ÉPICERIE À MANGER
S’engager pour une cuisine simple et savoureuse, sous le signe du partage et respectueuse de la nature, c’est le credo de Papa Sapiens. Leur nouvelle adresse, en plus de l’épicerie, propose de s’attabler et déguster les créations du jeune chef Clément Flu
S’engager pour une cuisine simple et savoureuse, c’est le credo de Papa Sapiens et du jeune chef Clément Flumian.
Drôle d’époque, noyée dans ses contradictions. Il faut aller vite, manger vite… mais s’inscrire dans des logiques durables, et prendre soin de soi. Pas facile de faire des choix équilibrés. Il y a quelques années, les Lepage, eux, font le choix de concrétiser un rêve : réunir en un seul lieu le meilleur de l’artisanat de bouche. Ainsi naît Papa Sapiens, entre savoir et sapidité. Après un tour de France riche de rencontres et dégustations, l’épicerie fantasmée devient réalité. Nous sommes en décembre 2013, et la première boutique ouvre ses portes, autour des huiles d’olive de Cédric Casanova, des saucisses au couteau d’Emmanuel Chavassieux, des chocolats de Jacques Bellanger… Deux autres lieux ouvrent dans les cinq années qui suivent. Une croissance rapide mais sereine, autour d’une philosophie du partage. Plus qu’une épicerie, Papa Sapiens est, en effet, une tribune des savoir-faire. Les produits y sont toujours présentés avec leur histoire. Passeurs de goût, cette nouvelle génération d’épiciers se préoccupe de l’avenir des agriculteurs. Comment s’engager auprès d’eux, partager les enjeux de cette filière ? En ne prenant pas de marge sur tel produit, en finançant tel entrepôt… Alexandra Lepage joue un rôle essentiel dans cette chaîne solidaire. De la découverte à la prescription, elle sélectionne des produits qu’elle défendra avec passion. Dans chacune des boutiques, on goûte, on raconte, on échange. À l’offre d’origine, cette troisième adresse ajoute la possibilité de s’attabler. Le chef Clément Flumian, formé par Beatriz Gonzalez et Yannick Tranchant, de Neva Cuisine, travaille les produits du marché et de l’épicerie avec une belle créativité. À l’heure du déjeuner, le restaurant régale une clientèle d’affaire déjà fidélisée, tandis que les habitués du soir explorent plus volontiers la carte des tapas.
Pourquoi Xavier Niel, acteur majeur du numérique, a-t-il choisi l’ancienne Halle Freyssinet pour y installer le plus grand incubateur de start-up au monde ? Il souffle dans ce 13e un nouvel air. Perceptible physiquement, face à ses larges avenues aux lignes de fuite infinies, sur la vaste esplanade de la Bibliothèque nationale de France, du long des quais de la gare d’Austerlitz au port de Tolbiac. Des avenues que l’on arpente et qui élargissent les perspectives. Effervescence neuronale aussi quand on se pique de participer aux cycles de conférences du MK2, à fréquenter les salles de lecture de la BnF, à franchir les portes de la Station F ou simplement à pousser celles des galeries. Jérôme Coumet, maire de l’arrondissement, explique le choix du fondateur de Free et actionnaire du groupe Le Monde par la concentration estudiantine : l’ Université Paris-Diderot, l’école d’architecture Paris-Val de Seine, l’antenne européenne de l’université de Chicago, l’Inalco, ex-langues O… « Xavier Niel est aussi venu chercher ce fort caractère universitaire, ce nouveau quartier latin en train de se faire. » Il souligne que cette friche industrielle de 130 km2, la plus vaste de Paris, constitue une page blanche, et comme telle permet tous les possibles. « Une liberté que l’on ne trouve pas ailleurs. Historiquement, le 13e assurait le fonctionnement de la capitale, ports, voies ferrées, entrepôts frigorifiques, usines d’air comprimé, grands moulins… aujourd’hui il s’agit d’être le quartier de l’innovation. La Ville de Paris vient de nous reconnaître comme tel. On initie de nouveaux modèles de construction, de vivre ensemble, d’introduction de l’agriculture sur les toits, que l’on pourra transposer ailleurs. »
Le plus grand campus numérique au monde
