En famille sur le First 210
Pour la plupart des marins, ce bout de terre préservée sonne comme le Graal de la croisière, le top du top en matière de cabotage. Eaux turquoise, pinèdes intactes, c’est la carte postale de la Méditerranée. Même en plein été ? C’est ce que nous avons vou
SACREE GRANDE BLEUE!
A peine en a-t-elle terminé avec le mistral – et de nombreux incendies sur les côtes – qu’elle nous annonce de l’est. Certes, moins fort que la grosse cartouche d’ouest-nord-ouest des jours précédents, mais 25 noeuds quand même. Coup de chance, ce n’est pas pour tout de suite… Pour l’heure, nous voilà en plein déchargement de la voiture sur le port de Sanary. C’est dans ce charmant port tout proche de Bandol que démarre notre aventure car le First 210 nous attend aux Embiez, l’île achetée et aménagée par Paul Ricard. Vingt minutes de navette plus tard, nous voilà posés avec tous nos sacs au beau milieu des deux bassins du port – 750 places tout de même. Bon, il est où le 210 Voile Mag ? La capitainerie, qui a les clés du bateau, nous donne l’info : « Il est juste en face, tribord de l’entrée du port ». Ah oui, on la voit, la petite coque blanche et rouge… à portée d’annexe. Un trajet super court sur l’eau mais quinze fois plus long à pied. Bon, nous sommes quatre, nous faisons des pauses à l’ombre des palmiers et des lauriers fleuris, et comme la canicule est presqu’en place, nous promettons une baignade aux enfants. Rapide inventaire (trop rapide, au final, on n’a pas tout trouvé !) et mise en route du bateau pour commencer. Je m’intéresse tout particulièrement au 6 ch Suzuki, lequel avait causé quelques soucis au précédent équipage ; le mécano est passé et le moteur semble tourner rond. On enchaîne avec l’avitaillement et nous voilà presque prêts alors que le soleil disparaît sous l’horizon. J’imagine un instant appareiller de nuit car le vent d’est faiblit… C’est que nous avons 20 milles en route directe avant de rallier Porquerolles – pile à l’est. Mais la météo me convainc finalement de décoller un plus tard, dès potron-minet. Avant de se renforcer pour de bon, le vent devrait en effet être faible – d’est toujours – et même nous gratifier d’un peu de sud maniable dans l’après-midi. Pour dormir dans de bonnes conditions à quatre, nous adoptons le conseil de FX (François-Xavier, le rédac chef de Voile Mag) : tous les sacs à l’arrière du cockpit, bien protégés par notre taud. Je peste un peu contre ces foutues béquilles qui ne servent plus à grand-chose depuis La Rochelle, mais bon, je ne vais pas les abandonner sur le quai ! Les amarres sont larguées un peu avant 6 heures. Mer d’huile, pas un bateau sur l’eau. Je me dirige d’abord vers l’est-sud-est, au plus court, avant de réaliser qu’il n’y a que 20 cm d’eau côté continent. Merci la cartographie sur tablette ! Le temps particulièrement calme permet de partager un solide petit-déjeuner.
La grand-voile est hissée et le Suzuki ronronne, c’est parti pour la croisière. Et pour mes deux équipières et mon équipier, c’est une première ! Mon idée est de doubler au plus vite le cap Sicié ; la zone est bien connue pour être difficile et exposée – clapot court et vent accéléré. Les premiers revolins nous cueillent d’ailleurs sous l’imposante falaise. Le génois est déroulé ; nous enchaînons les virements de bord sur une eau encore toute plate. Juste au pied du cap, nous avisons un curieux bâtiment littéralement enchâssé dans la roche ; il s’agit d’Amphitria, une station d’épuration d’eaux usées ultra moderne – et discrète. Un tunnel de 1 200 m permet d’y accéder et l’usine est protégée de la chute de pierres par 30 000 pneus de camions recyclés…
NOTRE PETITE COQUE JOUE A SAUTE-MOUTON
Devant notre étrave, deux aiguilles émergent à plus de 30 mètres de la surface : il s’agit des Rochers des Deux-Frères. Nous rasons les corps-morts (20 à 30 mètres de fond) qui permettent d’y faire un petit stop. Sous le soleil, Porquerolles se dessine déjà. Toulon, sur bâbord, se détache du relief. J’opte plutôt pour des bords vers la gauche du plan d’eau, côté terre, pour profiter au mieux de l’abri de la presqu’île de Giens. Car le vent rentre et… le clapot aussi ! Mon équipage s’amuse plutôt des embruns (tièdes) et de notre petite coque qui joue à saute-mouton, tant mieux. Premier mouillage tout au nord-ouest de la presqu’île, entre l’île de la Redonne et l’île Longue. Beaucoup de bateaux à l’ancre, mais en relevant la quille, on parvient à se frayer une petite place dans un mètre d’eau. Notre mouillage est stocké dans une panière en plastique, faute de baille ad hoc – le First 211 et ses successeurs en ont une, eux ! L’eau est claire, mais ce n’est pas encore le turquoise carte postale promis. Quelques plaisanciers nous saluent ; il est drôlement connu, notre 210… Après une baignade et un repas, nous remettons le moteur en route et là, surprise, le Suzuki s’emballe alors qu’il est embrayé en marche avant lente. Verdict : hélice dénoyautée… Nous voilà avec à peine 20% de la puissance disponible. Bienvenue en mode dégradé, familier des pilotes d’avions… et des marins ! Le vent prend de la droite et s’établit à 12/13 noeuds. Des conditions parfaites pour tirer quelques bords à raser