MICROCLIMAT
Les Beaux-Arts de Paris fêtent leur bicentenaire. Une énergie contagieuse dans un quartier génétiquement artistique.
Les Beaux-Arts de Paris fêtent leur bicentenaire. Depuis 200 ans, ils écrivent en continu l’histoire de l’art, riches de leur patrimoine, forts de leurs étudiants. Un nouveau chapitre se formule avec la genèse d’un parcours muséal ouvert à tous. Une énergie contagieuse dans un quartier génétiquement artistique.
LES BEAUX- ARTS, HAUT LIEU DE CRÉATION
Peintre à la renommée internationale, académicien, professeur depuis vingt ans aux Beaux-Arts de Paris, Jean-Marc Bustamante en devient le directeur en 2015. Un « non-officiel » officiel, premier artiste à la tête de cette institution bicéphale, à vocation pédagogique et à puissance historique. D’un côté 600 étudiants, de l’autre une collection de plus de 450 000 oeuvres et des bâtiments classés. Sa vision : cultiver l’unicité de l’école dans son enseignement par atelier et faire participer les étudiants à l’histoire de l’art. « Je suis ici pour l’énergie artistique, pour créer l’art de demain à l’aune de ce qui s’est créé avant. » Chaque étudiant, dès son arrivée, postule auprès d’un ou de plusieurs artistes reconnus enseignant sous la forme d’un atelier. « Cela marche par la transmission, la relation maître-élève, le système d’atelier est spécifique aux Beaux-Arts de Paris. Je prends le pari d’un lieu qui n’est pas professionnalisant, on ne forme pas ici des interprètes comme les écoles de danse, de musique ou de théâtre. C’est un cadre de recherche, d’expression de soi. Plus ils ratent, mieux c’est. Je les pousse à aller dans des voies qu’ils n’ima- ginent pas, de transgresser, de se rebeller, de creuser. L’art n’est pas simplement de la virtuosité, mais de l’épaisseur. » La technicité s’acquiert auprès des meilleurs talents : xylogravure, lithogravure, céramique, sculpture… Pénétrer dans l’amphithéâtre de morphologie et suivre un cours de Philippe Coma, plasticien, écrivain, ou se perdre dans l’antre du métal de Michel Salerno, c’est saisir l’infini des possibles. Lors de Felicità, l’exposition des diplômés félicités, ou lors de visites d’ateliers accessibles par l’association des Amis des Beaux-Arts, on se laisse subjuguer par les danses des grands singes de Camille Pozzo di Borgo (Atelier Philippe Cognée et Tim Eitel), le monde connecté humainanimal-végétal de Kanaria (Atelier Jean-Michel Alberola), les fresques érotiques de Safia Bahmed-Schwartz (Atelier Jean-Michel Alberola), l’installation – très perturbante – des « objets rêvés » d’Alexis Blanc ou encore, les allégories autour du pneu du duo Nøne Futbol Club (Atelier Jean-Luc Vilmouth)… Un parcours qui libère la pensée et aiguise le regard. L’énergie vitale de la création.
VERS UN MUSÉE DU XXIE SIÈCLE
Jean-Marc Bustamante et son équipe de conservateurs conçoivent en ce moment même, non seulement la valorisation de la collection de 450 000 oeuvres, mais aussi la formulation d’un parcours muséal débutant au Palais des Beaux-Arts, quai Malaquais, et parcourant les différents bâtiments jusque-là jamais ouverts au public. « J’ai décidé de hâter les restaurations, j’ai produit un rapport scientifique et culturel afin que les Beaux-Arts deviennent aussi “Musée de France”. Que doit être le musée du XXIe siècle ? Nous sommes un lieu vivant, laboratoire et conservatoire, nous devons montrer la richesse de la collection, la plus importante après celle du Louvre, et la faire résonner avec le contemporain, être un carrefour à Saint-Germain-des-Prés avec en parallèle de l’école, un musée, des colloques, un restaurant, une librairie. » Kathy Alliou, en charge du département culturel, renchérit : « Aucune institution n’est aussi proche de la création en train de se faire et riche d’un patrimoine aussi exceptionnel. S’ajoute aussi la dimension de forum, de concourir à être un amplificateur d’idées. » Chaque partie des Beaux-Arts – le Palais des études, l’Hôtel de Chimay, les cours du Mûrier, de Bonaparte et d’honneur – raconte l’histoire de l’art. La chapelle par exemple, le plus ancien des bâtiments qui date du XVIIe siècle, abrite les copies réalisées par les étudiants depuis deux siècles : Le Jugement dernier de la chapelle Sixtine, les grandes oeuvres de Michel-Ange, des sculptures médiévales. C’est un musée en constant devenir. Encore aujourd’hui, les artistes en résidence à la Villa Médicis offrent leurs réalisations. L’idée de « penser la création dans une logique de continuum et de principe actif à la construction de la personnalité artistique » soulignée par Kathy Alliou, perdure depuis l’édification par l’architecte romantique Félix Duban (1798-1870). Il fera de ce haut lieu de la créativité une véritable palette d’architectures entre fragments authentiques de monuments de la Renaissance française, palais florentins et fresques polychromes de Pompéi. Le Palais des études (1817) embrasse la Renaissance italienne, les architectures grecques et romaines, la présence des grands en frise. Éloge de Raphaël au Vatican au premier étage, Ingres dans l’amphithéâtre… Sur deux hectares, une histoire de l’art que l’on peut vivre.
