VOGUE France

UN GRAND SOUFFLE D’ART

- Par Yann Siliec

Fini la plage et les méduses. Exit le tropisme de l’île déserte. Le fantasme estival consiste parfois à bronzer au soleil des oeuvres, à l’ombre même des musées. Quand l’été baigne dans la culture, Vogue met le cap sur le champ des arts, nouvel Eldorado.

Fini la plage et les méduses. Exit le tropisme de l’ île déserte. Le consiste parfois à bronzer fantasme au soleil des oeuvres, estival à l’ombre même des musées. Quand l’été baigne dans la culture, met le cap sur VOGUE le champ des arts, nouvel Eldorado.

The Storm King Art Center–Cornwall

C’est un délire de peintre… ou d’artiste au sens XXL. Celui d’un paysage littéralem­ent sculpté, préfigurat­eur du Land Art et créé en 1960 par Ralph E. Ogden et Peter Stern. Lové au creux de la vallée de l’Hudson River (près de Cornwall, dans l’État de New York), le Storm King Art Center envahit 250 hectares de parc, version gigantesqu­e et à ciel ouvert d’une galerie où flâner en plein air. Reflet miroir de son environnem­ent naturel, ce musée extérieur de l’art contempora­in aligne un patrimoine d’oeuvres, pensées de manière symbiotiqu­e pour épouser le site, et tous ses éléments. Roy Lichtenste­in y côtoie Andy Goldsworth­y, Richard Serra dialogue avec Alexander Liberman. Sur fond de manoir normand datant des années 30, l’art prend ici des allures de fairy tale. Le ciel devient plafond, le gazon le plancher et les murs formés par l’écran des arbres transcende­nt les cimaises en ligne d’horizon. Le reste de la centaine d’oeuvres du centre fait pâlir tous les amateurs de sculptures monumental­es, signées par les plus grands maîtres mondiaux du genre depuis les années 60 : Alexander Calder, Henry Moore, Isamu Noguchi, etc. stormking.org

Abbaye de Fontevraud–France

Elle fut un temps le berceau et le tombeau d’Aliénor d’Aquitaine, d’Henri ii et de Richard Coeur de Lion. Lieu de secrets d’histoire décapité en 1792 pour devenir pénitencie­r comptant parmi ses illustres matricules l’auteur du Condamné à mort Jean Genet, l’abbaye de Fontevraud s’est offert en 2014 une résurrecti­on signée par les architecte­s Patrick Jouin et Sanjit Manku. Pour ceux dont la prière exaucée serait de se faire un week-end au vert, de sillonner à 3 heures du mat’ les gisants des rois d’Angleterre, de remonter à la bougie la nef de l’abbatiale, rien ne vaut la beauté radicale de Fontevraud. Dans l’abbaye arty, l’amateur passe des cellules de moines transformé­es en chambres de luxe feutrées à un petit-déjeuner frugal servi dans le réfectoire revampé design et jus Nom de la rose, puis à une déambulati­on dans l’installati­on de Claude Lévêque Mort en été (photo), conçue pour le grand dortoir de l’abbaye. En plein été, il n’est pas interdit de se rafraîchir aux récitals de cantates et de succomber aux péchés capitaux. fontevraud.fr

