Balenciaga
Reste la dernière étape, l’acte d’achat, avec cette question en ligrane : les millennials, nés avec l’explosion du e-commerce, vont-ils continuer à aller dans les boutiques de luxe ? Et des maisons comme Chanel ou Hermès pourront-elles encore longtemps refuser de vendre en ligne leur prêtà-porter ? Quand ces institutions ont vu arriver la révolution numérique, elles ont en effet craint un danger de vulgarisation et de banalisation et ont refusé de s’y vendre au nom d’une certaine idée de l’exclusivité, cherchant à étoffer l’expérience d’achat en boutique. «Mais ce n’est pas le sens de l’histoire, explique Eric Briones. Les millennials ont été éduqués par Amazon, avec des standards de praticité et de rapidité extrêmement performants.» Du coup, certaines maisons de luxe commencent à aborder la vente en ligne autrement. Ainsi, Louis Vuitton a lancé un service de personnalisation de sa maroquinerie : le client peut acheter un portefeuille en choisissant de customiser le monogramme de ses propres initiales. Quant aux boutiques, elles ne sont pas encore totalement désertées par les millennials. Il suf t de voir la le d’attente monstrueuse devant le magasin Vuitton des Champs-Elysées lors du lancement de leur collaboration avec la marque Supreme. «Les millennials qui se déplacent encore en boutique, explique Serge Carreira, sont d’abord les touristes, comme les jeunes Chinois qui viennent à Paris et font le tour des agships de grandes maisons comme un passage obligé culturel. Mais, poursuit-il, l’intérêt des marques est d’étoffer la visite en boutique, avec à nouveau une injonction paradoxale : les millennials veulent vivre un moment plus intense mais aiment que ça aille très vite. À l’avenir, pour faire venir ces jeunes gens, les boutiques vont donc devoir proposer des expositions d’art ou des salles de cinéma.» Le cas de Céline résume bien le changement d’optique des griffes de luxe. Tant que Phoebe Philo était à la tête de la création de la maison, avec un imaginaire reposant sur la sobriété, Céline résistait à la vente en ligne. Mais dès le lendemain de son départ, hop, tout était disponible online. Et l’arrivée d’Hedi Slimane, qui incarne une sorte d’éternelle jeunesse, devrait accentuer ce repositionnement numérique de la maison. Serge Carreira se projette : «Si les évolutions technologiques permettent de faire des simulations d’essayages de façon satisfaisante, il n’y a aucune raison que ça n’évolue pas. Il faudra juste que le service en ligne ne soit pas moins bon qu’en boutique. La technologie évoluant, les sites seront de plus en plus sophistiqués.»
Autre caractéristique des millennials : ils sont beaucoup moins intéressés par le fait de posséder les produits que par l’idée d’en jouir et de le clamer sur les réseaux sociaux. D’où l’essor des sites de locations d’articles de luxe auprès de ce public. LVMH l’a bien compris qui, plutôt que de vendre des bouteilles de dom pérignon aux millennials, leur propose en ligne une «expérience» : aller déguster du champagne au pôle Nord. De nouvelles cultures du luxe sont en train d’apparaître. «La France n’est pas le meilleur endroit pour s’en rendre compte, précise Eric Briones. Si vous allez dans les restaurants chics de la Silicon Valley, vous constaterez que la clientèle a moins de 30 ans et vous comprendrez qu’une marque de prestige qui refuse encore de proposer des produits d’entrée de gamme comme des sneakers, du denim ou des T-shirts se coupe irrémédiablement de cette génération.»
Bref, le luxe n’est plus le même depuis que les millennials sont devenus des consommateurs, et ce n’est pas ni puisque les premiers d’entre eux sont désormais parents…