La Station F a presque un an. Fondée par l’entrepreneur des entrepreneurs Xavier Niel et managée par une trentenaire, Roxanne Varza, l’ex-Halle Freyssinet abrite un écosystème du cinquième type, entre jeunes entrepreneurs du numérique, sociétés de services et administratives propices à leur croissance, incubateurs de grandes écoles et Gafa comme Amazon et Google comme accélérateurs. 34 000 m2, 3 000 postes pour un millier de start-up, des programmes internationaux, un auditorium, un fab lab, des « bulles » de réunion, un anticafé et même La Poste, la BPI ou Pôle Emploi cohabitent. Des oeuvres d’art scandent l’espace, Murakami par Murakami, en moine bouddhiste au double visage, immense amas de couleurs de Jeff Koons et Iron Tree Trunk d’Ai Weiwei. Sur les canapés, lumière zénitale tombante, Harry et Kim, 27 et 24 ans, présentent leur application Firsty, déjà téléchargée par 12 000 membres. Elle référence les bars de la capitale sur des critères de qualité, d’accueil et de prix et offre aux utilisateurs le premier verre, « on ne sait jamais où déguster de bons produits sans se ruiner. » Plus loin, un cahier de coloriage se transforme en dessin animé sur l’écran d’une tablette. Emmanuel Marin démontre le principe de la réalité augmentée et de son jeu Wakatoon. « Station F m’a permis d’accéder sans attendre aux gens qui comptent, mes cahiers sont déjà en vente sur Amazon et je vais les décliner pour un grand groupe de restauration. »
Et le plus vaste restaurant d’Europe
L’immensité de l ’ espace agirait- elle sur l ’ i magination ? Certainement, peuvent répondre en choeur le tandem à l’italienne Victor Lugger et Tigrane Seydoux de Big Mamma. Ils viennent d’inaugurer le plus grand restaurant d’Europe, 4 500 m2 dont 1 000 m2 de terrasse, 1 400 couverts. Tigrane raconte la genèse du projet. « Xavier Niel, déjà actionnaire, est venu dîner dans un de nos restaurants, Ober Mamma, et nous a proposé de visiter la partie vacante de la Station F. Devant ce lieu incroyable, de 14 mètres de hauteur sous verrière, rails au sol, deux wagons à l’intérieur, on a eu envie de tout prendre et d’inventer une sorte de food-market qui n’existe pas, en direct des producteurs et 100 % fait maison. » Deux ans plus tard, avec l’aide de l’agence Jean-Michel Wilmotte, auteur déjà de la transformation de la halle, s’ouvre un temple du plaisir des papilles et des autres sens. Tous sont sollicités : on mange le meilleur de l’Italie, des pizzas bio à la napolitaine, de la viande maturée braisée et d’exquises salades, installé sous une pergola, ou sur un transat à l’ombre d’un arbre de 10 mètres. On danse au son de live orchestré par Radio Nova et le label Super. On écarquille les yeux face aux énormes ballons graffités. On sourit à l’accent italien de tous les cuisiniers. « 90 % du personnel est italien. Nous formons une grande famille, on est passé de deux à cinq cents personnes en trois ans. Tous sont formés, peuvent grimper, le plongeur d’hier est aujourd’hui le responsable de Felicità, on a pris le contre-pied du management existant dans la restauration. »
Emblématique, la Bibliothèque nationale de France
1998-2018, la BnF a 20 ans. Elle reflète dans ses tours, au-delà des changements du ciel, le caractère avant-gardiste du 13e côté Seine. Lors de sa construction, elle fut la première manifestation à une telle échelle de la tendance dite minimaliste de l’architecture contemporaine. Sa présidente Laurence Engel rappelle que ce monument répondait à l’ambition du président de la République François Mitterrand de créer une bibliothèque d’un genre « entièrement nouveau ». Son architecte Dominique Perrault dessine pour ce projet quatre structures angulaires de presque 100 mètres de hauteur, comme des livres ouverts, abritant en leur sein une forêt vierge de toute fréquentation humaine. Seuls éperviers et autres espèces, dont quelques chèvres pour les ronces, y trouvent refuge. Les salles de lectures, dont il conçoit jusqu’au mobilier avec Gaelle Lauriot-Prévost, entourent ce patio sauvage de plus d’un hectare. La maille métallique, innovation technique reprise par la suite dans de nombreux agencements, atténue les sons et filtre la lumière. Bois, métal, béton, verre forment aussi un quatuor très inspirant. Un ingénieux système de circuit de caissons convoie les livres sélectionnés par les lecteurs parmi les 15 millions stockés dans les dix-huit étages. Ce temple de la culture, propice à la réflexion, presque au recueillement, face à ces pins des Landes et autres feuillus, s’anime aux rythmes des conférences, des lectures, des expositions. Chaque jour sont déposés, comme le veut la loi, tout ce qui est imprimé pour diffusion, des quotidiens au moindre fanzine. Elle est une mémoire vive, ouverte à tous.
