ARMEL LE CLEAC’H, LE METRONOME BRETON
Une surprise, la victoire d’Armel ? Non, cent fois non. Pour moi, il était l’ultime favori, même si une épreuve de 24 000 milles s’accommode mal de pronostics. Cette évidence s’est imposée à notre arrivée dans le port de Saint-Malo. Avec Pierre-Emmanuel Hérissé dit P.E., Yannick Kernec, chargé de l’informatique, et Yvon Joucla, du gréement, nous venions de partager, à bord de Banque Pop, 24 heures musclées du quotidien d’Armel. Du louvoyage par 30 noeuds de vent reél, le pire pour un IMOCA, qui venait mettre un terme à un long bord au débridé, foil sous le vent en action. Evidemment, impossible d’occuper le cockpit. Armel nous l’avait interdit. Et encore moins les passavants soumis à des vagues d’embruns ininterrompues. Seul poste d’observation possible, l’intérieur de la coque où les chocs du carbone dans la mer avaient quelque chose de terrifiant. Pour tout vous dire, c’est durant ces longues heures que j’ai eu comme une révélation. La certitude que ce père de famille de quarante ans allait gagner cette édition après deux deuxièmes places en 2008 et 2012. Il ne manoeuvrait pas seulement comme un métronome, rien ne semblait l’atteindre. Surtout pas les trombes d’eau arrivant en jets continus dans le cockpit. Du raz de Sein jusqu’à Saint-Malo, il aurait pu se contenter de ne tirer qu’un seul bord. C’était mal le connaître. Lui l’a joué comme dans un Figaro, en composant avec les courants. Douter de sa victoire quand Alex Thomson, sur la fin du Vendée, lui collait aux basques ? Moi, jamais. Je savais qu’il était indestructible. Comme taillé dans le granit de sa chère Bretagne. Qu’il avait le mental d’un Terminator. Pourtant, c’est avec un garçon réfléchi, bien dans sa tête, bon père de famille au sens noble du terme, que nous avions discuté tous les deux dans le port de Saint-Malo. Peu disert ? Certainement pas. Mais attaché aux mots, comme l’était un Tabarly ou aujourd’hui un Francis Joyon. C’est bien ainsi. Ne change rien Armel. Il est vrai que j’avais eu droit, il y a quatre ans, sur son précédent Banq Pop, à une petite engueulade. J’avais tenté, lors d’une opération de matossage, de l’aider du bout des doigts. Mal m’en avait pris. Ce fut pour moi une bonne leçon et la preuve que ce gars-là était un jusqu’au boutiste. Capable de puiser au plus profond de lui pour bien faire son métier. Et puis il y a l’équipe qu’il a composée autour de lui avec qui j’avais passé une journée sur la base de Lorient, des jeunes gens d’une compétence à l’égale de leur gentillesse. Toujours prêts à répondre à vos questions, soudés autour d’Armel. Prêts à tous les sacrifices pour se mettre au service du marin. Une dream team, complétée par Chantal Petrachi, Madame communication de la Banque Populaire, dont l’efficacité rime avec la simplicité. Alors oui, la victoire d’Armel ne m’a pas surpris. Elle était déjà inscrite avant le départ des Sables d’Olonne. « Seule la victoire est jolie » écrivait le regretté Jean Noli en préfaçant le livre de Michel Malinovsky au terme de la première Route du Rhum. Celle d’Armel n’est pas seulement jolie, elle témoigne de l’engagement d’une vie. Bernard Rubinstein