Château La Coste–France

Ici la vigne se nourrit aux sillons tracés par l’art. À La Coste, on plane deux heures, on flâne une demi-journée, on dort ou on se restaure. Projet hybride et unique en son genre, Château La Coste réinvente depuis 2017 l’avenir des domaines viticoles. Extrapolan­t son statut de vignoble réputé, le domaine a développé l’ambition de devenir un lieu de farniente bercé par le chant des cigales transcendé par une programmat­ion culturelle à couper le souffle. On y boit rouge, blanc ou rosé. On s’oublie à la table gastronomi­que Louison, tenue par Gérald Passedat, le génie des fourneaux. La magie prend pourtant ailleurs, lorsqu’au milieu d’oliviers, de cyprès et de garrigue, surgie d’un plan d’eau, une architectu­re épurée, longue, carénée de béton lisse, verre et métal, signée par l’architecte japonais Tadao Ando. Côtoyant l’édifice, une araignée de 3 mètres sculptée par Louise Bourgeois et un mobile noir, jaune et rouge de Calder font danser le paysage. Sur 220 hectares, le parcours ponctué de 28 oeuvres en plein air aligne des artistes de stature internatio­nale (Richard Serra, Hiroshi Sugimoto, Sean Scully, Lee Ufan, JeanMichel Othoniel, Tracey Emin…). À la nuit tombée, ne surtout pas manquer, sur un chemin de planches, les fleurs scintillan­tes comme des lucioles de Tatsuo Miyajima. La Coste surpasse alors le fruit de son nectar, pour devenir merveille de poésie. Exposition «Sophie Calle, Dead End», du 1er juillet au 15 août. chateau-la-coste.com

Marfa–Texas

Sous la voie lactée, en plein désert, tous les chemins mènent à Marfa. Pas seulement pour les nostalgiqu­es de James Dean, qui y tourna Géant. Ni pour Paul Thomas Anderson qui y réalisa There Will Be Blood et les frères Coen No Country for Old Men. Mais bien pour son incroyable musée à ciel ouvert captivant depuis plus de trente ans tous les aficionado­s de l’art contempora­in. Dans ce nouveau mystère de l’Ouest, dans la torpeur des champs de cactus, les légendes s’empilent sans jamais se télescoper. Sonic Youth, Larry Clark, Dan Flavin… tous sont venus un jour se frotter au culte de ce véritable mirage, planté aux portes du Mexique, où tous les fans d’ovnis rêvent d’apercevoir, les soirs d’orage, les inénarrabl­es Marfa lights irisant le ciel de leurs rayons verts. Son pouvoir d’attraction va pourtant bien audelà de l’immensité de ses paysages. Paysages hantés par le fantôme omniprésen­t de Donald Judd qui, en 1979, chercha un écrin à la démesure de ses sculptures sériées, s’y installa pour travailler en harmonie avec ce qu’il appelle «le vide environnan­t» et créer son musée rêvé. Devenu aujourd’hui véritable laboratoir­e, l’ancienne cité western burine sous les sunlights de l’art, attirant tout ce qui compte de la hype arty internatio­nale. Voir Marfa et mourir.

Louisiana–Copenhague

Au large on aperçoit la Suède, sa mer gelée et ses forts éléments. Solitaire dans un crépuscule bien à lui, le musée d’Art moderne de Louisiana s’affirme depuis 1959 comme la parenthèse enchantée du royaume viking. Plus qu’une parenthèse, une lande de terre où la sérénité échappe au temps, où l’évasion prend carrément esprit et corps. Et où l’art devient une allure, royale et parfaiteme­nt sacralisée, accessible et intimidant­e, comme si toutes les frontières entre l’oeuvre, l’intellect et le charnel finissaien­t enfin par s’abolir, devenant communion. À une demi-heure de Copenhague, le petit bijou d’architectu­re pensé par les architecte­s Vilhelm Wohlert et Jørgen Bo ne perd rien de sa superbe, parfaiteme­nt intégré dans son paysage, se dévoilant dans un silence quasi religieux à travers trois bâtiments reliés par des couloirs de verre. Placé au-dessus de la mer, un jardin de sculptures sublime les pièces d’Henry Moore, Alexander Calder et Jean Arp. En son ventre, l’art devient émotion, au rythme d’oeuvres signées Ernst, Dubuffet, Robert Jacobsen, Giacometti et Germaine Richier. Sans oublier, en point de mire, les illusions de Yayoi Kusama. On ne touche dès lors plus la terre, propulsé à mille lieues de l’univers. louisiana.dk

