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EN VOGUE: BEAUTIFUL IZE

- Par Charlotte Brunel.

C’est la nouvelle sensation des podiums. Kenneth Ize imagine une mode haute en couleurs, ultra-désirable, étendard inspiré de la beauté de l’artisanat africain. Un créateur à suivre, déjà adoubé par Naomi Campbell et admiré par Beyoncé. Et l’histoire ne fait que commencer. Par Charlotte Brunel

Quatre mois ont passé depuis son premier défilé parisien présenté en février au Palais de Tokyo et pourtant, Kenneth Ize s’en souvient comme si c’était hier. «Je crois que c’est l’expérience la plus émouvante que j’ai jamais vécue, raconte le créateur nigérian de 29 ans, finaliste du prix LVMH 2019. Je voulais tellement défiler à Paris dans le calendrier officiel pour ma petite communauté de tisseuses, montrer au monde la beauté de l’artisanat africain. C’est pour cela que je travaille, le glamour de la mode ne m’intéresse pas.» Et il a réussi son pari. Sa mode unisexe et colorée qui revisite l’aso oke, un pagne traditionn­el yoruba, a été l’une des révélation­s de la dernière fashion week avec, en point d’orgue, Naomi Campbell clôturant le show sur Redemption Song de Bob Marley. Magique ! Surtout quand on sait que Beyoncé et Donald Glover sont fans également. Pourtant, Kenneth Ize aurait pu se contenter d’être un créateur européen de plus. Né à Lagos, il a grandi à Vienne, en Autriche, où ses parents ont fui quand il avait 7 ans. Il y a étudié la mode et le design à l’École des Arts appliqués, sous la direction de Bernhard Willhelm. Sa passion pour les vêtements, elle, s’est construite dans le cocon familial. «Mon père portait des costumes impeccable­ment alignés, il savait exactement comment faire pour éviter les lignes disgracieu­ses au niveau des fesses sous les pantalons, pour rendre les maillots de corps invisibles. C’est lui qui m’a appris à m’habiller et à cultiver l’art du détail», se souvient le jeune homme. De sa mère, il tient sa fascinatio­n pour les tissus colorés du Nigéria. «La messe du dimanche était le seul moment de la semaine où elle osait mettre des tenues traditionn­elles, comme son turban rayé en aso oke. Je me souviens aussi des après-midi où ses amies envahissai­ent sa chambre à coucher de rouleaux d’étoffe pour préparer les vêtements de cérémonie. C’était très joyeux.»

Alors, quand, en 2013, Kenneth Ize décide de créer sa marque de prêt-à-porter masculin, il pense forcément aux tissus de son pays natal. Sa première collection printemps-été 2014, présentée à la fashion week de Lagos, le met sous le feu des projecteur­s, mais le jeune créateur préfère poursuivre un master à Vienne, dirigé par Hussein Chalayan. En 2016, il est prêt à relancer sa marque. «J’ai compris que je n’avais pas envie d’être un créateur de plus sur un marché déjà très compétitif en Europe, expliquet-il. Ce que je voulais vraiment, c’était revenir à Lagos et prouver que je pouvais produire mes vêtements dans mon propre pays, parce que les tissus d’ici sont tout simplement extraordin­aires et qu’il est important de sauvegarde­r cet artisanat trop peu valorisé et très mal rémunéré.»

Kenneth Ize a vite fait de l’aso oke, reconnaiss­able à ses rayures multicolor­es, sa signature, et le porte-drapeau d’une mode à la fois éthique et écologique puisqu’il suffit d’une personne et de bobines de fil pour le fabriquer. Aujourd’hui, la petite communauté de femmes qui le tissent pour lui à la main dans leur village peuvent même trouver le temps d’aller à l’école. Luxe ultime, on peut admirer jusqu’à sept couleurs sur ses vêtements, sans que cela ait jamais l’air trop bariolé. Cette richesse graphique trouve son équilibre dans les coupes unisexes et épurées du créateur, qui a su redonner une vraie fraîcheur au vestiaire urbain en lui apportant son regard multicultu­rel. On y trouve ainsi des caftans modernisés, des pantalons fluides aux ourlets effilochés, mais aussi des trenchs ou des pièces plus streetwear qui ont déjà séduit une clientèle féminine et l’ont poussé à développer un prêt-àporter plus mixte.

«J’adore mélanger les références culturelle­s», confirme Kenneth Ize qui aime rappeler aussi que, hasard ou non, les femmes nigérianes sont longtemps allées en Autriche pour se fournir en crêpe de Chine. Lui-même utilise des dentelles fabriquées dans le pays ainsi que du denim japonais cet automne-hiver. «Je ne crois pas en la notion de race, mais dans l’humanité au sens large, poursuit-il. Et surtout dans la richesse des cultures qui nous rendent uniques.» On comprend que cette démarche engagée et désirable ait tapé dans l’oeil du jury du prix LVMH pour les Jeunes Créateurs de Mode en 2019. «Cela m’a beaucoup encouragé dans ce que je faisais et permis de rencontrer des personnes formidable­s avec qui je suis resté en contact.» Et conforté aussi dans l’espoir que le monde de la mode avait enfin les yeux tournés vers l’Afrique. Depuis quelques années, Lagos joue d’ailleurs un rôle majeur dans la promotion des créateurs du continent avec ses deux fashion weeks. C’est là que Kenneth Ize a rencontré Naomi Campbell (la star des podiums, soutien actif des talents africains, y défile régulièrem­ent). «Un ami lui a présenté mon travail et elle n’arrivait pas à croire qu’il soit produit au Nigéria, se souvient-il. Depuis elle m’aide et a tenu à être présente pour mon premier show à Paris.» Elle n’était pas la seule, Imaan Hammam, Adwoa Aboah ou le mannequin et danseur Alton Mason étaient également venus en renfort. «Il y a tout à construire en Afrique, explique-t-il, à commencer par les écoles de mode. Les créatifs de la diaspora qui rentrent pour lancer des marques sont souvent frustrés par l’ampleur de la tâche. Mais j’aimerais changer le système de valeur et montrer que des vêtements de luxe peuvent aussi être créés dans un environnem­ent pauvre. La vie nous a donné un talent textile, il faut l’exploiter !» D’ailleurs, son site Internet promet de bientôt nous dévoiler tous ces trésors à travers des films et documents. En attendant une première collaborat­ion avec Karl Lagerfeld (le créateur a été invité par la griffe à dessiner une collection capsule) prévue pour avril 2021. On a hâte.

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