LIGNES D’HORIZON
Paris plus grand, plus haut, plus vert. L’innovation secoue la ville-musée, D’éco-quartiers en fermes urbaines, Paris devance les objectifs du Plan Climat 2050 pour atteindre dès 2024 la neutralité carbone.
Paris plus grand, plus haut, plus vert… L’innovation secoue la ville-musée saturée, 21 000 habitants au kilomètre carré, plus que New York ou Londres. D’éco-quartiers en fermes urbaines, de défis architecturaux en prouesses environnementales, Paris devance les objectifs du Plan Climat 2050 pour atteindre dès 2024 la neutralité carbone. Et s’envisage en grand ! Paris intra et extra-muros. En vert et pour tous.
Réinventer l’historique. De l’hôtel des Postes, îlot de pierre et de fer de 32000 mètres carrés, édifié sous la Troisième République par Julien Guadet en 1886, les Parisiens ne connaissaient qu’une infime partie, réservée au courrier, avec entrée rue du Louvre. Dès le printemps, ce colossal bâtiment s’appréhende dans la majesté de sa nef métallique. Dominique Perrault, architecte en charge du projet « a rendu poreux, perméable» ce bloc en ouvrant les façades sur les quatre côtés, en agençant une cour intérieure, en mixant aux activités postales, des places dédiées aux marchés ou aux festivals. À quelques pas, la Bourse du Commerce, de halle au blé au XVIe siècle à temple du commerce en 1885, renaît en musée d’art contemporain du collectionneur François Pinault. L’architecte Tadao Ando renoue avec son avant-garde passée, en soulignant son architecture sphérique par l’apport d’un élément central, cercle de béton de 9 mètres de haut, partant à l’assaut de la rotonde. On tutoie les fresques originelles. Autre inauguration, la mythique Samaritaine après quinze ans de sommeil. En descendant la Seine jusqu’au port de l’Arsenal, encore une rénovation spectaculaire à venir: la transformation d’un cube administratif des années 1960 par l’agence britannique David Chipperfield, en un lieu ambitieux par sa mixité des usages et son innovation éco-responsable. Piscine en sous-sol, marché alimentaire au rez-dechaussée, art sur le toit avec une oeuvre multi-sensorielle de l’artiste Olafur Eliasson. Et en ligne de mire la tour Montparnasse «en nouvelle icône de la révolution énergétique du XXIe siècle », revue par un collectif d’architectes associés pour cette occasion.
Premier éco-quartier zéro carbone. «Paris est pionnier à l’échelle mondiale sur la décarbonisation, grâce à l’appel aux matériaux biosourcés : le bois, la pierre, la terre… et a initié une façon de faire très spécifique. La Ville a changé le processus avec “Réinventer Paris” et donc les conclusions architecturales. Au-delà du bâti, il est question d’usages, de déplacement, de ressources. Des collectifs d’urbanistes, promoteurs, architectes, paysagistes, start-up, associations s’agrègent», pointe Alexandre Labasse, directeur du Pavillon de l’Arsenal, haut lieu de l’architecture, de recherche, d’expérimentation, d’exposition. «De la Ferme du Rail, réalisation significative sur la Petite Ceinture réalisée par Clara Simay au futur quartier Bruneseau du XIIIe, les bâtiments traduisent les préoccupations écologiques et anticipent les mutations». Mathurin Hardel de l’agence Hardel Le Bihan, mandataire et coordinatrice du futur quartier Bruneseau, souligne l’ambition du projet de 95000 mètres carrés, à cheval sur Paris et Ivry, abordant la question du carbone comme celle de l’énergie. «Un chantier urbain révolutionnaire, quatre architectes, douze bâtiments essentiellement en bois, avec une première mondiale pour les IGH, immeubles de grande hauteur. Donc la plus grande séquestration de carbone équivalente aux bois de Boulogne et Vincennes réunis ». Innovation à tous les étages! Ordures par voies pneumatiques, mix énergétique entre solarisation ou provenant des déchets organiques, en gestion collective dite «smart grid», façades bioclimatiques, filtration de l’air par charbon actif, jardins et potagers pour la biodiversité… même le périphérique se voit en boulevard urbain et non comme une autoroute-frontière.
