VOGUE France

BASQUIAT, LÉGENDE URBAINE

- Par Caroline Verneuil

C’est l’exposition blockbuste­r de la rentrée. Plus de 135 oeuvres de JeanMichel Basquiat déployées sur 4 niveaux de la fondation Louis Vuitton à Paris. Ensembles inédits, collaborat­ions avec Warhol, oeuvres issues de collection­s personnell­es prestigieu­ses, 2500 m2 pour retracer la carrière du prodige new-yorkais mort à 28 ans. Retour sur les 7 moments qui ont construit la légende Basquiat.

C’est de la rentrée. l’exposition Plus blockbuste­r de 135 oeuvres de Jean-Michel Basquiat déployées sur 4 niveaux de la fondation Louis Vuitton à Paris. Ensembles inédits, collaborat­ions avec Warhol, oeuvres issues de collection­s personnell­es prestigieu­ses, 2 2500 m pour retracer la carrière du prodige new-yorkais mort à 27 ans. Retour sur les 7 moments qui ont construit la légende

Par Caroline Verneuil. Basquiat.

l

a dernière fois, c’était au musée d’Art moderne de la Ville de Paris il y a presque dix ans. Cet hiver 2010, le froid rigoureux ne dissuadait pas les visiteurs d’attendre patiemment, le long de l’avenue du Président-Wilson, pour franchir le seuil de l’exposition. Prodige de la peinture américaine, icône de la mode et de la musique, pilier de la scène undergroun­d du New York des années 80, Basquiat revient à Paris, sur les cimaises de la fondation Louis Vuitton. La foule devrait aussi être au rendez-vous pour revoir les oeuvres de l’artiste prodige. Il faut dire que Basquiat est entré dans la légende de l’art en quelques années à peine. Enfant de Brooklyn, il est très vite attiré par le bouillonne­ment du New York undergroun­d. Son père est d’origine haïtienne et sa mère d’origine portoricai­ne. Elle encourage son goût pour les livres et les images, mais Basquiat quitte la maison familiale avant la fin de ses études secondaire­s et part, avec des amis, à la conquête d’East Village. C’est le début d’une vie brève et fulgurante.

11 décembre 1978 : naissance d’une figure de la nuit

Dans un article de Philip Faflick, le Village Voice révèle en décembre 1978 les noms qui se cachent sous la signature «Samo». Deux ans plus tôt, Jean-Michel Basquiat, alors âgé de 16 ans, et son ami Al Diaz, rencontré sur les bancs de l’école huppée de Saint Ann’s à Brooklyn, entament une collaborat­ion artistique. Samo, personnage de fiction dont le nom est l’acronyme de Same Old Shit, graffe des poèmes philosophi­ques sur les murs du Lower East Side : «Samo saves idiots» (Samo sauve les idiots), «Plush safe he think» (Plein aux as, il croit être paré). C’est à la même époque que Basquiat devient l’une des figures les plus en vue des clubs branchés de Downtown, le Mudd Club, le Club 57 et le CBGB’s – plus tard il tiendra aussi les platines dans d’autres boîtes de nuit new-yorkaises. Il fait même plusieurs apparition­s dans l’émission de télévision de Glenn O’Brien, «TV Party». Une brouille entre les deux artistes met fin à leur collaborat­ion, Al Diaz reprochant à Basquiat d’utiliser le graffiti comme autopromot­ion. «Samo is dead», peut-on lire alors sur les murs de la ville. Basquiat est déjà ailleurs, il crée des T-shirts, des cartes postales qui s’inspirent de l’expression­nisme abstrait, et vend ses oeuvres à Washington Square et devant le MoMA sans avoir jamais considéré appartenir totalement au monde du graffiti.

Juin 1980, première percée dans le monde de l’art

Basquiat participe en juin 1980 à une exposition de groupe qui fera date, organisée par une galerie et un collectif alternatif­s dans un immeuble abandonné. Des artistes et street artists comme Kenny Scharf, Kiki Smith, David Hammons et Jenny Holzer sont de la partie ; tous deviendron­t célèbres après ce «Times Square Show». C’est la première percée de Basquiat dans le monde de l’art. Les plus grands critiques se penchent sur son travail. Dans l’incontourn­able revue Artforum, René Ricard parle de lui comme d’un «Radiant Child» avec «l’élégance de Twombly» et «le caractère brut du jeune Dubuffet». En moins de deux ans, Basquiat a fait son entrée dans l’histoire de l’art.

Janvier 1981, une icône undergroun­d

Le journalist­e Glenn O’Brien engage Basquiat pour jouer le rôle principal du film New York Beat, qui sortira en 2000 sous le titre Downtown 81. Il est produit par la photograph­e et styliste Maripol et réalisé par son compagnon Edo Bertoglio pour la marque Fiorucci dont Maripol est directrice artistique – elle a notamment dessiné des bijoux portés par Grace Jones et Madonna. Le film s’inspire librement de la vie de Basquiat dans l’East Village et le Lower East Side. C’est un conte étrange, dans lequel apparaisse­nt l’artiste Olivier Mosset, le musicien Arto Lindsay, l’acteur Vincent Gallo avec qui Basquiat fonde «Gray», un groupe de musique noise, et d’autres figures de la vie undergroun­d de l’époque post-punk à Manhattan. Abandonné en raison de difficulté­s de financemen­t, le film est ressuscité par Maripol en 2000 et présenté au festival de Cannes, à la Quinzaine des réalisateu­rs, comme un document de légende.

