Vivre Côté Paris

VISAGES PÂLES

- PAR Laurence Mouillefar­ine P HOTOS Nathalie Baetens

ALORS QUE LA SCULPTURE EST MISE À L’HONNEUR AU SALON FINE ARTS PARIS, ALORS QU’ELLE REVIENT EN MAJESTÉ DANS LES GALERIES DU PETIT PALAIS, DÉCOUVRONS UN DÉPÔT EXTRAORDIN­AIRE... OÙ SONT CONSERVÉS LES ORIGINAUX DES STATUES QUI ORNENT PLACES ET JARDINS DE LA VILLE. VISITE INÉDITE.

Qu’une telle collection existe tient du miracle. Il y a là, entreposés, deux mille plâtres originaux qui ont servi à la réalisatio­n des sculptures de plein air disséminée­s dans Paris ! « Ces modèles ont échappé à la benne » , se réjouit Anne-Charlotte Cathelinea­u, qui veille sur ce Conservato­ire des oeuvres d’art religieuse­s et civiles ou COARC. « Longtemps on a déconsidér­é les plâtres, ils n’étaient qu’une étape dans le processus de fabricatio­n d’une sculpture. Une fois le bronze coulé, ou le marbre reproduit, on se débarrassa­it des modèles préparatoi­res. Aujourd’hui, on les regarde d’un autre oeil. On y voit le témoin le plus proche de l’intention du maître, sorte d’esquisse » . Depuis 1888, cet ensemble dormait dans un dépôt à Auteuil. Au cours des années 1970, la Ville de Paris souhaitant récupérer le terrain, on pensa à briser ces oeuvres encombrant­es et poussiéreu­ses. Il fallut l’enthousias­me et la force de persuasion de Thérèse Burollet, directrice du Petit Palais, pour qu’elles soient sauvées. Action héroïque, en ces temps où la sculpture était ignorée, ou mal aimée. La collection quitte la capitale pour être transférée à Ivry-sur-Seine, dans une ancienne usine de traitement­s des eaux. Nous y sommes, bien que l’endroit soit inaccessib­le au public. Il s’entrouvrir­a pour une petite poignée d’amateurs privilégié­s à l’occasion du salon Fine Arts Paris et de la Semaine de la sculpture. Ici, tout est spectacula­ire : la gigantesqu­e architectu­re industriel­le, la lumière entrant par les vitraux, l’accumulati­on des oeuvres, l’éclectisme des styles. Émouvants fantômes de plâtre. Au premier rang, se dressent les figures religieuse­s, sereines, pour l’éternité. Procession silencieus­e que forment une sainte Agathe, un moine en prière, le curé d’Ars, un ange de l’Annonciati­on... Les oeuvres datent, pour la plupart, de la IIIe République. L’âge d’or de la sculpture de plein air. Les municipali­tés sont prises, alors, de « statuomani­e » . Il s’en installe partout, au milieu des places, au fronton des façades, sur les boulevards, dans le moindre square... L’administra­tion repère les oeuvres dans les salons officiels, commandite des reproducti­ons, lesquelles sont financées par souscripti­ons. Les monuments chantent

la grandeur de la France, ses écrivains, ses peintres, ses tragédienn­es. Elles exaltent les vertus traditionn­elles : la famille, la patrie, le travail. Une Fermière du Plougastel surgit derrière une pile de caisses en bois, tandis qu’au détour des allées on croise quantité de Mère à l’enfant et autres délicates maternités. L’époque chérit les allégories symbolisan­t les arts, les sciences, l’héroïsme de nos soldats en 1870 ou 1914-1918. Ces effigies ont souffert ; certaines ont perdu leur tête, ou laissé un pied, au cours de déménageme­nts. Elles arborent, parfois, une couleur grisâtre, une surface desquamée. « Pour présenter les plâtres en extérieur lors de l’Exposition de 1889, on les a recouverts d’un badigeon censé les protéger, il a mal vieilli, s’est craquelé » , explique Anne-Charlotte Cathelinea­u. Qu’importe. Ces modèles sont d’autant plus précieux que certaines sculptures définitive­s ont disparu, détruites durant l’Occupation. Il s’agissait de récupérer des matériaux non ferreux, nécessaire­s à l’armement ou bien, leur sujet ne correspond­ait pas à l’idéologie du gouverneme­nt de Vichy... Un exemple ? Le bronze de Maria Deraismes, journalist­e, engagée dans l’émancipati­on des femmes, première franc-maçonne, qui fut démoli en 1943. Une oeuvre de Louis-Ernest Barrias. Quarante ans plus tard, c’est une associatio­n féministe qui s’offrit une nouvelle fonte. Maria Deraismes, fière, a regagné son piédestal, square des Épinettes, dans le xviie arrondisse­ment. Vingt-quatre des figures se sont refait une beauté. Après avoir été rafraîchie­s par une équipe de restaurate­urs, un an durant, elles ont quitté la réserve pour rejoindre le Petit Palais. Rappelons-le, ce bâtiment édifié pour l’Exposition universell­e en 1900 et converti deux ans plus tard en musée des Beaux-Arts de la Ville de Paris, abritait deux vastes galeries de sculpture. Les voici reconstitu­ées (et visitables à partir du 7 novembre). L’âme du lieu nous est revenue.

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 ??  ?? 1. Deux milliers de statues et groupes en plâtre originaux, accompagné­s de quelques moulages, s’accumulent dans cet entrepôt ; ce patrimoine fut sauvé de la destructio­n en 1978... 2. Fermière de Plougastel imaginée par Armel Beaufils, une figure acquise en 1927. 3. Détail d’une sculpture de François Auguste Peyrol, intitulée La Lutte. 4. Modèle en plâtre d’un Archer du XV e siècle, conçu par Eugène Aizelin. 5. Gros plan sur un Couple, une oeuvre de Paul Vannier.
1. Deux milliers de statues et groupes en plâtre originaux, accompagné­s de quelques moulages, s’accumulent dans cet entrepôt ; ce patrimoine fut sauvé de la destructio­n en 1978... 2. Fermière de Plougastel imaginée par Armel Beaufils, une figure acquise en 1927. 3. Détail d’une sculpture de François Auguste Peyrol, intitulée La Lutte. 4. Modèle en plâtre d’un Archer du XV e siècle, conçu par Eugène Aizelin. 5. Gros plan sur un Couple, une oeuvre de Paul Vannier.
 ??  ?? 1. Le petit noeud rouge indique que l’oeuvre appartient à la collection du Petit Palais, musée des Beaux-Arts de la Ville de Paris ; la fillette fait partie d’un monument baptisé La Vieille histoire et dont l’auteur est Lange Guglielmo. 2. Enfant au masque de Charles-Hubert Robert-Champigny. 3. Ces sculptures nées sous la IIIe République, entre 1870 et 1940, arborent tous les styles : antique, néoclassiq­ue, symboliste... 4. De Jean Boucher, Devant la mer, modèle en plâtre.
1. Le petit noeud rouge indique que l’oeuvre appartient à la collection du Petit Palais, musée des Beaux-Arts de la Ville de Paris ; la fillette fait partie d’un monument baptisé La Vieille histoire et dont l’auteur est Lange Guglielmo. 2. Enfant au masque de Charles-Hubert Robert-Champigny. 3. Ces sculptures nées sous la IIIe République, entre 1870 et 1940, arborent tous les styles : antique, néoclassiq­ue, symboliste... 4. De Jean Boucher, Devant la mer, modèle en plâtre.

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