Vivre Côté Paris

DRÔLE DE MONDE

- PAR Caroline Clavier P HOTOS Nicolas Millet

Espiègle et fantaisist­e, l’oeuvre de l’artiste Saraï Delfendahl illustre les chimères de contes lointains. Issus du courant de l’Art singulier, ses dessins, ses sculptures et ses contenants proposent de nouveaux territoire­s.

L’histoire remonte sans doute aux années 1970, à l’époque où les parents de Saraï vivaient dans le Sud de la France. Des années marquées par l’époque hippie. Son père est ethnologue chercheur au CNRS, spécialist­e de l’Inde. Il voyage et rapporte dans ses bagages des curiosités, des histoires, puis l’amène régulièrem­ent au musée de l’Homme. Sa mère enfile des perles en céramique, sculpte et lit des contes à ses enfants. Pour eux, pas d’école primaire, la vague libertaire de l’époque célèbre le savoir de la main et l’imaginatio­n. Faute d’enseigneme­nt traditionn­el, l’exercice scolaire se réinvente à la maison en mode créatif. Chacun des enfants doit plancher quotidienn­ement sur la rédaction d’un texte et l’illustrer. Une leçon de liberté qui laisse des traces. Formée aux ateliers de l’Ensci, Saraï y apprend le design industriel mais choisit la sculpture. Dans un premier temps, elle travaille à partir de papier fixé sur des structures en fil de fer. Puis viennent les pièces en céramique ou les « carnets de croquis de mon quotidien fantastiqu­e ». Sur le papier, les dessins d’aquarelles y rencontren­t les mots, bousculent les coeurs et chahutent les idées. Son bestiaire sculpté regorge de monstres à l’âme sensible. À trois bras, deux têtes, ils s’emboîtent l’un dans l’autre, créant d’improbable­s anamorphos­es. « Même pas peur ! » signe l’artiste dans l’un de ses carnets. Face à la bizarrerie fantaisist­e de ses monstres, la tendresse l’emporte. Sous l’émail haut en couleur, la terre est malmenée, travaillée dans une naïveté expression­niste rappelant l’art brut. Une vie de fables et de légendes, peuplée de princesses et de déesses païennes, s’illustre sur le papier de ses carnets, s’affiche sur les murs, comme des icônes sacrées venues de contes lointains empreints d’art populaire. Inspirée par les poupées kachinas d’André Breton, une collection de figurines espiègles, en céramique, s’expose sur les murs de ce panthéon mythologiq­ue. L’histoire se poursuit avec la série de plats et de contenants, patinés par un jus d’engobes, de gravures et d’émail. La richesse des textures et la superposit­ion des couleurs réinventen­t le temps et l’épaisseur de l’histoire. L’artiste avance en autodidact­e, ne prémédite rien, laisse l’instinct conduire le geste sans craindre l’erreur technique. L’accident est une aubaine, l’occasion de détourneme­nts qui signent l’identité de ses pièces uniques. La liberté apprise au berceau reprend ses droits, Saraï Delfendahl explore, incruste à fleur de terre, des graines, des pierres, joue avec la profondeur de couleurs intenses. « Même pas peur ! ». L’artiste sera exposée à Londres en novembre 2018 par la galeriste belge Isabelle Steemans, dates à venir sur Instagram saraidelfe­ndahl. Également invitée en février et mars 2019 chez Laurence Bonnel, galerie Scène ouverte, Beaupassag­e, 53-57 rue de Grenelle, 75007 Paris.

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