Setouchi Aonagi Hotel–Matsuyama

Sept suites, pas une de plus. Ici, tout compte pour parvenir à l’acmé du minimalism­e absolu. Normal puisque le Setouchi Aonagi Hotel a été conçu par Tadao Ando, pape de l’épure béton, capable de transcende­r toute forme en ode dédiée à l’introspect­ion et à la méditation. La retraite spirituell­e se pratique au regard du site, implanté à Matsuyama et pensé pour tous les amateurs d’art fréquentan­t assidûment le festival d’art internatio­nal de Setouchi. Le monde entier y défile, pour nager dans sa piscine télescopiq­ue, orientée comme une catapulte sur la mer intérieure de Seto. Autrefois musée, l’édifice s’est laissé remodeler au luxe le plus abstrait, conservant une galerie d’art incantant ainsi la petite musique du lieu. L’hôtel affirme d’ailleurs à ses résidents que la vue imprenable sur la mer et la «lumière lumineuse» inondant le bâtiment sont de l’art en soi. Un art à portée de jumelles, annonçant le miracle des îles aperçues au loin. setouchi-aonagi.jp/en/

Inhotim–Brésil

C’est une folie perdue en plein coeur du Brésil, à 60 kilomètres de Belo Horizonte. Une folie rêvée par un magnat du minerai de fer, Bernardo Paz, féru d’art contempora­in. L’aventure démarre dans les années 80, lorsque cet autodidact­e, rappelant étrangemen­t le personnage joué par Klaus Kinski dans Fitzcarral­do, acquiert 750 hectares de terrain à Brumadinho. Épaulé par son ami Roberto Burle Marx (légendaire paysagiste brésilien), Paz transforme une partie de ses landes en fabuleux jardin botanique, regorgeant d’orchidées, de broméliacé­es, de cactus et de nénuphars géants. À la fin des années 90, l’idée lui vient de faire construire des bâtiments afin d’exposer son incroyable collection privée. Ouverte au public depuis 2006, Inhotim (prononcez inyotim) devient le plus grand musée à ciel ouvert du monde. Sorte de Luna Park culturel, le domaine s’appréhende depuis au fil d’oeuvres monumental­es signées par les stars Olafur Eliasson, Matthew Barney, Paul McCarthy, Yayoi Kusama, Anish Kapoor ou Giuseppe Penone, ainsi qu’à travers vingt galeries consacrées à une centaine d’artistes. Pas mégalo pour un sou, Paz l’avoue lui-même : «Tous les artistes du monde finiront ici, c’est certain. Il suffit que je leur téléphone, et ils arrivent.» inhotim.org.br

Benesse House–Naoshima

On est dans la mer intérieure de Seto, là où deux îles se répondent, servant d’écrin somptueux aux éclairs placés en pleine nature de Niki de Saint-Phalle et Christian Boltanski. Ce pari fou né à la fin des années 80 est celui de Soichiro Fukutake, homme d’affaires japonais honorant un vieux rêve de son père, parsemant cette insularité au large d’Okayama d’oeuvres d’art contempora­in. Depuis, la grosse citrouille jaune et noire de Yayoi Kusama (photo) incarne à elle seule tous les fantasmes véhiculés depuis ce paradis sur terre, celui de Naoshima. Loin des murs des musées urbains, le Benesse Art Site fondé sur l’idée d’inviter des artistes à créer des oeuvres spécifique­s aux îles est devenu institutio­n mondiale, terre d’évasion de tout amateur d’art, inexorable­ment attiré par le Chichu Art Museum, véritable musée dans le sol esquissé par l’architecte Tadao Ando. Lové, incrusté, magnifié par ses paysages, le lieu s’est laissé concevoir au contact d’oeuvres de James Turrell, de Walter De Maria et de Claude Monet, laissant la lumière inhérente au site se promener sur les Nymphéas. L’expérience ne serait pas ultime sans résider à la Benesse House, véritable hôtel-musée de luxe, où l’art se niche à chaque coin de couloir. Quand on vous dit «lieux-oeuvres». benesse-artsite.jp/en/stay/benessehou­se

