Les rêves que vous faites
Saviez-vous que le créateur du chantier Bavaria était un fabricant de fenêtres ? Que le premier Tricat était une poussette à trois coques, le premier Dehler un petit dériveur né dans un cinéma ? Le premier Tofifinou un canot de 1928 à restaurer ? Les histoires de bateaux sont avant tout des histoires d’hommes, et dresser un panorama aussi complet que possible de la production nautique n’aurait pas grand intérêt sans ces 1001 anecdotes révélatrices de l’insolite, de l’inattendu qui les enchante. Prenez un port, une marina bien pleine du Var, du Morbihan ou d’ailleurs. Et dites-vous – c’est la réalité – que chacun de ces bateaux alignés comme à la parade est l’expression d’une idée, d’une volonté mobilisant pas mal de matière grise et beaucoup d’huile de coude. Ça donne déjà le vertige. Pensez enfifin à ce qu’il a fallu de compétence et de passion pour qu’un acheteur adhère à ce rêve fait par un autre, rêve de cabotage hédoniste pour l’un, de vitesse et d’embruns pour l’autre, mais toujours la quête d’une sorte d’idéal. Cette « poursuite du vent » qui, dans l’Ecclésiaste, est associée à la vanité ; c’est un peu dur. Je préfère le rêve : échappée belle de l’imaginaire, résurgence d’une part d’enfance dans une vie d’adulte... Or qu’est-ce qu’un bateau à voiles dans le monde de la consommation ? Un mauvais placement ? Sans doute. Un caprice de père de famille en mal de sensations fortes ? Peut-être. Mais c’est surtout, c’est avant tout un rêve rebelle. Une petite déclaration d’indépendance faite par des gens raisonnables au mépris de toute raison. C’est ça l’énergie primitive du nautisme, la grande inconnue – et parfois la grande absente – des équations échafaudées par les gourous du marketing. Au-delà des aléas de la consommation de loisirs, de la psychologie de magazine et de la sociologie de comptoir, le nautisme de demain est la somme des rêves que vous faites. Alors osons rêver, du cap Sizun au cap Corse en passant par la porte de Versailles, et bannissons les rêves médiocres : ce sont, paraît-il, les plus diffificiles à réaliser.