HOUSE OF GLAM
Magazine Sa vie est un roman… ou plutôt une émission de téléréalité. Yolanda Hadid, mère de Bella et Gigi, les deux super-models planétaires aux dizaines de millions de followers, et ancien mannequin elle-même, vit et joue avec les codes de la fashion sphère sans en être dupe. Conquérante mais lucide. Histoire d’une success story comme seuls les États-Unis, et les réseaux sociaux, savent les mettre en scène.
Sa vie est un roman... ou plutôt une émission de téléréalité. HADID, mère de YOLANDA et BELLA, les deux supermodels GIGI planétaires aux dizaines de mıllions de followers, et ancien mannequin elle-même, vit et joue avec les codes de la fashion sphère sans en être dupe. Conquérante mais lucide. Histoire d’une success story comme seuls les États-Unis, et les réseaux sociaux, savent les mettre en scène.
physiquement, 54 ans nickel, silhouette affûtée et blonde au regard bleu effilé, elle a quelque chose de Robin Wright. Une beauté froide, voire glaçante, tant elle exsude la réussite et la maîtrise, le zéro défaut travaillé de main de fer. Ajoutez à ça que l’ancien mannequin est la mère des deux top models incontournables du moment, Gigi Hadid la blonde et Bella Hadid la brune, qu’elle a émergé médiatiquement par un reality show à succès («Real Housewives: Beverly Hills», sur de riches Californiennes), qu’elle confirme depuis janvier avec «Making a Model» (autour d’aspirantes mannequins), la messe est dite : notre cortex se met à voir en Yolanda Hadid un avatar fashion de la redoutable Claire Underwood – l’animal politique qu’incarne Robin Wright dans House of Cards. Éminence glamour d’un inframonde gouverné par le culte des apparences, de l’argent, et des followers. Objectif de vie : le pouvoir. Il suppose un minimum d’intelligence, et de férocité. Bref, c’est peu ou prou un monstre qu’on envisage. Entre fascinant et flippant.
Surprise : la voix au téléphone est charmante. Un chant clair, rien d’autoritaire, à écho juvénile plutôt qu’expérimenté. Et d’emblée, Yolanda Hadid remplit tous les canons de l’urbanité. «Mais c’est moi qui vous remercie de faire cet entretien.» Le décalage de quelques secondes avec New York fait que parfois on la coupe, elle n’en fait pas cas, enchaîne en toute courtoisie. Cela dit, la suavité fait partie des armes des as de la communication dont elle relève et aucun d’eux n’ignore que la douceur est une arme de séduction massive. On l’imagine nous répondant tranquillement posée sur une méridienne, les jambes repliées dans la perfection esthétique que supposent les magazines de papier glacé, sirotant un jus évidemment «healthy». Car comment ne pas l’associer à une fiction, à un mode de vie stratosphérisé, irrigué par la légèreté de l’être? Simultanément, la réalité est là, chiffrée : le clan Hadid aimante, intrigue, fait rêver des millions de gens à travers le monde, le nombre d’abonnés à son compte Instagram ou à ceux de ses enfants l’atteste. Yolanda : 2 millions. Gigi : 39,4 millions. Bella : 17,5 millions. Anwar : 1,8 million.