Terre d’expérimentation des architectes
« L’Est est un devenir… Une aube… Une promesse… L’est de Paris petit à petit se précise, se fabrique et apparaît. Il complète et modifie une situation inachevée. Il s’agit ici d’y construire son sommet, son point culminant pour ce début de siècle. D’y affirmer un caractère et une singularité en relation avec la réalité du site, avec cet objectif : révéler sa particulière beauté, s’appuyer sur elle pour inventer et renforcer l’attractivité du lieu. » Jean Nouvel précède de ces mots l’introduction à ses futures tours Duo qui se dresseront, ou plutôt se pencheront, sur ce 13e en voie d’achèvement. Au bout de l’avenue de France, les deux bâtiments se déhanchent afin de capter leur environnement « un jeu de reflets du paysage ferroviaire » . Jérôme Coumet, maire du 13e, rappelle que c’est « le quartier d’expression des architectes : Rudy Ricciotti, Jean-Michel Wilmotte, Christian de Portzamparc… » Globalement, la réflexion orchestrée par la Semapa est l’inverse de celle du baron Haussmann. Les constructions ne se jouxtent pas, la composition urbaine est aérée et fractionnée. Elles se structurent par îlots, s’ouvrent sur des places, des squares, des jardins, dégagent la vue souvent jusqu’à la Seine, favorisent les zones piétonnières. Avec vue sur la bibliothèque, l’immeuble des architectes Jean et Aline Harani se couvre de plaques de cuivre sur bois. Son rez-de-chaussée accueillera Tempuro nouvelle version. La chef brésilienne jouxtera la place Jean-Michel Basquiat bordée déjà par la « guinguette culturelle numérique » EP7, face au MK2, et bientôt la Fondation Agnès b. Son toit se cultivera collectivement en potager. Plus loin, sortira Aurore des architectes Kengo Kuma, Nicola et Adélaïde Marchi, un ensemble hôtelier mixte entre hôtel 4 étoiles et auberge de jeunesse, spa de 1 000 m2, un cabaret et une passerelle végétalisée de 28 mètres de hauteur sur laquelle on pourra assister aux projections sur le toit de la Station F. Sans oublier le futur siège du groupe Le Monde de l’architecte Snøhetta.
Pionnières, les galeries d’art et de design
Parallèlement à l’édification de la BnF dans les années 1990, des galeries d’art investissent la rue Louise-Weiss sous l’impulsion d’un de ses habitants, le galeriste Praz Delavallade. Jennifer Flay, aujourd’hui directrice de la FIAC, Emmanuel Perrotin… tous optent pour les larges espaces à loyers modérés voulus par la Ville de Paris afin de lancer un 13e culturel. Florence Bonnefous et Edouard Merino d’Air de Paris
montent de Nice à la capitale. Aujourd’hui leur « White Cube » s’est démultiplié et draine à chaque vernissage collectionneurs et amateurs internationaux. « Nous sommes plus centrés sur le métier des expositions que de la vente, nous travaillons avant tout avec les artistes et nous avons une palette plus grande que la moyenne. » Ils font partie des quelques galeries françaises influentes admises à Art Basel. Il règne toujours dans leur antre une ambiance conviviale. À la chaleur de leur passion, l’art se fait accessible, questionne, pousse à la réflexion. Le galeriste enchante. Laurent Godin affiche aussi cette décontraction artistique qui n’occulte en rien l’oeil défricheur. Les deux galeries s’échappent des parcours convenus Marais, Saint-Germain… et décélèrent le temps frénétique de l’art contemporain. Les vernissages se déroulent le dimanche autour d’un brunch en présence des artistes chez Laurent Godin. Des espaces qui façonnent d’autres modes de création « Pour innover, on a besoin d’espace. » Lithographe de père en fils, Franck Bordas est de la troisième génération. Fin des années 1990, il quitte son atelier de la rue Sedaine pour le 13e et un local haut de plafond, aux larges murs qui semblent appeler les grands formats. Limité par les dimensions des pierres à graver et des ancestrales machines, il est un des premiers à oser les outils du numérique. « Le lieu m’a permis de changer d’échelle. Nous