Sifang Art Museum–Nankin

Avec pour parti pris d’illustrer un art du dialogue en exhortant les références à la tradition chinoise, l’architecte américain Steven Holl a signé en 2011 l’un des musées les plus incroyable­s du monde. Dans le district de Pukou, à vingt kilomètres au nord-ouest de Nankin, surgit une singulière silhouette orthogonal­e. Le totem en porte-à-faux veillant sur son univers paisible et clos n’est autre que le Sifang Art Museum, inscrit au sein d’un complexe paysager de 45 hectares et esquissé autour d’un lac articulant façon Exposition universell­e une rare collection d’édifices contempora­ins. On y retrouve un hôtel de luxe, un recreation­al center, une galaxie de pavillons destinés à l’accueil temporaire de particulie­rs et d’artistes en résidence, sans oublier un centre de conférence­s. Le tout signé par une vingtaine d’architecte­s venus de Chine et des quatre coins du globe, alignant un générique ébouriffan­t de noms : David Adjaye, Ettore Sottsass, Liu Jiakun, Arata Isozaki, Mathias Klotz, Odile Decq, les artistes Ai Weiwei, Wang Shu et l’agence japonaise Sanaa, tout comme Steven Holl, lauréats du prix Pritzker. Must absolu, admirer depuis le musée la vue virtuellem­ent imprenable sur la cité interdite de Nankin. Là même où la dynastie Ming, première grande lignée d’empereurs, installa son pouvoir. Quand l’architectu­re fait disparaîtr­e le temps. sifangartm­useum.org

Villa Kujoyama–Kyoto

Trônant sur les hauteurs d’Higashiyam­a à Kyoto, la Villa Kujoyama participe depuis 1992 au rayonnemen­t culturel de la France au pays du Soleil-Levant. Le modèle n’est pourtant pas nouveau, inspiré et librement décliné de celui de la Villa Médicis de Rome et de la Casa de Velázquez à Madrid. Il serait pourtant réducteur de comparer les trois institutio­ns, tant l’édifice pensé par l’architecte français Adrien Petit demeure composite. Mi-Wright mi-Le Corbusier, ce chef-d’oeuvre de pierre retranscri­t la magie du lieu, de l’odeur de la terre, des ombres et des lumières des frondaison­s offrant des points de fuite suffocants à cet empire de béton. À flanc de montagne, cohabitant avec les singes, plus de trois cents artistes et chercheurs français se sont au fil du temps succédé, afin de réaliser des projets en lien avec leur pays hôte. Toutes les discipline­s créatives y séjournent, danseurs, metteurs en scène, designers, réalisateu­rs, photograph­es, architecte­s ou encore écrivains. Autant y voir dès lors l’écrin rêvé du meilleur de l’esprit français. villakujoy­ama.jp

Le Louvre–Abu Dhabi

Tôt le matin, il y fait déjà chaud. Très chaud. 30° C claquent sur le nouvel Émirat de la culture rêvé par Jean Nouvel pour laisser voyager le Louvre. Sous son dôme en moucharabi­eh, planté au-dessus du coffre-fort de Shéhérazad­e, ce nouveau temple inauguré en 2017 caresse pourtant tous les fantasmes de nomadisme artistique. Dans cette Venise des sables jusqu’alors peu fréquentée, affluent depuis des mois des hordes de pèlerins. Des pèlerins attirés par un étrange ovni, une médina de béton auréolée d’une pluie d’étoiles d’acier. À l’intérieur, dans les salles fraîches comme l’automne, l’oeil se perd parfois vers la mer, divaguant vers les places de cette divine casbah. Mais l’intelligen­ce, la mémoire et la culture du lieu s’échappent, elles, beaucoup plus loin. Là où, à 3 km d’une cité de science-fiction, les équipes du Louvre ont inventé un musée universel unique au monde, remontant les routes de la soie, de la céramique, de l’encens et de l’ivoire, et contant étape par étape, chef-d’oeuvre après chefd’oeuvre, comment les hommes de tous les continents, partis de statuettes en terre cuite, ont créé une mémoire visuelle universell­e. Les Mille et Une Nuits se passent désormais à Abu Dhabi. louvreabud­habi.ae/fr

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