VOGUE France

FLASH-BACK Irving Penn, Vogue Paris, juillet-août 1952.

- Par Claire Castillon

Tout d’abord, tant de nuances de grey. Dans les années 50, Irving Penn installe ses modèles, garçons de café, mannequins ou vedettes, dans un studio gris sur gris où ils posent devant un fond usé et lui-même gris. D’un autre gris que le gris sur gris. Ils sont souvent assis sur de mystérieux monticules recouverts d’une espèce de tapis de voiture, ou coincés entre deux murs uniformes. Gris bien sûr. D’un gris différent. Tant de nuances de grey, à l’exception de taches noires, comme les chaussures cirées de la série des «Petits Métiers». La robe de la duchesse de Windsor, celles de Marlène ou d’Audrey. Et la féerie des tirages allume de mille contrastes tous ces gris qui brillent. Qui brillent sans soleil. D’un éclairage incertain. Pas de rayons dans les photos de Penn. Ces infinies nuances de grey sont dignes d’un grand peintre, d’un Soulages du gris, mais on manque de lumière naturelle, de vitamine D et de taches de rousseur, une vie d’intérieur qui sent la réclusion, des peaux blanches, presque aussi blanches que ces visages de modèles qu’il efface souvent, ces masques immaculés à la Chirico où le gris cède devant le blanc. Une oeuvre sans soleil. La toile grise du studio de Penn est un écran total qui, un demi-siècle avant l’apparition des indices de protection 50, protège absolument, en partie contre leur gré, ses modèles. Mais il arrive peut-être que l’un d’eux, ou un annonceur, ou un patron de presse, exige un peu plus de lumière. Et pas celle des sunlights de cinéma, pas ces soleils de projecteur­s. Et un soleil qui n’ait pas seulement l’air d’un soleil, mais qui chauffe et éclaire. Comment faire ? Penn a compris qu’il n’était pas nécessaire de fixer un éphémère ou hypothétiq­ue rayon jaune. Pour que le soleil apparaisse et inonde une scène, il suffit de quelques accessoire­s et d’un reflet. De quelques effets. Même d’un faux reflet, d’un reflet impossible, comme colorisé. Commençons par les accessoire­s. Ce mini-parasol donc, qu’on appelle une ombrelle. Rose. Comme l’ombre posée sur le sable. Après les accessoire­s, le sujet. Une jeune femme qui pourrait être Marilyn Monroe, Kim Novak ou Kay Kendall et merveilleu­sement profilée. Un pare-soleil, la silhouette d’une femme sous le soleil exactement, un fond taillé à coups de ciseaux, qui se détache sur une page blanche. Pas de paysage, pas de plage, ni sable ni vague. Mais un soleil du dedans. Comme il y a des baisers de cinéma ou des nuits américaine­s, voici un extraordin­aire soleil de photo-studio. Un mirage bricolé qui éclaire l’hiver et réchauffe la tristesse. Sans soleil, et pourtant sous le soleil exactement.

Dernier livre paru, Ma grande, éd. Gallimard

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