BÉTON, MON AMOUR
AUSSI FORT QUE L’ACIER, AUSSI SENSUEL QUE LA PIERRE, LE BÉTON EST UN MAL AIMÉ. TELLEMENT QU’IL SE RETROUVE ACCUSÉ DE TOUS LES MAUX DANS UNE PIÈCE DE THÉÂTRE ÉCRITE PAR L’ARCHITECTE RUDY RICCIOTTI « LE BÉTON EN GARDE À VUE ». DANS UNE LANGUE IMAGÉE, TOUTE EN GOURMANDISE MÉTAPHORIQUE, IL DÉFEND LA NOBLESSE DE CE MATÉRIAU.
«Dans tous mes projets, il y a du béton. C’est un condiment qui réveille les papilles, je ne peux pas m’empêcher d’en mettre dans tous les plats». Grand Prix national d’Architecture en 2006, rétrospective en 2014 à la Cité de l’Architecture, Maestri dell’Architectura en 2018, Rudy Ricciotti en fait sa matière de prédilection, contre vents écologiques et marées politiques. Le béton, sous sa main, se fait résille, nidifiant le stade Jean Bouin à Paris, devient gracile, revêtant de dentelle, les façades du Mucem, musée des Civilisations de l’Europe et de la Méditerranée, à Marseille, ou prend la souplesse de la vague pour le Centre de pilotage du programme de recherche sur la fusion thermonucléaire à Cadarache, au nord d’Aix-en-Provence. Demain, il s’érigera sur une exo-structure, en trame élégante rappelant l’univers du textile, pour la Manufacture de la Mode Chanel à Aubervilliers. Pour Rudy Ricciotti, «La philosophie de ce projet destiné aux Métiers d’art de Chanel est fondée sur une narration, celle de la relation entre la complexité technique et savante des métiers de la main de la mode, leur remarquable virtuosité au service de la création et de la beauté, et le caractère technologique extrême de mes réalisations. C’est un éloge réciproque de la complexité – celle du bâtiment atteindra un niveau inégalé – et de la relation aux savoirs.» Dans son manifeste Le béton en garde à vue, il revendique cette capacité du béton à se prêter à une architecture narrative en opposition à une vision universelle qui engendre dans son lissage, son uniformisation, la destruction de savoir-faire spécifiques. Le béton est une affaire de famille, du maçon à l’ingénieur, et de proximité, une ressource qui ne s’importe pas, toujours à moins de cinquante kilomètres de ses chantiers. «Car le béton est une chaîne qui fabrique de l’emploi territorialisé et crée de la richesse, développe un haut niveau d’expertise… son empreinte écologique est plus favorable que toutes les autres filières. Malheureusement, cela n’est connu que des experts». Même si le lecteur n’en devient pas un, Rudy Ricciotti «arme sa réflexion d’un court-circuit à activer en cas de doute sur la légitimité d’une décision ordonnée par une instance arbitraire à force d’exercer son autorité».