La «mère de»
C’est précisément là où Yolanda Hadid s’avère intéressante. À propos de ce fantasme qu’elle et ses enfants incarnent, véhiculent, vendent. Celui de la beauté qui ouvre la voie de la célébrité immédiate et planétaire, ce Graal du xxie siècle. Les Hadid ont tout de la petite entreprise glamouro-médiatique rondement menée, qui surfe intelligemment sur l’époque faite de bling et de «likes». Avec Yolanda en challenger de la «momager» (mix de «mom» et «manager») en chef Kris Jenner (patronne du clan Kardashian/Jenner). Yolanda Hadid: «En vérité, tout ça est arrivé par hasard. Si Gigi a voulu être mannequin très tôt, dès l’enfance, Bella y est venue tardivement, après avoir longtemps rêvé de devenir une cavalière professionnelle. Et mon fils souhaite plutôt devenir designer de mode, il n’arrête pas de créer des vêtements, de coudre. Mais être mannequin permet aussi de voir comment ce business fonctionne... Vous savez, je crois beaucoup en l’idée de destinée, au fait que chacun a son propre chemin de vie, et voilà, les choses ont tourné comme ça.» Dans le même temps, dans le show «Making a Model», on sent clairement la professionnelle aguerrie, bienveillante mais implacable. Une mère sursaute à la perspective que le compte Instagram de sa fille devienne public et nominatif ? «Les réseaux sociaux, c’est le book d’aujourd’hui, le moyen de se faire connaître !», rectifie illico Yolanda. Sur Instagram, Gigi et Bella l’encensent régulièrement, clichés d’enfance à l’appui, elle en ressort idéale, mi-pilier mi-refuge, salée-sucrée, aimantecadrante, un modèle d’équilibre. Mère de : l’image est forcément réductrice. Yolanda l’assume, résolument. Elle nous dit, comme à tous les médias : «J’adore être mère, et avoir donné vie et élevé trois enfants seule est ce dont je suis le plus fière.» Aujourd’hui encore, elle fait partie de la vie quotidienne de ses enfants : «Je suis là pour le soutien émotionnel, et c’est vraiment nécessaire vu la pression qu’ils doivent supporter, le fait d’être en permanence exposés et jugés. Je suis l’ancre de la famille, celle qui garde tout le monde dans le droit chemin. Quand ils voyagent, on reste en contact via Facetime quasiment chaque jour, c’est vraiment une chance : à mon époque, j’appelais ma mère une fois par semaine, d’une cabine téléphonique, j’avais à peine le temps de lui dire “Tout va bien, je t’aime”. Il ne faut pas oublier que la vie de mannequin est très solitaire et, à la fin de la journée, quand vous vous retrouvez seule à l’hôtel, qui appelez-vous? Maman!» Rire attendri au bout du fil. Il y a huit mois, pour «Making a Model», elle a quitté la Californie pour New York et une ferme à une heure de Big Apple. «On a des chevaux, des vaches, des chèvres, des poules, un potager... C’est dans cette vie que je suis vraiment moi et je crois que c’est très bon pour mes enfants de retrouver un endroit semblable à celui où ils ont grandi, où ils montent à cheval, rangent les boxes, où ils sont coupés du monde dans lequel ils travaillent.» Éloge d’une vie très Petite maison dans la prairie par une real housewife : on peut se pincer. Sachant que le précédent home sweet home de Yolanda Hadid a figuré dans moult reportages à la gloire de la déco, avec ébaubissement systématique (et compréhensible) du visiteur.
La «warrior»
Il y a pourtant bien quelque chose de frais, direct, sans chichi, chez Yolanda Hadid. Par exemple à propos d’argent. On avait reçu pour consigne d’éviter le sujet. Elle y vient d’elle-même et cash. Répond, quand on s’étonne que cette forte tête qui martèle indépendance ait pu être mannequin, obéissante donc : «Quand j’ai réalisé ce que je pourrais gagner, ça m’a rendue très disciplinée. Je ne sortais jamais, j’étais très sérieuse, parce que gagner ma vie a toujours été capital pour moi. Partir de rien donne l’envie de s’en sortir, de réussir, et de se battre chaque jour pour y parvenir.» À ses filles, elle a toujours décrit un «métier et un business difficiles mais qui peuvent permettre d’avoir une vie incroyable», leur a intimé d’être «authentiques, aimables, respectueuses, consciencieuses, parce que le monde est plein de filles magnifiques qui méritent autant qu’elles le succès et, à la fin d’une journée de shooting, les gens ne se souviennent pas de votre apparence mais de votre comportement et de la personnalité qu’ils ont perçue.» Une sorte de manuel tactique pour survie en milieu hostile. Les filles Hadid sont réputées pour leur professionnalisme sans faille.