Des tours à multi-usages. Paris déplafonne son horizon haussmannien figé à 35 mètres de haut. Erik Orsenna dans son livre Désirs de ville coécrit avec Nicolas Gilsoul, aux éditions Robert Laffont, évoque «les premières flèches du XXIe siècle montent à
l’assaut du ciel de Victor Hugo ». Jean Nouvel, à qui l’on doit l’Institut du Monde Arabe, le musée du Quai Branly-Jacques Chirac, la Philharmonie, peut enfin «gratter le ciel» avec une tour, plutôt deux, les bien nommées Duo, de 180 mètres et 122 mètres, soit 39 et 29 étages. Grandes de 90000 mètres carrés de surfaces tertiaires, elles s’inscrivent dans « les BBC: les bâtiments labellisés à basse consommation ». Jean-Louis Missika, adjoint au maire de Paris chargé de l’urbanisme, de l’architecture, des projets du Grand
Paris, du développement économique et de l’attractivité, souligne: «Duo participe à l’effervescence urbaine de la ZAC Paris Rive Gauche dans le XIIIe arrondissement, accueillant le siège du quotidien Le Monde, la Station F (Halle Freyssinet), le plus grand campus d’innovation». Phares de la capitale, leurs silhouettes courbées sur le périphérique reflètent les flux de la ville. Jean Nouvel signe également la tour Hekla à La Défense aux lignes en pans coupés. Ces 220 mètres de hauteur voisineront avec la tour Saint-Gobain de Valode & Pistre de 165 mètres. À leur sommet, toiture végétalisée de 600 mètres pour l’une, serre tropicale de 40 mètres de haut pour l’autre. La biodiversité est aussi dans le ciel de La Défense. Pour Hekla, un pôle «Creatives Hekla» formé du designer Ramy Fischler, de la philosophe Julia de Funès, de la chef Marion Flipo entre autres, réfléchit au bien-être, au bien-manger, aux nouveaux usages de la génération Wi-Fi nouvellement arrivée sur le marché dit du travail. Envolée prospective en perspective.
Fermes et forêts urbaines. Une immense ferme Porte de Versailles et « Mille arbres» à la Porte Maillot! Le verdissement de Paris, s’inscrit dans une vision extra-large de Paris, d’un Grand Paris inclusif, les Portes mutant en places, et la nature s’infiltrant dans chaque programme immobilier ou d’infrastructure. La Porte de Versailles a déjà entamé sa mue avec la rénovation des blocs du premier site d’exposition européen orchestrée par Valode & Pistre rejoint par les plus grands architectes, l’ouverture récente d’un nouveau Mama Shelter signé Jean-Michel Wilmotte et, sur le toit du pavillon 6, le plus grand terroir maraîcher sur toiture en Europe, dans un environnement de 72000 mètres carrés de verdure. Une tonne de légumes et fruits est produite par an. À la Porte Maillot, boulevard Pershing, à l’horizon 2024, c’est une forêt qui poussera sur le toit du «paquebot» dessiné par l’architecte japonais
Sou Fujimoto : «Je pense que ce peut être la source et le symbole de notre façon de voir et de penser notre futur cadre de vie. Ce peut être le symbole de l’intégration entre nature et architecture. Ce peut être le symbole du Nouveau Paris.» Ses compères dans cette aventure, OXO Architectes, réalisent aussi l’Arbre de vie à Créteil, « une tour foisonnante de végétation» à l’intersection de la ligne 8 du métro et et de celle à venir du super métro du Grand Paris Express. Les gares jouent le rôle de totem de ce nouveau Paris. Même la gare du Nord se végétalise dans la perspective de son agrandissement. Au total, une centaine de projets a été lancée dans le cadre de «Réinventer Paris 1 et 2», de «Réinventer la Seine», ou encore avec «Réinventer la Métropole». Les barons Haussmann du XXIe siècle fomentent une capitale innovante, éco-responsable, se voulant transgénérationnelle et multiculturelle. L’idée de «voir la vie… en vert» se rapproche.