookie (8a+) et Alix (7b+). « Alix est une des voies les plus belles et variées que j’ai jamais grimpées ». Et ensuite ? « J’aime me trouver un challenge et le réaliser » confie Babsi. Après sa réalisatio­n de la trilogie de voies ultimes des Alpes orientales ( Silbergaie­r au Rätikon, Des Kaisers neue Kleider au Kaisergebi­rge, et End of Silence en Bavière), on se demande s’il lui reste des défis. « J’aime explorer les différents styles d’escalade. [...] J’aimerais aussi beaucoup ouvrir de nouvelles voies ». Madagascar et la Patagonie sont des lieux qui l’attirent. Son travail à temps partiel en radiologie dans un hôpital lui laisse de la flexibilit­é pour les voyages. Peut-être un penchant vers l’alpinisme ? « J’ai fait un peu de cascade de glace et j’espère en faire plus les hivers prochains. Je suis aussi intéressée par le mixte alpin ». Concernant sa vi- sion sur le futur de l’escalade, on retrouve la même exigence que dans sa propre pratique : « J’espère vraiment que tout le monde gardera un haut niveau d’éthique en escalade, et que la tendance de l’indoor et des JO ne changera pas l’esprit de la grimpe en milieu naturel. Par exemple l’escalade n’a pas besoin d’être sécurisée au maximum par des spits supplément­aires. J’espère que les gens dans 20 ans pourront toujours profiter de tous les aspects de la grimpe, y compris le fait de surmonter ses peurs et de se fixer un challenge mental [...], tout ce qui rend l’escalade si excitante. Et pas seulement grimper plus vite, plus haut, plus fort, avec des vidéos de méthode et des perches télescopiq­ues de 10m pour clipper les points ». Babsi dixit !

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 ?? Barbara Zangerl dans Bellavista, aux Tre Cime. Photo Stefan Kürzi. ?? Les réglettes verticales de Achemine, en Écosse. Photo Jacopo Larcher.
Barbara Zangerl dans Bellavista, aux Tre Cime. Photo Stefan Kürzi. Les réglettes verticales de Achemine, en Écosse. Photo Jacopo Larcher.

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