Vertical (Édition française)

ALEX HONNOLD LE PLUS GRAND GRIMPEUR DE TOUS LES TEMPS

L’ascension en solo intégral, sans corde, des mille mètres de granit extrême d’El Capitan par Alex Honnold constitue l’un des exploits humains les plus incroyable­s de tous les temps.

- Par Jocelyn Chavy

Samedi 3 juin, à l’aube. Il fait frais à El Cap Meadows, au pied du géant de granit qu’est la paroi d’El Capitan, mille mètres de haut, dans le parc national du Yosemite, Californie. Il est 5 h 32 du matin quand Alex Honnold se lance dans ce qui est sans aucun doute l’escalade en solitaire la plus audacieuse jamais réalisée. Mille mètres de paroi, sans corde, sans baudrier, sans mousqueton, sans rien. Quatre heures plus tard, alors que le soleil commence déjà à cogner fort, Alex Honnold se dresse au sommet d’El Capitan, après avoir gravi les trente-deux longueurs soutenues de Freerider. En solo intégral. Personne jusqu’à présent n’avait réussi ni même osé tenter pareille entreprise. Il y a un an, je rencontrai­s Alex Honnold à Paris, et la conversati­on roula sur l’idée, évoquée par les médias du temps de Dean Potter, de « soloer » El Capitan : Alex me répondit avec son grand sourire que « le plus dur », pour ce solo, était sans doute de « se décider à quitter le sol »... mais l’idée était déjà un vrai projet à cette date.

Le premier solo d’El Capitan remonte à l’âge d’or de la vallée du Yosemite et fut l’oeuvre de Royal Robbins, qui fut aussi l’ouvreur de Salathé Wall. Ouverte par Alex Huber, Freerider n’est finalement qu’une variante, un peu plus simple, de Salathé Wall. Mais attention, ne nous méprenons pas. Gravir El Capitan en solo intégral est tout simplement inimaginab­le. Inouï. Lorsque la nouvelle est tombée, le monde entier est resté abasourdi, sidéré par cette incroyable ascension d’Alex Honnold. La voie en question implique trente-deux longueurs d’escalade jusqu’au 7c+. Surtout, la voie est soutenue : la plupart des longueurs atteignent ou dépassent le sixième degré. Avec l’aide d’Arnaud Petit, qui a donné dans son livre Grandes voies (éditions Glénat) l’équivalent des cotations US en escalade, on obtient l’effarante accumulati­on de six longueurs en 6a, neuf longueurs en 6b ou 6b+, huit longueurs en 6c ou 6c+, trois longueurs en 7a ou 7a+, deux longueurs en 7b/b+, et une en 7c+ ! Arnaud Petit témoigne : « L’enchaîneme­nt des deux longueurs d’Enduro Pitch et de la traversée qui suit, soit deux 7b tassés et un 7a+, sans aucun repos naturel, vaudrait sans doute au moins 7c au niveau du sol... » Arnaud et Stéphanie Bodet, qui a réalisé la voie, expliquent également que celle-ci a quelques vires, ce qui peut aussi compliquer l’escalade : « la concentrat­ion en prend un coup à chaque fois » , pense Arnaud. Comment Alex a-t-il pu faire ? Il a concédé dans une interview au New York Times « avoir passé du temps à travailler la voie pour mémoriser les mouvements, trouver la meilleure façon d’exploiter les prises pour rendre l’escalade plus sécurisant­e ». Pour autant, Alex Honnold confie qu’il y a deux ans, le projet lui causait « plus de peur qu’autre chose », bien qu’il ait passé « un an ou deux »à préparer uniquement ce projet. Alex Honnold a ainsi multiplié les solos engagés : il a grimpé Les Rivières pourpres, 7c pour quinze longueurs, une voie d’Arnaud Petit à Taghia. Mais aussi des solos à vue restés inconnus du public, comme les Intouchabl­es au Trident du Tacul ( 7c/ 7c+), l’année dernière, sans doute l’un des plus gros solos en rocher du massif du Mont-Blanc !

Selon Arnaud Petit, Alex Honnold a trouvé le 7c des Intouchabl­es beaucoup plus proche de 7a+... Stéphanie Bodet raconte : « Alex Honnold était en visite chez nous. Un matin, il est monté d’une traite au sommet de Céüse, enchaînant la montée et un solo de Natilik, sans s’arrêter ». Le secret d’Alex Honnold, c’est donc aussi « une caisse physique phénoménal­e », renchérit Arnaud Petit. D’ailleurs, quelques jours avant son solo d’El Cap, Alex Honnold a enchaîné Freerider en 5 h 30, encordé avec Tommy Caldwell, avec beaucoup de simul-climbing évidemment. Autant dire que pour boucler la voie, seul, en quatre heures, il n’a pas dû beaucoup s’arrêter... Si vous êtes familier du Mont-Blanc, sachez que le granit d’El Capitan n’est pas du tout adhérent comme celui de Chamonix, mais fait plus penser au gneiss de l’Oisans... très glissant parfois, avec peu, voire très peu d’adhérence. Ainsi la première partie de la voie était un pari à tenter bien avant que le soleil ne l’atteigne, avec des passages en dalle, en friction, en 6c/7a. Le tout déjà à plus d’une centaine de mètres du sol. Comment Alex Honnold a-t-il osé un tel pari ? Tout d’abord, il grimpe à un niveau outrageant, en solo, depuis près de dix ans : son premier solo d’envergure, le Half Dome tout proche, remonte à 2008. Son exploit de 2012 quasi indépassab­le – sauf peut-être par ce solo intégral d’El Cap – est passé inaperçu de ce côté-ci de l’Atlantique : l’enchaîneme­nt sidérant du mont Watkins ( face sud), d’El Capitan (Le Nose de nuit !), et du Half Dome ( Regular route), le Triple Crown, en solitaire, mais pas forcément en libre, Alex s’aidant parfois en tirant sur des coinceurs qu’il place, ou sur des pitons en place. Cet enchaîneme­nt de 2200 mètres d’escalade difficile en solo en moins de 24 heures n’a pas d’équivalent dans les annales de l’escalade. Aujourd’hui, Alex Honnold entre dans l’histoire avec cette ascension d’El Capitan en solo intégral, un événement d’une magnitude considérab­le, que l’on réalisera mieux quand le film réalisé sur l’ascension sortira en salles : depuis un an, certaines de ses escalades en solo, y compris à vue, ont été filmées par Jimmy Chin. L’escalade en solo, pratiquée à un niveau extrême ou non, reste quelque chose d’intime pour les grimpeurs la pratiquant, mais pas pour Alex Honnold, ce qui ajoute une dimension particuliè­re à l’exploit, souligne Marco Troussier. Habitué aux caméras, habitué au granit d’El Cap : « j’ai grimpé El Cap sans tomber depuis 2008 ou 2009 », dit Alex Honnold, « donc physiqueme­nt j’étais capable de le faire en solo depuis huit ou neuf ans. Mais il m’a fallu beaucoup de temps pour me sentir suffisamme­nt en sécurité à l’idée de le faire ».

ALEX HONNOLD ENTRE DANS L’HISTOIRE AVEC CETTE ASCENSION D’EL CAPITAN EN SOLO INTÉGRAL.

 ?? Photo Jimmy Chin. ?? L’une des rares photos disponible­s de l’exploit, Alex après son solo, avec son «rack» pour El Cap : une paire de chaussons et un sac à magnésie...
Photo Jimmy Chin. L’une des rares photos disponible­s de l’exploit, Alex après son solo, avec son «rack» pour El Cap : une paire de chaussons et un sac à magnésie...

Newspapers in French

Newspapers from France