Ma déclaration La lettre d’amour de Chris(tine and the Queens) à Michael Jackson
Alors que se prépare à Paris l’exposition «Michael Jackson, Wall» qui retrace On son influence the dans l’art contemporain, Vogue à une a donné artiste que carte l’idole blanche de la pop a tour à tour fascinée, déroutée et inspirée.
J ’étais allée me coucher avec ce qui me semblait être du dégoût – ce que j’avais confondu avec du dégoût – et il m’était impossible d’oublier la séquence frappante de ce documentaire sur Michael Jackson. Soir d’été en famille, jeune adolescente ; le ciel bleuissait à peine autour de vingt-deux heures; morphing spectaculaire de Michael à la télévision. En trente secondes, six visages ; de celui, poupin, du jeune gamin surdoué des Jackson Five jusqu’au tout dernier, fantomatique, yeux immenses et brûlants cernés de khôl. Morphing : passage stupéfiant d’un état à l’autre en quelques secondes ; métamorphose accélérée, donc violente, de celui qui s’est altéré jusqu’à devenir signe de son oeuvre. Le dernier visage laisse pointer l’os sous la peau; le cartilage menace de surfacer, nous sommes dans l’aprèshumain, dans l’au-delà de soi-même, comme s’il s’agissait de s’arracher à quelque chose qui n’aurait pas été choisi. Ce n’est pas du dégoût. J’y réfléchis, les yeux ouverts dans la nuit. J’ai vu une femme, j’ai vu un jeune Noir, j’ai vu le jeune homme triomphant, timide et incandescent, qui raccompagne jusqu’à la maison; j’ai vu un geste d’audace tragique qui en vérité m’excite profondément, et cette excitation m’effraie. Ah, le dégoût. Le déguisement subtil, tolérable, du désir qui dérange. Tous ces dégoûts qui ne sont que les promesses avortées de quelque chose d’autre: les lèvres tendues, la langue offerte. Michael, depuis la première fois où je l’ai vu arriver, a été un corps autant qu’un artiste, un corps divin en ce sens qu’il appelait sans cesse la transformation. Adolescence embarrassée avec un seul visage; Michael loup-garou puis petite frappe, Michael squelette puis femme de pharaon, Michael black and white ; Michael déjà hors du commun par la force du mouvement, un mouvement directement lié à la lumière. This is it, corps rachitique, menacé de disparaître, fragile sous la veste acérée qui semble vouloir compenser l’effacement ; derrière lui, des jeunes recrues en santé, fières et neuves. It’s all love, murmure-t-il, et son geste isole, crée le silence autour de lui ; son geste, venu d’un corps qui n’est que le souvenir de mille autres, est au-delà de la virtuosité, des idées terriennes de santé: ceux qui regardent s’illuminent et s’écartent. Les histoires que l’on m’avait lues dans la petite enfance étaient celles d’Ovide; des courses pour échapper à l’appétit de dieux polymorphes, dans l’éternelle ressource de la transmutation; ils seront une fumée, un taureau, un arbre, ils seront ce qui leur permettra d’aimer ce qui va mourir, cette chair tendre et offerte, car cette fragilité ils ne la connaissent pas, ils la veulent follement pour y trouver les émotions qui déchirent. L’immobilité c’est la mort ; dormir sur le dos, sans bouger, c’était être dans le cercueil. Le dieu descendu était fils du feu et d’un nuage, émancipé de la mathématique épuisante du gène. Morphing de Michael, mouvement de Michael : c’est l’eau qui file entre les doigts, le ruisseau après lequel je cours, très humaine, dans la limite de mes petits muscles. C’est l’idée de l’amour et de la perfection ; oh, comme cette idée a dû le rendre seul. Ce n’est pas un amour vain que d’aimer une idole. C’est même très sérieux, libérateur. C’est se choisir une appartenance qui déverrouille, qui donne de la force. Et cette fierté étrange qui est la nôtre, que l’on promène partout; et cette fougue qui nous surprend, lorsqu’il s’agit de défendre brusquement l’idole malmenée dans une conversation – comment pourraient-ils comprendre ? Michael c’est mon adolescence, vous comprenez rien, morphing cherché sur internet pour pouvoir le regarder de nouveau, jusqu’à plus soif, pour déconstruire ce dégoût magnifique et poignant qui ne me quittait pas, pour comprendre que ce n’était qu’une émotion qui faisait vaciller l’ordre établi des choses, puisque moi aussi, je voulais m’échapper. Timidité évanouie dans l’instant stellaire de la performance ; Michael avant de chanter, voix haut perchée, mains ramassées, grands yeux affamés ; puis Michael dans, dedans la performance, en son coeur brûlant, comme dans la réalisation incessante de sa propre puissance, monstre regardé depuis la petite enfance. Soirées en famille, les documentaires dans le poste, le commentaire ébahi et sceptique autour de l’apparition, Hollywood stories, l’histoire d’une déchéance, la maladresse inévitable de qui essaie d’expliquer, par approximations, raccourcis. Il y avait toujours une laideur dans ce qui tentait de digérer l’information Michael; je détournais un peu les yeux, parfois je partais avant la fin de l’émission, et mes parents changeaient de chaîne – c’était pour moi qu’on s’attardait sur les interviews curieuses, les images volées dans les hôtels, les enfants masqués, l’émanation bancale dans la foule, veste de soie colorée claquant au vent, signe de Michael sans que Michael ne soit trouvable nulle part. La mort elle-même n’a pas été une information valable pour beaucoup, qui cherchent fiévreusement l’énième métamorphose capable de faire mentir les journalistes – il est autre part, sous une autre forme, nous y sommes habitués, l’inverse n’est pas envisageable. Moi, j’ai regardé la civière sortir de l’hôpital, puis je suis rentrée pleurer à chaudes larmes, chaudes d’une chaleur qui m’était inconnue ; j’étais déjà amoureuse d’autre chose, à travers lui, grâce au geste qui fait sens, qui pointe une direction vers laquelle je cours, très humaine, dans des idées folles d’amour et de perfection.»
a été Michael un corps autant qu’un artiste,
un corps en ce sens divin qu’ il appelait sans cesse la transformation. — Chris(tine) and the Queens