D’où cette niaque de «warrior», chez une socialite dorée sur tranche ? Par capillarité géographique : parce que l’Américaine Yolanda Hadid est au départ hollandaise, née le 11 juin 1964 à Papendrecht, on pense à la Petite fille aux allumettes du conteur danois Andersen. La réalité n’est pas si tragique. Le biotope qu’elle décrit suppose néanmoins de serrer les dents. «Un milieu très simple, à la campagne, sans beaucoup de moyens. Mon père est mort (dans un accident de voiture, ndlr) quand j’avais 7 ans et ma mère nous a élevés seule, mon frère et moi. Dès l’âge de 16 ans, je me suis débrouillée seule et quand j’ai débarqué à New York, j’avais 50 dollars en poche. Heureusement, ma mère m’avait inculqué des valeurs très fortes qui m’ont permis d’affronter le monde.» Aujourd’hui encore, un de ses plaisirs est de retourner, régulièrement, à Papendrecht: «J’ai la nationalité américaine depuis cinq ans et j’ai beaucoup de gratitude pour l’Amérique qui m’a apporté tant d’opportunités, mais je m’y suis toujours sentie différente, très européenne, et aux Pays-Bas je me sens vraiment chez moi. J’aime parler hollandais, notamment. Aux États-Unis, des choses m’échappent encore, surtout l’humour. Quand je suis aux Pays-Bas, je ris tout le temps !»
C’est encore le hasard et ses ricochets qui l’ont fait quitter Papendrecht : une copine coiffeuse lui demande de faire le mannequin pour un show de coiffure, où un designer du cru repère Yolanda et la booke au débotté pour un défilé, où elle tape dans l’oeil d’un agent de la fameuse agence Eileen Ford. L’amorce d’une carrière à succès qui va durer quinze ans. C’est en 1994 que Yolanda van den Herik épouse le flamboyant promoteur immobilier américano-jordanien d’origine palestinienne Mohamed Hadid et pose pour de bon ses valises aux États-Unis. Ils divorcent en 2000, elle se remariera en 2011 avec le producteur de musique David Foster.
La rescapée
Un esprit mal tourné parlerait de «story telling» idéal: quoi de mieux, effectivement, qu’une épreuve majeure pour pimenter le récit d’une vie à succès ? Yolanda Hadid a de fait amplement médiatisé la catastrophe qui lui est tombée dessus en 2012, l’obligeant à quitter «Real Housewives» : la maladie de Lyme, cette infection bactérienne transmise par morsures de tiques. Elle l’aurait contractée au contact des chevaux. Fatigue, dépression, douleurs physiques tous azimuts, insomnies, elle a fait un livre de son calvaire, Croyez-moi: Ma bataille contre l’invisible maladie de Lyme publié en septembre 2017. Avec pour acmé cette tentation du suicide, un jour en Floride. «J’ai retiré mes vêtements et je me suis glissée dans l’océan bleu foncé, doux et réconfortant. Les vagues caressaient doucement mon corps nu, et je pouvais sentir le courant m’emporter». La «mom» warrior a rattrapé la malade qui vacillait : «Ma pensée d’après est une image nette de mes trois enfants, elle a changé mes idées noires immédiatement et c’est la seule chose qui m’ait empêché de me laisser dériver et me noyer.» On a appris depuis que Bella serait aussi victime de la maladie de Lyme, qui l’aurait contrainte à remiser ses ambitions équestres (elle voulait participer aux Jeux olympiques, comme son père qui a représenté la Jordanie en 1992, à 44 ans, en ski de vitesse...), ainsi qu’Anwar. Gigi souffrirait, elle, de la maladie de Hashimoto, affection thyroïdienne qui expliquerait ses variations de poids. Et, en 2017, Yolanda Hadid et David Foster ont divorcé... Et alors quoi ? Yolanda a relancé sa carrière, avec «Making a Model». Et elle dit, en phénix: «La maladie de Lyme est un vrai cauchemar, et elle est incurable. S’il y a une chose que j’espère pouvoir léguer, c’est d’avoir contribué à trouver un remède contre ce fléau dont souffrent des millions de gens... Il m’a fallu six ans pour entrer en rémission et le rester est une lutte de chaque jour, qui suppose un mode de vie très précis, très sain, dans un monde très toxique. Mais cette maladie m’a fait passer par tellement de stades que désormais, je suis réconciliée avec mon âge. Aux États-Unis, tout le monde se fait refaire les seins, injecter du botox, combler de partout, là je me retrouve à vivre loin de tout ça, je vis mon âge sans intervention extérieure et c’est génial, je suis totalement connectée à moi-même.» Un projet d’émission télé qui «éduquerait les gens sur le bien-être» est évidemment sur les rails, de même qu’un deuxième livre. La locomotive Hadid tourne à plein régime.