LA JEUNESSE VA-T-ELLE SAUVER OU TUER LE LUXE ?
est plus que Conquérir jamais les millennials des marques de luxe. l’obsession Création, communication, tour d’horizon vente : de tout ce qui est en train de changer.
Conquérir les millennials est plus que jamais l’obsession des marques de luxe. Création, communication, vente: tour d’horizon de ce qui est en train de changer. Par Olivier Nicklaus
La jeunesse a toujours raison, qui l’écoute est sage.» Cette célèbre citation de Stefan Zweig reflète la façon dont, depuis quelques saisons, les grandes maisons de luxe semblent totalement affolées par le risque de ne pas savoir séduire, parler et vendre à ceux qu’on appelle les millennials. Point vocabulaire, d’abord : les millennials au sens strict, encore appelés «génération Y», sont tous les jeunes nés entre 1981 et 2000, c’est-à-dire les garçons et les filles qui ont connu la révolution numérique dès leur adolescence (d’où le terme «digital natives»). Et ils sont désormais talonnés par la génération Z, née à partir de 2000, qui commence déjà, elle aussi, à consommer du luxe.
Point chiffres ensuite. Pour ceux qui en douteraient, les millennials ont un poids économique énorme. La dernière grosse étude, réalisée en 2017 par le cabinet Bain & Company, montre qu’ils représentent 32 % de la clientèle actuelle du luxe (et seront 45 % en 2025). Et pour enfoncer le clou des chiffres, l’âge moyen du consommateur de luxe chinois est de… 25 ans. Pour séduire ce public versatile et insaisissable, les marques travaillent sur trois niveaux bien distincts : la création, la communication et la vente.
Côté création d’abord, les injonctions des millennials sont paradoxales. «D’un côté, ils ont une exigence de renouvellement extrêmement rapide. De l’autre, ils ont une demande de produits reconnaissables avec une histoire, une authenticité, une éthique même», explique Serge Carreira, maître de conférences à Sciences-Po et spécialiste reconnu du secteur.
Pour l’authenticité qui parle aux millennials, on peut citer l’approche de Stella McCartney avec sa démarche de respect de l’environnement, mais aussi ses engagements pour la cause des femmes. «Ce qui est important, poursuit Serge Carreira, c’est qu’il y ait une cohérence entre le discours affiché et la réalité de ce qui est produit. Les millennials sont très vigilants là-dessus.» Végétarienne depuis toujours, Stella McCartney n’a jamais utilisé de fourrure ni de cuir dans ses collections. Quand on sait à quel point les millennials sont concernés par le vegan, il paraît évident qu’ils se sentent en accord avec son univers. Autre exemple, Gucci qui, depuis qu’Alessandro Michele en a repris les rênes, a lancé des campagnes pour l’égalité hommesfemmes, contre les discriminations faites aux homosexuel(le)s, et soutient la lutte contre les armes dans les lycées.
Le fort relais qu’ont trouvé ces actions sur les réseaux sociaux, terrain d’expression privilégié des millennials, prouve que Gucci a su réunir une communauté autour de ces valeurs, qui se retrouvent d’ailleurs dans les défilés d’Alessandro Michele où androgynie et romantisme ont la part belle, à coups de fleurs maximalistes sur les garçons comme sur les filles. Les manifestes féministes des derniers défilés Dior par Maria Grazia Chiuri, très relayés par les millennials, en témoignent également. «Contrairement à leurs parents qui consommaient du luxe dans l’idée d’appartenir à un club privé, les millennials sont moins dans cette fierté d’appartenance que dans la recherche d’une opinion, d’une valeur ou d’un message qui seraient délivrés par la maison», confirme Eric Briones, auteur du livre La Génération Y et le luxe (éditions Dunod). Lui aussi cite Gucci comme modèle d’un baroque créatif dont la bizarrerie trouverait écho chez les millennials, d’autant plus, ajoute-t-il, que «le vieux logiciel du luxe – à savoir tradition et savoir-faire – n’a guère de prise sur eux. Ils ont en revanche une sorte d’addiction à l’émotion. Un achat de luxe doit leur procurer une véritable décharge émotionnelle.» On peut ici citer l’exemple de Dapper Dan, ce tailleur de Harlem qui détournait les logos de Vuitton ou de Gucci dans les années 80. À l’époque, levée de boucliers de ces maisons à coups de procès et de pressions. Cut. Trente ans après, c’est Alessandro Michele qui ne tarit pas d’éloges sur le travail de Dapper Dan, s’en inspire et convainc même Gucci de le financer. Le genre d’histoire qui enchante les millennials. «Gucci est vraiment à la pointe sur ce public, puisqu’outre leur laboratoire de prospective en interne, ils en ont ouvert un deuxième dans l’université milanaise de Bocconi», précise Eric Briones, qui sait de quoi il parle : il cofonde actuellement la Paris School of Luxury, dans laquelle il veut lui aussi créer des laboratoires pour les maisons de luxe.
