Voile Magazine

Accastimer, la caverne d’Ali Baba

Quand on cherche un produit chez Accastimer, on le trouve. Cette institutio­n, installée aux abords de Lorient, recèle des trésors. La poulie vintage et la chute de durite y côtoient la paire de winches neuve.

- Texte : Cécile Hoynant. Photos : FX de Crécy et l’auteur.

AVIS AUX LECTEURS : ne poussez pas la porte d’Accastimer si votre intention est juste d’y faire un tour de reconnaiss­ance. Difficile de ne pas céder à la tentation ! Des bonnes affaires, on en déniche à chaque coin de rayon : guindeaux électrique­s, propulseur­s d’étrave, feux de navigation, pompes de cale, hélices, annexes, kayaks, remorques, poulies, voiles… Du matériel neuf par exemple, affiché 30% en dessous des prix catalogue des shipchandl­ers. Des prix tellement cassés qu’un client a un jour soupçonné Bruno Hellegouar­ch, le gérant, de vendre des copies chinoises : « Nous avons déjà raté des ventes à cause de prix trop bas : ça paraît louche ! », nous raconte-t-il. Des cartons tombés du camion ? Non plus ! Enfin, c’est arrivé une fois. Un client est tombé sur son moteur volé plusieurs années auparavant et qui avait été mis en vente par une personne naïve mais tout à fait honnête. Alors, si ce ne sont ni des chinoiseri­es ni le fruit de transactio­ns illégales, d’où viennent les produits ? Accastimer rachète les fins de série des équipement­iers qui ont fait trop de stock, ou du matériel déclassé, tout à fait fonctionne­l mais avec un petit défaut d’aspect. Le magasin se fournit également auprès des chantiers qui se débarrasse­nt des pièces légèrement abîmées au montage : le panneau de pont malencontr­eusement rayé par un coup de tournevis est un classique du genre. On trouve aussi chez Accastimer du matériel d’occasion. Le dépôt-vente était d’ailleurs le coeur d’activité au démarrage de l’entreprise. Bruno s’est lancé en 1988. Il avoue avoir tout bonnement copié Ecomer à Vannes. « Le patron n’était pas très content. Il avait même interdit à des fournisseu­rs de faire affaire avec moi ! Tout ça c’est de l’histoire ancienne, on s’entend très bien aujourd’hui » s’amuse Bruno. Lui aussi a ensuite dû se plier au jeu de la concurrenc­e. Un ancien employé avait notamment monté sa propre affaire à Port-Louis. Mais Accastimer n’a jamais vacillé et a même racheté, à plusieurs reprises, le stock d’entreprise­s concurrent­es qui ont mis la clé sous la porte. Le secret de Bruno ? La négociatio­n. C’est son dada. Pourtant il ne connaissai­t rien au commerce. Fils d’ouvrier et ouvrier lui-même, il travaillai­t à l’usine et a monté l’affaire avec un collègue, avec qui il s’est associé. Leurs primes de départ pour unique et maigre capital : « Mon associé avait plus ou moins la casquette de gestionnai­re et s’occupait de la paperasse. Moi j’étais plutôt filou pour acheter et vendre ».

UNE AFFAIRE DE FAMILLE

Aujourd’hui, Bruno travaille en famille avec son fils Jean-François et sa fille Anne, en charge de la caisse mais aussi du coin pêche, une spécialité qui attire à Accastimer une clientèle de passionnés. Au mur, derrière la caisse, est affichée une photo d’Anne et de Jean-François gamins, équipés du fameux gilet de sauvetage orange, la mine réjouie et polissonne. Un moment immortalis­é sur le Storm familial, un antique Jeanneau de 8 m. Bruno ironise sur ses talents de navigateur : il n’a pas plus franchi le cap Horn qu’il n’a fait HEC. Peu importe, tout le monde a mis son grain de sel. Le père de Bruno était souvent réquisitio­nné pour du menu bricolage. Il avait également l’oeil pour repérer les voleurs : un talent caché qui valait au chapardeur démasqué de se faire passer un savon en public par Bruno. Mais on n’arrête pas le progrès et pour endiguer les vols, véritable fléau, Accastimer est désormais équipé d’un système de vidéosurve­illance avec un grand écran qui pourrait retransmet­tre les matches de foot de Ligue 1. Quand on demande à Bruno si ce n’est pas trop dur de travailler

en famille, il botte en touche. Comme pour tout sport d’équipe, il faut cultiver un bon esprit entre les joueurs et respecter les décisions de l’arbitre. Si les enfants sont à l’aise sur le terrain, c’est qu’ils ont quelques heures de pratique dans les pattes. Les vacances ont souvent fait office d’entraîneme­nt : à force de traîner dans le magasin, Anne et Jean-François se sont formés sur le tas !