les calanques de la presqu’île et s’offrir une incursion au port miniature du Niel. Une heure plus tard, nous approchons de la baie du Langoustier, tout à l’ouest de Porquerolles. Ici, l’eau est bien translucide, mais les bateaux se comptent par centaines. Eh oui, nous sommes le 29 juillet ! Et la zone de baignade, très étendue, ne nous permet pas de nous approcher de la côte. Nous découvrons également que l’île, intégrée au Parc national de Port-Cros, impose une réglementation très stricte des mouillages – moteur ou pas, taille du bateau, récupération des déchets –, et ce surtout pendant l’été. Nous poursuivons donc notre route vers le cap Rousset, moins fréquenté et bien abrité. Premier bain à Porquerolles. Je profite de cette pause pour refaire le plein de la nourrice avec les deux bidons de secours – mal m’en a pris, le moteur, en plus de s’emballer dès qu’il prend des tours, ne cesse de caler ! Sans doute l’essence a-t-elle tourné… La météo confirme que le vent d’est va souffler, et fort. Nous nous dirigeons donc, cahin-caha, vers le port. Nous sommes même sur le point d’être pris en remorque par un des pneumatiques qui accueillent les plaisanciers quand le Suzuki a la bonne idée de reprendre du service. Il est encore assez tôt – 16h30 –, la capitainerie nous propose une place en bout de ponton, ce qui m’arrange bien pour la manoeuvre avec un moteur capricieux. Moins de 20 euros avec eau (sous restriction, sécheresse oblige) et électricité, c’est presque cadeau. Et puis cette place présente un avantage : elle est reconductible plus qu’elle n’est pas une vraie place ! Second bonus : le 210 siglé Voile Mag est bien visible, ce qui nous vaut deux visites bienveillantes… Celle de Thibault, qui travaille à la capitainerie. Ce jeune fan de l’aventure du 210 nous livre tous les secrets de l’escale. Et puis une barge en alu – celles des plongeurs qui bossent pour le port – nous fait un petit coucou : aux manettes, un grand gars dégarni suit la saga 210 de près ; il nous recommande de rendre visite à l’Atelier de Sabine – je comprendrai plus tard que ce conseil avisé est celui du compagnon de l’artiste. A terre, nous découvrons le charmant village de Porquerolles. C’est l’heure où les touristes repartent en bateau – ils sont 15 000 par jour en cette saison, à comparer aux 200 habitants à l’année ! L’île retrouve donc le soir un semblant de quiétude autour de sa grande
place en terre battue. Dans la soirée, le vent monte sans crier gare. Les drisses claquent – nous les écartons du mât – et les haubans sifflent. Sacrée Méditerranée ! Dans le mouillage de la plage de la Courtade, les voiliers les plus proches de l’enrochement du port sont contraints à trouver un meilleur abri. Pour notre part, nous sommes bien amarrés face à l’est, et la nuit est pour nous confortable. Le lendemain, toujours 6 Beaufort bien établis. Va pour un tour à vélo, histoire de reconnaître les meilleurs mouillages quand le temps sera redevenu clément. Je découvre une rue où cinq des treize loueurs de bicyclettes sont concentrés. Cette allée pentue, ils l’autoproclament d’ailleurs « la rue de la pédale »… On vous laisse imaginer comment ils appellent la rue perpendiculaire qui rassemble les glaciers !
NOUS TENONS NOTRE MOUILLAGE DE REVE
Me voilà équipé d’un VTT pour la journée. Au cours de mes pérégrinations, je retiens deux spots où il est possible d’approcher le 210 au plus près de la plage : l’anse du Parfait, tout à l’ouest de l’île – c’est là que se trouve le fameux mas du Langoustier – et le nord de la baie d’Alycastre. Sabine, qui connaît l’île comme sa poche, me confirme ces choix même si, pour elle, le plus beau mouillage est celui de l’Aiguadon, sur la côte nord. Je les ai bien remarquées, cette mini-plage et son eau turquoise vif… mais elle me semble très courue en cette pleine saison. Ce sera de toute façon pour demain : le vent faiblit enfin l’après-midi. Cette fois-ci, même s’il manque toujours cruellement de pêche, le moteur ne cale plus. De toute façon, le génois est déroulé fissa ; encore quelques claques à 20 noeuds et quelques bords histoire de s’amuser un peu et nous voilà à un demi-mille du cap des Mèdes, zone où le mouillage est interdit – sauf aux bateaux de plongée. Quille relevée – je redescends 7/8 tours de manivelle, histoire de ne pas rester tanqué – et safrans relevés, nous amorçons une lente marche arrière jusqu’à la plage de Notre-Dame. Le voilà, notre mouillage de rêve ! Oui, il est possible de goûter aux délices de Porquerolles, même en plein été. Les enfants, armés de masques, sont ravis de traquer les poissons. Et à l’heure du goûter, un bateau-glace (un Optimist équipé de glacières) a la bonne idée de nous rendre visite. Bref, une journée parfaite ! Il est temps de regagner Hyères, port où le 210 accueillera son prochain équipage pour de nouvelles aventures – après une réparation de son moteur. La traversée commence par de jolis surfs grâce au fond de houle d’est, mais le vent finit par nous lâcher au beau milieu de la rade. Arrivés à Hyères, où le loueur Apaca nous a réservé une place de cata de 45 pieds, nous mesurons mieux les effets de la canicule - 28°C au plus frais de la nuit. Ah, la douceur des îles…