LA (RE)CONQUÊTE DE L’OUEST
Entre vestes à franges manteaux-couvertures et jeans usés à point, les cowboys (et cowgirls) sont redevenus les héros des podiums. Mais pourquoi tant d’attrait pour une imagerie aventurière qui traîne aussi ses relents d’Amérique profonde et quelques kits
Entre vestes à franges, manteaux-couvertures et jeans usés à point, les cowboys (et cowgirls) sont redevenus les héros des podiums. Mais pourquoi tant d’attrait pour une imagerie aventurière qui traîne aussi ses relents d’Amérique profonde et quelques kitscheries à la «Dallas»? Décryptage de la westernitude ambiante. Par Loïc Prigent
C’est toujours une gymnastique intéressante de décrypter une tendance. Prenez celle du moment, apparemment sortie de nulle part, des cowboys. Pourquoi les cowboys resurgissent-ils sans prévenir dans plusieurs défilés de saison ? Entre une tendance de manteaux boucliers et d’imprimés animaux, il y a les cowboys. Toutes ces tendances disparates évidemment ne dessinent qu’une seule et énorme tendance : une inextinguible soif de nature et un inassouvi besoin de protection. Et le cowboy, c’est justement ça, un guerrier au coeur de la nature.
Si les cowboys sont l’obsession, c’est que l’Amérique l’est encore aussi, mais évidemment pas celle des décharges de Cadillac et des usines abandonnées de Détroit, on se réfugie plutôt dans une Amérique conquérante, optimiste et rugueuse, avec une haleine de menthe poivrée, colchique dans les prés. Évidemment que la référence cowboy séduit encore ! C’est Marilyn dans Bus Stop qui inspire toute une collection de Pierre Hardy ! C’est la rebelle Lucy dans Dallas, reine du madison, qui se fait offrir une Porsche pour ses 16 ans et réinvente la légende de la pauvre petite fille riche ! John Wayne et les desperados sentimentaux, Liz Taylor et James Dean dans Géant, Elvis et Johnny en cowboys inoffensifs. C’est Calamity Jane l’éternelle déesse de la veste en daim à franges ! C’est le duo Thelma et Louise, les ambassadrices de la liberté et des jeans usés à la perfection ou Madonna qui chante enfin du folklore qui n’est pas à base de sexe. C’est la poigne de Joan Crawford en patronne des cowboys dans Johnny Guitare. Une femme qui prend les choses en mains, qui ne passe pas ses journées à se prélasser en crinoline dans les salons de la maison à colonnades de la plantation, prête à se battre, sans iPhone et sans selfie mais avec un Jolly Jumper fidèle.
La cowboyitude, cette délicieuse douleur aux fesses de faire trop de canasson à longueur de journée, cette poussière qui entre partout, cette proximité avec la nature. On n’oublie pas les bisous bisons, les confidences sexy au coin du feu de branches de genévrier dans la nuit, et l’attrait sexuel évident du jean chaps immortalisé par Mapplethorpe et des collections mythiques de Versace. Le cowboy est le roi de la géographie américaine tectoniquissime, et le héros des récits de solitude aussi désertique que lyrique d’Edward Abbey. On oubliera que, politiquement, le cowboy est plutôt ultraconservateur, renfermé et surphobique à tout élément extérieur, pour ne retenir que les belles valeurs de proximité à la pampa et aux insondables canyons.
La formidable Vanessa Seward cite l’influence cowboy dans son travail, parce que sa mère argentine empruntait des éléments clés de l’uniforme des gauchos locaux et les intégrait avec grand chic dans ses silhouettes urbaines, ambiance la femme de Zorro au cocktail. Isabel Marant pose des couvertures de cheval certifié Grand Ouest sur ses mannequins, pour en draper des manteaux sobres et graphiques qui disent simplicité, bon sensisme, sauvagité, grandairisme. Échapper au tumulte, se désincarcérer de nos voitures et transports trop communs : les valeurs cowboys reprennent les valeurs surf mais sans l’humidité, les valeurs des motards mais sans les pots d’échappement, les valeurs punk mais sans les crêtes, les valeurs cosmonautes avec le sens de l’exploration mais sans les fusées. Ce qu’on recherche ici, c’est un idéal ; les défauts des cowboys sont pardonnés. Alors que chaque tweet du Donaldo est un coup de voiture bélier dans l’image de l’Américana, le cowboy reste encore un roc de rêve fiable.
Le cowboy Marlboro a pris du plomb dans l’aile mais cela a eu pour effet secondaire de redorer encore l’imagerie sublime du type en chemise en jean rouge, à la peau tannée par le soleil et aux mains larges et raides. L’artiste Richard Prince la reprend sans vergogne. Les éditeurs impriment mille beaux livres de photos de rodéos bruts et chics. Calvin Klein et Ralph Lauren continuent d’évoquer les cavaliers du Colorado. C’est même le premier archétype américain que Raf Simons a cité quand il est arrivé aux rênes de la Calvin Klein Company. Et Ralph Lauren n’en finit pas d’apparaître comme un cowboy milliardaire, avec photoreportages hallucinants sur son ranch grand comme trois Camargue. Les cowboys sont encore des héros.