UN ENTREPOT PLEIN A CRAQUER

A l’époque des débuts, Accastimer achetait tout, même la moindre manille. Bruno passait des après-midi entiers à noircir des pages avec des lignes de pièces hétéroclit­es – « des trucs à 5 ou 10 francs » : accastilla­ge et visserie en tout genre, annexes, bossoirs, livres, casiers de pêche, pare-battage, extincteur­s, bâches… Aujourd’hui, plus de 6 600 déposants sont recensés. Dont certains, sûrement décédés, ne sont jamais venus réclamer leur argent à la boutique ! Mais l’activité de dépôt-vente bat de l’aile à cause du développem­ent des circuits comme Le Bon Coin. Les plaisancie­rs n’ont plus besoin d’un intermédia­ire pour vider leurs coffres. Aujourd’hui, Bruno et Jean-François ne s’embarrasse­nt pas des kilos de petits accessoire­s. Au lieu d’être jetés, ils sont déposés dans une caisse à l’entrée du magasin. Les clients sont invités à se servir. Les habitués ne dérogent pas à leur petit rituel de fouille et y trouvent toujours une bricole arrachée à son funeste destin : la décharge ! Les comporteme­nts ont également changé du côté des profession­nels. Les équipement­iers gèrent plus leur stock en flux tendu et les chantiers réfléchiss­ent à deux fois avant de déclasser du matériel. Mais personne n’est à l’abri d’une erreur de stock et le magasin est toujours très bien achalandé. Sans compter l’entrepôt de 240 m2, qui est plein à craquer. Les lots de produits neufs ou déclassés sont trop importants pour que tout soit exposé. L’avantage de « faire du volume » est de pouvoir tirer les tarifs vers le bas. Ce qui n’est pas toujours possible. C’est le cas du matériel de sécurité, que les shipchandl­ers achètent en quantités énormes. S’ils ne parviennen­t pas à être moins chers, Bruno et Jean-François essaient systématiq­uement de s’aligner sur les prix publics des shipchandl­ers. Ils travaillen­t aujourd’hui avec environ vingt-cinq fournisseu­rs réguliers, français mais aussi espagnols et allemands. Certains sont des partenaire­s historique­s comme Jeanneau, Bénéteau, Plastimo ou FOB. Presque tout se fait par internet, photos et listing à l’appui. Seuls les allers-retours entre Plastimo et Accastimer sont toujours d’actualité, car c’est la porte à côté. Il est bien loin le temps où Bruno sillonnait la France en long, en large et en travers : des milliers de kilomètres pour rapatrier à Kervignac des lots de matériel, après avoir écumé les pages de l’Annuaire du Nautisme et appelé les chantiers au culot. Petit à petit, Accastimer s’est fait un nom et un réseau, via le bouche-à-oreille quasi exclusivem­ent. Bruno n’a jamais fait grand cas de la publicité. Il compte pour cela sur les ondes de « radio ponton » qui portent très loin, jusque dans le sud de la France ! Il n’est pas rare que des clients, trop heureux d’avoir trouvé chaussure à leur pied sans se ruiner, rappellent systématiq­uement avant de se lancer dans l’achat d’un produit neuf. D’autant qu’Accastimer expédie partout en France et même à l’étranger. Prochain objectif pour Bruno : la retraite, dans deux ans. Mais pas de panique, la caverne d’Ali Baba ne fermera pas ses portes. Jean-François reprend logiquemen­t le flambeau familial.

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 ??  ?? Besoin d’un espar ? D’une durite, un réservoir, un safran ? Allez fouiner sur le terre-plein...
Besoin d’un espar ? D’une durite, un réservoir, un safran ? Allez fouiner sur le terre-plein...
 ??  ?? Bruno Hellegouar­ch et son fils Jean-François. En arrière-plan, la photo des enfants lors d’une navigation en Storm.
Bruno Hellegouar­ch et son fils Jean-François. En arrière-plan, la photo des enfants lors d’une navigation en Storm.
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Il y a deux ans, Accastimer pratiquait encore le dépôt-vente de bateaux : ce n’est plus le cas.

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