Pour ce qui est de la communication, les maisons de luxe n’ont encore pas abandonné tout l’arsenal classique (dé lés, égéries, campagnes de pub dans les journaux papier), mais elles y ajoutent aujourd’hui une ré exion sur le numérique et les réseaux sociaux : on note par exemple l’essor important de la production de vidéos, faciles à relayer sur Facebook ou Snapchat. «Le fait que Gucci diffuse sur les réseaux sociaux ses dé lés comme des épisodes d’une série télé répond à cette demande compulsive, explique Eric Briones. Gucci sait même découper ses dé lés en moments-clés parfaits pour des reposts sur Snapchat ou Instagram.» «Quant aux égéries, explique Serge Carreira, elles évoluent et se multiplient en fonction des communautés : plutôt que de prendre une actrice de cinéma de la liste A, certaines marques vont chercher de jeunes actrices de séries Net ix, par exemple.» Ainsi, une maison comme Chanel fait cohabiter une Kristen Stewart, qui n’a pas de compte sur les réseaux sociaux, avec une Lily-Rose Depp qui totalise plus de 3,3 millions de followers sur son compte Instagram. Et les in uenceurs, dont on fantasme qu’ils sont payés des millions par les maisons pour relayer leurs produits sur leurs comptes ? Selon Serge Carreira, «les maisons de luxe sont un peu revenues des gros in uenceurs, ceux qui ont 10 ou 15 millions de followers, car faire appel à eux a pu se révéler coûteux et inopérant quand les trois-quarts de leur communauté ne correspondent pas à la cible. Aujourd’hui, les maisons préfèrent multiplier les microin uenceurs aux audiences plus ciblées en ajustant un message précis.» On peut citer le blogueur chinois de 24 ans Tao Liang, plus connu sous son pseudonyme «Mr Bags», qui cumule 2,7 millions de lecteurs sur la plateforme chinoise Weibo et 600 000 followers sur WeChat. Comme son nom l’indique, Mr Bags ne parle que de sacs, donc inutile de faire appel à lui pour du prêt-à-porter. Mais si vous voulez vendre de la maroquinerie, alors c’est bingo. À l’occasion de la SaintValentin, Givenchy lui a fait signer un contrat pour promouvoir le sac rose «Horizon» en édition limitée : les 80 sacs, vendus 2 170 $ pièce, sont partis en quelques minutes. Du coup, toutes les marques de luxe se l’arrachent, de Fendi à Louis Vuitton, en passant par Céline ou Gucci.
Attention donc à la cohérence entre le choix de l’in uenceur et l’ADN de la maison. «Quand Estée Lauder a fait appel à Kendall Jenner en lui faisant signer une ligne de 80 produits, se souvient Eric Briones, les millennials n’ont pas suivi car ils ont eu l’impression que c’était un coup de com. Ils allaient aux événements dans les boutiques, ils y faisaient des sel es, mais n’achetaient pas les produits.»
«Contrairement à leurs parents qui consommaient du luxe dans l’idée privé, les millennials d’appartenir sont moins dans à ce un e fierté club d’appartenance que dans la opinion, recherche d’une qui seraient d’une délivrés valeur par la ou maison.» d’un message