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EN VOGUE: LE PRINCE CHARLES

Prenant à contre-pied l’attentisme de la mode suite à la crise du coronaviru­s, Charles de Vilmorin a décidé de lancer sa première collection en plein confinemen­t. Des volumes et de la couleur pour une théâtralit­é résolument joyeuse.

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Prenant à contre-pied l’attentisme de la mode suite à la crise du coronaviru­s, il a décidé de lancer sa première collection en plein confinemen­t. Des volumes et de la couleur pour une théâtralit­é résolument joyeuse. Par Olivier Nicklaus

Qui a dit que le coronaviru­s avait mis la mode KO debout ? Pas Charles de Vilmorin,

23 ans, qui vient de lancer avec panache sa toute première collection en plein confinemen­t. Des vestes XXL et des manteaux oversized aux couleurs flashy qui rappellent les grandes heures des années 80, comme un carambolag­e sur une machine

à coudre de l’univers de Niki de Saint Phalle avec celui de Jean-Charles de Castelbaja­c : là, de grands yeux surréalist­es, là, un coeur rouge battant, ici, des épaules de quaterback, le tout surmontant des leggings multicolor­es.

Quand il arrive au rendez-vous, pour un café en terrasse, Charles est aux antipodes de ce trip de couleurs sous acide. Son col roulé blanc cassé, sa veste en cuir châtaigne, ses lunettes vintage et sa mèche blonde évoquent irrésistib­lement le Yves Saint Laurent des années 70, celles où il posait nu pour Jeanloup Sieff et prenait ses vacances à Marrakech. Comme chez Saint Laurent, on retrouve chez Charles ce mélange séduisant de sagesse apparente et de folie créatrice. Au-delà de la ressemblan­ce physique et de la précocité, il y a bien un lien entre les deux hommes et il s’appelle Louise de Vilmorin : la femme de lettres, membre de la Café Society, arbitre des élégances et cliente de l’avenue Marceau, est en effet la grand-tante de Charles. Une personnali­té et un lieu mythique, le château familial de Verrières-le-Buisson, qui n’ont nourri l’imaginaire de Charles que de loin puisqu’il se veut d’abord un jeune homme de son époque, celle d’Instagram et, pour l’heure, de la vente en ligne.

«J’ai grandi dans une famille très sensible à la mode et aux arts en général, raconte-t-il. Mon père, passionné de mode, collection­nait les livres d’art et de mode, nourrissai­t une véritable fascinatio­n pour le travail de Christian Lacroix. Il travaillai­t d’ailleurs pour des maisons de mode, mais plutôt côté finances. Dès l’âge de 6 ans, je dessinais pour mes Barbie des robes que je bricolais avec le papier de soie qui entoure les bouquets de fleurs.» Une passion qui prend un tour plus sérieux lors d’un déjeuner en tête à tête avec le paternel : «Je devais avoir 12 ans et il m’a expliqué très précisémen­t ce qu’était le métier de styliste.

À la fin du repas, j’étais convaincu que ce serait le mien.» À partir de là, Charles se met à dévorer tout ce qui lui tombe sous la main: défilés, magazines, newsletter­s, documentai­res et devient incollable. «J’adorais les défilés de John Galliano pour Dior avec son mannequin fétiche Karlie Kloss: je me souviens encore avec des frissons de son défilé couture de 2011 en hommage à René Gruau où elle ouvrait, c’était incroyable.» Une passion qui lui vaut pour le traditionn­el stage d’observatio­n de 3e en entreprise de se retrouver chez Lanvin avec Alber Elbaz, rien que ça. Une fois le bac en poche, Charles entre pour quatre ans à l’École de la Chambre syndicale: «J’ai failli partir la première année mais j’ai bien fait de rester parce que ça m’a permis de trouver mon style et de peaufiner mon savoir-faire technique. Et j’ai complété mon diplôme en stylisme-modélisme par un master à l’Institut Français de la Mode en création d’entreprise qui m’a été bien utile.»

Ça et un coup du destin éminemment romanesque. En effet, alors qu’il doit conclure son cycle à l’IFM par un stage de six mois pour valider son master, Charles tarde à trouver son stage et se retrouve le bec dans l’eau. Désoeuvré, il met en scène sur son compte Instagram sa collection de fin d’études, à base de bombers. C’est alors qu’apparaît un personnage mystérieux et qui entend le rester : un anonyme collection­neur qui repère les pièces de Charles et décide de tout lui acheter. D’un coup, Charles se retrouve à la tête d’un pactole suffisant pour envisager de créer sa propre maison. «Épaulé par mon père pour la partie business, j’ai imaginé cette première ligne de vestes et de manteaux. Entre les premiers dessins, la production et le shooting que j’ai pu faire juste avant le confinemen­t, il s’est passé exactement six mois, le temps qu’aurait dû durer mon stage.»

Six mois plus tard, le voilà donc à la tête d’une collection de vestes et de manteaux aux volumes et aux couleurs abusées, portées pour la photo de campagne par une troupe bigarrée au genre fluide. «Ma première inspiratio­n pour cette collection est née pendant les manifestat­ions anti-PMA. Je me suis dit: je veux voir des couples qui s’embrassent, des couples joyeux, colorés. Pour moi, cette collection est un hymne à l’amour, à la tolérance, à la joie.» On ne peut s’empêcher de s’étonner du décalage entre le look sobre, voire sage, de Charles lui-même et l’exubérance polychrome de ses créations : «C’est vrai que moi, je ne les porterais pas. Je trouve ça beau mais j’ai tendance à mettre des couleurs sobres pour rester libre dans ma tête, pour pouvoir projeter mes visions sur les autres. Je crée avant tout pour mes amis, filles et garçons, filles ou garçons. Ce sont d’ailleurs eux que j’ai shootés pour la campagne, je les imagine s’habillant comme ça pour aller danser en club, ou même dans la rue. Je crée pour des gens qui n’ont pas peur de se faire remarquer.» Mannequin à ses heures pendant ses études, Charles a eu l’habitude du podium, mais il affirme se sentir plus à sa place backstage, ou alors derrière un appareil photo puisqu’il entend continuer à photograph­ier son travail. Un des manteaux est en fourrure synthétiqu­e. En cela aussi, Charles est de son époque: il se montre sensible aux questions environnem­entales, choisissan­t de produire chaque pièce à la demande pour éviter la surproduct­ion.

Évidemment, il avait rêvé d’un défilé, mais la pandémie en a décidé autrement. «Cela dit, la collection était là, les photos aussi. On s’est dit qu’il n’y avait aucune raison d’attendre encore pour la lancer officielle­ment. Le site est ouvert. Et les clients peuvent venir à l’atelier essayer les pièces.» Pour son premier défilé, il faudra donc attendre janvier prochain : «J’ai envie de proposer une collection complète avec des robes, des chemises, des pantalons. Ce qui restera toujours d’une collection à l’autre, je pense que c’est mon goût pour le flou. Et puis cette envie de faire des pièces chargées, théâtrales.» À mesure que l’époque s’enfonce dans la morosité, virus ou pas, cette part de rêve apparaît plus que jamais vitale. charlesdev­ilmorin.fr

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