REVUE XXI OU L’ART DE PRENDRE SON TEMPS
« Lorsque tout s’accélère, mieux vaut ralentir… » , écrit Christophe Boltanski, rédacteur en chef de la revue XXI. À quelques pas du futur musée du XXIe siècle des Beaux-Arts de Paris, XXI célèbre déjà ses dix ans. 50 000 exemplaires, trimestriel, diffusé uniquement en librairie, ce magbook – publication hybride entre magazine et livre – fut un pavé dans la mare de la presse lors de son lancement en 2007. À l’encontre des articles qui se résolvaient au format court, les initiateurs de XXI parièrent sur des sujets de plusieurs pages, des enquêtes en profondeur. « Je rêvais d’aller plus loin, de faire plus long, de prendre mon temps (…) me voilà dans un trimestriel, une revue refuge, une maison ouverte. Un courant d’air, un carrefour où passent des gens de tous les âges et tous les horizons. XXI est une salle des pas perdus », écrit Christophe Boltanski. De cet esprit, les éditeurs des Arènes, de XXI et de 6 Mois, autre phénomène « slow-info » , ont imaginé un endroit qui l’infuse, le 27 rue Jacob. Un lieu ouvert, de rencontres, d’échanges, où l’on trouve des livres pour petits et grands, des BD, des polars et un espace d’ateliers : écriture, méditation… et de discussion entre auteurs et lecteurs sous forme de speed-dating ou de « nuit des idées ». « Notre mission est de défricher le futur », explique Laurent Beccaria, fondateur des Arènes. Le 12 janvier 2018, un nouvel hebdo naîtra de la même envie : « Nous allons expérimenter un processus permettant aux lecteurs de construire un journal avec nous… Nous rêvons d’irriguer la presse de cet esprit de curiosité, d’authenticité et d’humanité que l’on trouve en librairie », dévoile Patrick de Saint-Exupéry, cofondateur de XXI avec Laurent Beccaria et futur copilote de l’hebdo à venir. Pour mener à bien ce nouveau projet, l’équipe comptera cinquante trublions de plus et un nouvel immeuble donnant sur le Bois Visconti. Autre exemple de la créativité qui bouillonne dans le quartier, un collectif de sept illustrateurs installé rue des Beaux-Arts et qui expérimente une nouvelle façon de travailler « sans patron, en connexion ». Ils partagent des atomes graphiques depuis leurs études aux Gobelins et, après quelques années passées au sein de diverses sociétés d’animation et de production, ils codessinent désormais dans un open space sous les toits. Avec vue sur Paris, et sur les idées des uns et des autres pour une création plus prolifique.
