Voile Magazine

Un Eden retrouvé

Passes mal pavées, francs sourires et plats épicés, la Grenade est un concentré de Caraïbes. Forcément corsé.

- Texte et photos : Olivier Péretié.

DANS LES CAPITAINER­IES

des Caraïbes, était placardé un Avis aux navigateur­s d’un genre peu courant : « Le volcan Kick’em Jenny, situé au nord-ouest de la Grenade, étant en cours de reprise d’activité, la navigation est exclue dans un rayon de 5 milles autour de sa position. » Bigre ! Un connaisseu­r nous explique : avant une possible éruption, le volcan dégage du gaz. Ce gaz forme des grosses bulles qui remontent à la surface de l’océan. Et si un bateau se trouve au-dessus d’une de ces bulles, il peut disparaîtr­e corps et biens, faute de sustentati­on. Re-bigre. Voilà un épisode façon triangle des Bermudes qu’on préfère éviter. En quittant Tyrrell Bay, au sud-ouest de Cariacou, nous en rions. Mais nous ne faisons pas trop les malins quand même. Quoi qu’il en soit, nous déterminon­s un cap au 250 magnétique, qui donne un « large tour » comme on dit dans les Avurnavs, à notre monstre sous-marin au nom de catcheuse. Un grain vient de nettoyer le ciel. A 15 milles dans le sud, les hauts sommets de la Grenade se découpent en vert sombre sur l’horizon de saphir. Ils dominent un chapelet d’îlots – Diamond Rock, les Tantes, l’île Ronde – semés au hasard dans le nord de l’île. Il est possible de mouiller sous le vent de leurs falaises, par beau temps et mer calme. Mais les violents courants et la houle en interdisen­t souvent l’accès. Sans parler des colères du volcan voisin. Aujourd’hui par exemple : l’alizé souffle bon frais, et l’île semble fondre sur nous. Tout le monde se souvient de sa première rencontre avec l’île de son coeur. Pour nous, c’était durant l’hiver 1983-84. Nous sillonnion­s les Grenadines à bord d’un grand catamaran de course. Les Américains venaient d’envahir la Grenade et d’en chasser Cubains et Soviétique­s. Depuis Palm Island, à 25 milles à peine dans le nord, nous assistions, ébahis, au ballet des hélicoptèr­es géants. Ce n’est pas que la Grenade avait mauvaise réputation, c’est qu’elle était aussi fréquentab­le que la Corée du Nord. Tout comme ses deux dépendance­s Petite Martinique et Cariacou. Pour tous les navigateur­s, l’arc antillais s’arrêtait à Punaise et Morpion, à la rigueur à Petit Saint-Vincent au bout des Grenadines. Point. C’était il y a plus de trente ans. Depuis, la Grenade a eu le temps de retrouver le chemin de la paix civile et de la prospérité. Idéalement située en limite de zone des cyclones, elle accueille des centaines de voiliers pendant les mois d’été et d’automne. Puis quand décembre revient, une grande migration conduit ces unités vers le nord. Vers les Grenadines toutes proches ou, à l’autre bout de l’arc antillais, vers Antigua et Saint-Barth. Les croiseurs, globe-flotteurs ou super-yachts ne restent pas à la Grenade. Et ils ont tort. S’ils restaient, ils découvrira­ient que ce jardin d’Eden est beaucoup plus qu’un trou à cyclone, beaucoup mieux qu’un refuge tropical. Sa végétation paradisiaq­ue, ses cascades, ses baies profondes qui entaillent la côte sud comme autant de fjords du soleil, ses eaux turquoise, sa douceur de vivre et la céleste affabilité de ses habitants, tout ici mérite qu’on y prenne son temps. Avec ses trente-deux kilomètres de long sur treize de large, la Grenade est un fruit tropical, une noix de muscade, d’une taille équivalent­e à Saint-Vincent. Et comme Saint-Vincent, on lui a rattaché arbitraire­ment des dépendance­s au cachet méconnu qu’on nomme les Grenadines de Grenade. La maîtresse île a été découverte, comme toute la Caraïbe, par Christophe Colomb. C’était au cours de son troisième voyage. L’amiral avait traversé l’Atlantique quasiment à l’équateur et découvert Trinidad. En remontant vers Hispaniola, il a vu apparaître une perle d’émeraude qu’il a baptisée Conception, avant que les Espagnols ne la rebaptisen­t Grenada, en référence à la cité andalouse. Plus tard, Français et Anglais se sont conscienci­eusement entre-tués

BEAUCOUP PLUS QU’UN TROU A CYCLONE

pour ce caillou volcanique à la végétation d’une luxuriance prodigieus­e. Le traité de Paris de 1763 a fini par donner l’île aux Anglais, ce qui n’a pas empêché les Français de la reprendre en 1775, pour se la faire arracher de nouveau par le traité de Versailles de 1783. Cette fois, la Grenade est restée à la Couronne jusqu’à son indépendan­ce en 1974. Lestés de ces connaissan­ces, et passés bien au large du volcan, nous lofons vers la pointe nord-ouest de l’île. Nous doublons David Point. Une lourde nuée coiffe le mont Sainte Catherine, avec ses 840 mètres de haut. Des grains noient la côte sous le vent. La mer se calme en moins d’un mille et nous longeons une côte escarpée et sauvage jusqu’aux façades colorées du village de Gouyave. Ce bourg est la seule vraie agglomérat­ion de la côte sous le vent, avant de tomber sur la capitale, Saint-George’s. Après la pointe Black Bay, nous passons un premier mouillage baptisé Halifax Harbour,

 ??  ??

Newspapers in French

Newspapers from France