recevons des peintres, des photographes et nous faisons du cousu main sans limites. Les auteurs réalisent des pièces imprimées uniques. » L’artiste Philippe Baudelocque a été invité en résidence à tester toutes les machines. « Mon travail mixe l’infiniment grand et l’infiniment petit. Avec Franck, j’ai inventé une transcription, un autre original à un format que je n’aurais pu dessiner. Je viens coller des dessins sur la version imprimée. Bosser avec d’autres techniques vous ouvre d’autres horizons. » Franck Bordas renchérit : « On a la chance d’être à une époque révolutionnaire, celle d’un passage à l’autre. Le multiple casse le fétichisme du collectionneur, l’art circule. » Même ouverture des possibles pour Mare-Lyn Salançon, fondatrice, en famille, avec mari et fils, de MY Design. Elle choisit le 13e il y a quinze ans et agence son showroom-magasin comme un appartement, « Il y a l’ouverture sur le ciel, c’est le quartier intrinsèquement le plus design de Paris ». Elle instruit depuis un dialogue entre art et design, dans un esprit galerie qui mélange oeuvres d’artistes contemporains, meubles vintage (Charles Eames, Olivier Mourgue…) prototypes et pièces uniques, rares ou numérotées (Salvador Dalí…). Opportunité créative – et humaine – aussi pour la chef brésilienne Alessandra Montagne qui peut
imaginer son Tempero, minuscule repère gastronomique, en grand. Elle concrétisera sa volonté de réserver des jours au don, dans l’esprit de son mentor Massimo Bottura et ses reffetorio. « Aujourd’hui on ne peut plus fermer les yeux, la gastronomie aussi se partage. » Son futur voisin, non loin de la Station F, Yuman, rééduque les goûts en mode bio, et agite les consciences pour un engagement environnemental. Gilles Tessier, son instigateur, collabore avec la Chambre du commerce et de l’industrie et l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie pour agir sur les flux : eau, électricité, déchets. « Si on ne change pas notre consommation, on ne changera pas notre désordre écologique et il y a urgence. » De la future école de mode à échelle internationale L’Institut français de la mode s’envisage aussi en plus grand et sur un nouveau modèle, différent des écoles d’art reconnues comme Central Saint Martins à Londres, La Cambre à Bruxelles ou la Royal Academy à Anvers. Sylvie Ebel, sa directrice, pointe les innovations nées de l’union avec l’École de la chambre syndicale de la couture. « Ces deux écoles sont très professionnelles, elles ont été fondées par des gens de la profession. Nous réunirons sur le même campus des gens qui créent, qui font, qui vendent. L’objectif est le premier rang mondial. » La Cité de la mode et du design, hébergeur de l’IFM, signée par les architectes suisses Jakob+MacFarlane, participe aussi à la reconnaissance internationale de l’établissement : « Une école est un lieu. » À contre-courant la liberté de la fête Les courbes de Simone-de-Beauvoir invitent à la traversée. La passerelle enjambe la Seine. L’énergie coule à flots. De barges en péniches, on grignote, on danse, on papote. On dort même sur l’eau au OFF hôtel. Les programmations peuvent être pointues comme Au Petit Bain, avec plus de 240 concerts dont un tiers en production propre « nous allons chercher des esthétiques originales, pop, rock et nouvelles tendances. Nous sommes en veille perpétuelle. Les premiers concerts parisiens de Grand Blanc, de Lomepal… et aussi des légendes du punk comme The Damned… » Conçu par le cabinet d’architectes Encore heureux, cet objet flottant identifié par sa couleur jaune tilleul, conjugue les différentes générations, communautés. Parmi les autres embarcations qui piquent la curiosité, la barge du CROUS pour une bronzette sur le pont allongé dans les transats ou la péniche Les Jardins suspendus avec la tentation d’une trempette cocktail à la main. Mieux qu’une promenade à l’Est, le 13e vous met la tête à l’ouest, face au coucher du soleil. Alors, on danse ?