MARCHANDS D’ART ET TALENTS ÉMERGENTS
Hier, aujourd’hui, demain… Les strates du temps se superposent et s’annihilent pour laisser place à une seule contemporanéité, celle de l’art. Saint-Germain-des-Prés est le quartier historique des galeries. Jeanne Bucher s’y installa dès 1929. Elle exposa Braque, Klee, Léger, Picasso, Miró, Giacometti… et révéla Nicolas de Staël. Son arrièrepetite-fille a repris le flambeau rue de Seine et réactive les artistes liés à la galerie depuis l’origine… Autre galerie pionnière, celle qu’ouvre Claude Bernard, rue des Beaux-Arts en 1957 et qui, depuis, accompagne les plus grands : Peter Blake, Morandi, Sam Szafran. Le VIe est aussi le terrain des galeries majeures de l’art contemporain. Kamel Mennour inaugure en 2000 une galerie rue Mazarine avec une incroyable sélection de photographes : Araki, Annie Leibovitz, Peter Beard. Aujourd’hui, dans son hôtel particulier de la rue SaintAndré-des-Arts, il accompagne les plus grands artistes internationaux – Daniel Buren, Claude Lévêque, Huang Yong Ping… – mais aussi ceux en devenir. Une toute petite galerie se niche rue de Nevers, L’Inlassable, et sa « vitrine » rue Dauphine. Elle explore de nouvelles voies de promotion des talents émergents venant pour certains des Beaux-Arts, comme Marcella Barceló, James Riley… avec une pop-up galerie à New York, l’organisation de micro-salons, et la « vitrine », une scène de performance 24 heures sur 24, qui permet de « créer des interactions avec un public plus large ». Ces initiatives ont été remarquées par le président du comité des Galeries d’art, GeorgesPhilippe Vallois, implanté rue de Seine depuis la fin des années 1980. « Je voulais me confronter pas uniquement aux galeries d’art contemporain, mais à celles d’art primitif, de mobilier… le quartier est un lieu de passage pour les non-initiés et c’est ce qui m’intéresse, initier de nouveaux collectionneurs. » Ce même esprit d’ouverture l’anime quand il amène des enfants de CM1 de Sevran au musée Picasso « pour beaucoup c’était la première fois au musée » ou qu’il crée des résidences à New York avec le consulat. Rien ne semble l’arrêter, pas même les rondes créatures de Niki de Saint Phalle qui s’exposeront dans sa galerie en septembre.
À LA MODE DU QUAI MALAQUAIS
En précurseur, le créateur belge Dries Van Noten. À l’ouverture de la boutique Femme, il confiait à Côté Paris :« Je suis tombé amoureux de cette ancienne librairie avec mezzanine qui regarde la Seine et le Louvre. Proche de l’Institut et de l’Académie des beaux-arts. Je ne voulais pas être entouré de mode. Les antiquaires, les galeries, cela me convient très bien. Et je voulais aussi que les gens fassent un détour. J’ai conçu ce lieu à l’image d’un appartement parisien rêvé. En m’inspirant de l’histoire de Madeleine Castaing. » La « Diva de la rue Bonaparte » mélangea tous les codes dans un collage anachronique, végétal, animal, Napoléon III, gustavien… Une alchimie particulière que l’on retrouve chez le créateur belge, dans ses collections jusque dans ses boutiques. Même démarche, trois ans plus tard, avec l’ouverture de la boutique Homme. Deux lieux à part dans le paysage de la mode, chaque meuble a été chiné, chaque objet aussi avec la complicité de son décorateur Gert Voorjans. Dans des associations audacieuses, une table 1970 côtoie un cabinet japonais XIXe, en arrière-plan une cage surmontée par un perroquet fait face à un immense tableau d’Alechinsky… des mariages d’époques, de styles comme Dries Van Noten les pratique dans ses collections. D’autres créateurs prendront le quai Malaquais quelques années plus tard, le Suédois Jonny Johansson et son label Acne, un style épuré, arty dans un open space gris aux allures de galerie, la petite boutique lumineuse L/Uniform de Jeanne Signoles, avec ses sacs et cartables coupés au cordeau, elle-même voisine de Moon Young Hee qui revendique des silhouettes architecturées. En mode aussi prime la ligne. Le quai Malaquais achèvera sa mue, d’un quai discret abritant quelques antiquaires élitistes à un axe fort de l’art et des arts, avec la nouvelle entrée officielle des Beaux-Arts de Paris en son centre, se substituant à celle du 14 rue Bonaparte. Jean-Marc Bustamante, directeur des Beaux-Arts de Paris, souligne l’importance de ce geste et de son inscription dans une nouvelle dynamique culturelle, du musée d’Orsay à l’institut du Monde Arabe. Rive Gauche, coule la Seine et souffle l’art !