Vertical (Édition française)

MICHEL PIOLA LE COMPOSITEU­R

Son nom est devenu commun dans le langage des grimpeurs, et plus particuliè­rement sur le massif du mont Blanc : Michel Piola a su multiplier les ouvertures de voies nouvelles, mais aussi dénicher des classiques. Au Grand Capucin, à l’Envers des Aiguilles,

- Par Jocelyn Chavy

Michel Piola a commencé très vite à ouvrir des voies : l’attrait pour l’escalade version aventure lui semblait plus grand que des répétions, fussent-elles majeures comme sa première hivernale en style alpin de la Cassin au Piz Badile. Passionné d’hivernales repenti, Michel Piola n’a jamais eu trop froid aux doigts, malgré un appétit pour l’Eiger ( deux voies majeures), une visite à la Tour sans Nom de Trango, et plusieurs voies en Patagonie, avec Daniel Anker ou Vincent Sprungli, avec qui il ouvre Dans l’oeil du Cyclone à la Tour Centrale du Paine. Grimpeur très tôt immergé sur les parois d’altitude et surtout versé très jeune dans l’ouverture – le pilier des Genevois, sur l’Eiger, à dix-neuf ans – Michel Piola n’envisage pas de collection­ner ce que d’autres ont tracé avant lui. Un coup d’oeil sur la photo de la face est du Grand Capucin et sa seule voie, la Bonatti, lui a révélé la possibilit­é de Voyage selon Gulliver, l’une des plus belles voies d’un massif qui en compte beaucoup – et ouverte avec Pierre-Alain Steiner trois semaines avant la directissi­me du Frêney. Celle-ci donne dans le 6c soutenu à 4500 mètres d’altitude, et « permet de rendre visite au gollot le plus haut d’Europe », comme l’écrivait malicieuse­ment Michel Piola dans son premier topo du mont Blanc. Lui a planté ses premiers spits dans le massif pour l’ouverture de Nostradamu­s, une voie de 650 mètres dans l’austère face nord des Pèlerins, en 1980. Des spits utilisés avec une parcimonie aussi certaine que l’engagement des voies Piola, créations où les coinceurs, soit les protection­s naturelles, restent le modus operandi – les spits n’étant là que pour sécuriser les passages en dalles non protégeabl­es… Au-delà du style, Michel Piola a révélé des pans entiers de massif. À une époque, début 80, où l’Envers des Aiguilles de Chamonix se résumait à quelques monuments historique­s (Ryan, Grépon, mer de Glace...), il a montré l’étendue des possibles en ouvrant des classiques – Children of the Moon, pour n’en citer qu’une parmi des dizaines – à tour de bras. Puis en les publiant dans ses topos du mont Blanc. Pas le temps de faire le guide, quand on veut consacrer ses étés à la création de nouvelles voies. Mais l’architecte de formation transparai­t dans ses topos où les pics de granit voient leurs flancs stylisés, les parois tracées en 3D révèlent leurs lignes de faiblesse, les surplombs marqués, entre lesquels s’immiscent les voies Piola dessinées au stylo Rotring. Le label Piola devient synonyme de sybarite, rocher de rêve et voies de qualité. Pourtant Michel Piola n’a pas toujours fréquenté la haute montagne en collant et T-shirt. L’hiver 1981, Michel Piola s’encorde avec Marco Pedrini, et un troisième larron, Danilo Gianinazzi. La face nord du Badile est plâtrée, et seule une grosse équipe qui a lardé de cordes fixes a réussi une ascension hivernale auparavant. Qu’importe : né la même année que lui, en 1958, Pedrini est, selon Piola, l’un des grimpeurs de la décennie – il s’illustra en courant en solo au Cerro Torre. Et Michel Piola a pris l’habitude des onglées, des bouchons de neige dans les dièdres glacés, et même des placages, lui qui n’aime pas vraiment la glace, sa matière aléatoire. Le Badile finira bien, contre toute attente : Pedrini perd une chaussure et emballe son pied dans un sac plastique, Gianinazzi délire puis chute depuis le sommet… et atterrit sur la pelle du bivouac de secours qu’ils recherchai­ent justement. Avant cette épopée marquante, Michel Piola fait ses gammes hivernales à Chamonix avec entre autres la première hivernale du Nant Blanc. Qui sait que l’auteur des plus belles tranches de calcaire des Aravis, de Taghia (les Rivières Pourpres, avec Arnaud Petit et Benoît Robert) a passé des hivers à souffler sur ses doigts gelés, les pieds hésitants sur le granit dur et froid chaussés de Boréal Fire, modèle fourré qui lui servira aussi à la Tour centrale du Paine. L’apogée sera la voie Tchèque aux Petites Jorasses en 1990 : une aventure avec Hervé Bouvard, une hivernale en pur rocher, un 11 janvier. À l’Eiger, il laisse son empreinte dans les grands murs verticaux à droite de la face (les Portes du Chaos avec Gérard Hopfgartne­r, le Chant du Cygne avec Daniel Anker), au Cervin dans une directissi­me au Nez de Zmutt, avec Pierre-Alain Steiner, « une cordée parfaite ». Du rocher, même en face nord, et même en hiver, on l’a vu. Les trois quarts de ses compagnons, dit Piola, ont été tués dans la neige, par les séracs ou les avalanches, dans les Alpes comme Bardill ou dans l’Himalaya comme Steiner au Cho Oyu. En août 1982, sur le pilier du Frêney, le trio Jöri Bardill, Pierre-Alain Steiner et Michel Piola s’est partagé une magnifique première qui porte aujourd’hui le nom de directissi­me Jöri Bardill : trois leaders, trois jours, un leader par jour. Mais la tempête les frappe le troisième jour. Vent furieux et cordes qui filent à l’horizontal­e. Piola et Steiner finissent cramés par l’altitude : Bardill les tire dans la tempête. C’était le seul et unique mont Blanc de Michel Piola.

 ??  ?? Michel Piola au bivouac à l’Eiger, lors de l’ouverture de la Sanction, en 1988, inspiré du titre éponyme du film avec Clint Eastwood. Photo Daniel Anker.
Michel Piola au bivouac à l’Eiger, lors de l’ouverture de la Sanction, en 1988, inspiré du titre éponyme du film avec Clint Eastwood. Photo Daniel Anker.

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