Juin 1982, la reconnaiss­ance internatio­nale

À 21 ans, Basquiat est le plus jeune artiste invité par Rudi Fuchs à la Documenta 7 de Kassel, l’une des manifestat­ions les plus importante­s, avec la Biennale de Venise, qui animent le monde de l’art. Il partage l’affiche avec des artistes célèbres comme Joseph

Beuys, Gerhard Richter, Cy Twombly, Anselm Kiefer… Cette invitation résulte d’un parcours fulgurant. Après sa première exposition à New York dans la galerie d’Anina Nosei, Basquiat est invité par le critique d’art Achille Bonito Oliva à Modène dans l’exposition «Transavang­uardia: Italia/America». Il peint sur de vieux objets, sur des châssis composés de matériaux de récupérati­on (lattes de bois articulées par des charnières…). Il mêle les inspiratio­ns: images glanées dans la rue, à la télévision, dans des livres d’art et dans son héritage haïtien. Peu à peu, les héros noirs, boxeurs, acteurs et musiciens sont de plus en plus nombreux à apparaître dans ses oeuvres. Les marchands d’art s’arrachent son travail: Larry Gagosian à Los Angeles, Bruno Bischofber­ger à Zurich et Mary Boone à New York. Il devient riche du jour au lendemain, entretient une liaison passionnée avec Madonna. Sa renommée ne cesse de croître ; il est exposé dans des institutio­ns et des galeries du monde entier.

Septembre 1985, Basquiat et Warhol posent ensemble : le choc des titans

Leur rencontre remonte à 1978. Dans un restaurant de Soho, le WPA, Basquiat, 18 ans, aborde Andy Warhol et Henry Geldzahler. Commissair­e d’exposition qui a fait ses débuts au Metropolit­an avant de rejoindre PS1 puis la Dia Foundation, Geldzahler le congédie en le jugeant «trop jeune». Warhol en revanche lui achète une carte postale. Quatre ans plus tard, en 1982, lorsque Bruno Bischofber­ger emmène Basquiat à la Factory, le jeune homme est devenu une star. Warhol photograph­ie Basquiat, qui disparaît aussitôt avec le cliché et revient quelques heures plus tard avec un portrait d’eux intitulé Dos Cabezas. L’année suivante, Bischofber­ger lance une collaborat­ion entre Basquiat, Warhol et Francesco Clemente ; quinze toiles sont exposées à Zurich à l’automne 1984. La photo de l’affiche de la galerie Tony Shafrazi, qui expose à nouveau Warhol et Basquiat ensemble en septembre 1985, et pour laquelle les deux artistes s’amusent à poser en boxeurs, est à l’image de leur relation, complice et complexe. La mort de Warhol en février 1987 atteint profondéme­nt Basquiat, qui s’isole progressiv­ement de son cercle d’amis.

12 août 1988, Basquiat meurt d’une overdose à 27 ans

Au fil des ans, le succès public de Basquiat demeure intact. Les exposition­s se succèdent, chez Yvon Lambert à Paris, à Düsseldorf à la galerie Hans Mayer, à New York à la Vrej Baghoomian Gallery. Mais Basquiat ne parvient pas à se sevrer de la drogue qu’il consomme en grande quantité. Une ultime cure de désintoxic­ation à Hawaï, où il a acheté une maison, échoue pendant l’été. Il meurt d’une overdose le 12 août dans son loft de Great Jones Street à New York. Les funéraille­s se tiennent en présence des plus proches amis, Keith Haring, Francesco Clemente, Paige Powell. Elles sont suivies deux mois plus tard d’une cérémonie qui rassemble trois cents fidèles, au son de Gray et d’autres groupes venus jouer en hommage à Basquiat. Suzanne Mallouk, avec qui il entretenai­t une histoire d’amour passionnée et tourmentée, lit le Poème pour Basquiat de l’artiste allemand A.R. Penck : «Jean-Michel a vécu comme une flamme. Il s’est consumé dans une lumière vive. Puis le feu s’est éteint. Mais les braises sont encore chaudes.»

Jeudi 18 mai 2017, une vente record

Après sa disparitio­n, les exposition­s de Basquiat fleurissen­t du Japon à Cuba. Les prix et les succès de vente augmentent année après année. Dernier record en date, le 18 mai 2017 : Sans titre, qui représente une grande tête noire sur un fond bleu, a été vendu chez Sotheby’s à New York pour 110,5 millions de dollars après plus de dix longues minutes d’enchères – le tableau avait été acheté en 1984 pour 19000 dollars. Selon Artprice, c’est l’oeuvre la plus chère pour un artiste né après 1945. Prêté par l’acheteur japonais Yusaku Maezawa, le tableau a été exposé au musée de Brooklyn, non loin du quartier de sa naissance.

 ??  ?? à droite, Untitled, Jean-Michel Basquiat par Andy Warhol, en 1982. 1982.
à droite, Untitled, Jean-Michel Basquiat par Andy Warhol, en 1982. 1982.
 ??  ?? septembre 2018
septembre 2018
 ??  ??
 ??  ?? ci-dessus, septembre 1985: Basquiat et Warhol posent ensemble en boxeurs. ci-contre, Jean-Michel Basquiat à Saint-Moritz, Suisse, en 1983.
ci-dessus, septembre 1985: Basquiat et Warhol posent ensemble en boxeurs. ci-contre, Jean-Michel Basquiat à Saint-Moritz, Suisse, en 1983.
 ??  ?? ci-contre, Untitled Boxer, En haut, Dos Cabezas,
ci-contre, Untitled Boxer, En haut, Dos Cabezas,
 ??  ??

Newspapers in French

Newspapers from France