Voile Magazine

Qui sont les filles de la Mini ? Portraits croisés

Elles sont ingénieure, étudiante, consultant­e, chercheuse ou officier de Marine marchande… Elles ont entre vingt-trois et cinquante ans et ont pris le départ de la Mini-Transat début octobre. Portraits croisés de dix femmes qui assurent.

- Texte et photos : Sidonie Sigrist

C’EST UNE PREMIERE

dans l’histoire de cette course au large : dix femmes sur 81 participan­ts ont coupé la ligne de départ le 1er octobre. C’est surtout une première aventure au large pour la plupart d’entre elles. Sur les pontons du bassin des Chalutiers, une semaine avant le départ, il faut se frayer un chemin entre les sacs de voiles, les boîtes à outils béantes et éviter tout ce petit monde qui va et vient avec entrain. Tous les concurrent­s doivent honorer une myriade de contrôles – voiles, pharmacie, matériel de sécurité… – tout en finissant de préparer leur bateau avant le grand bain atlantique. Se retrouver à La Rochelle semble être une première victoire tant l’inscriptio­n à la Mini-Transat est un long projet, qui se mûrit, se construit. Ce sont des mois, voire des années, de préparatio­n en amont, des grands écarts entre sa vie profession­nelle, personnell­e et son envie viscérale de prendre le large, de voir ce que l’on vaut, solo, sur l’eau. Et puis il faut dégager du temps, beaucoup de temps, pour les entraîneme­nts, déjà, et tous les à-côtés chronophag­es, de l’établissem­ent d’un budget avec recherche de sponsors – les sacro-saints partenaire­s –, à l’équipement et l’entretien du bateau, sans oublier les courses et les navigation­s de qualificat­ion. Comme leurs concurrent­s masculins, les dix femmes que nous avons rencontrée­s ne sont pas toutes nées à la barre d’un voilier. Il y a peu, la plupart ignoraient tout des minis 6,50 m avant qu’ils ne fassent gîter leur vie. Marta Güemes s’est mise à la voile sur le tard, à vingt-quatre ans, abstractio­n faite des quelques bords tirés en Optimist à l’âge de raison. Un virus fulgurant. Elle s’arrête de travailler un an et signe aux Glénans pour un bénévolat longue durée. Elle se forme entre les côtes bretonnes et les rivages irlandais. Puis le mini est entré dans sa vie. On lui parle de ce petit bolide, de l’esprit convivial et solidaire qui anime cette classe et surtout de cette aventure ouverte aux amateurs plus ou moins éclairés. Elle achète son Pogo 2 il y a deux ans, presque pour voir. « A l’époque, je n’avais jamais fait de solitaire, je voulais juste apprendre à naviguer sur un bateau performant. » Elle se découvre un esprit de compétitio­n, une envie de gagne qui la tient éveillée, les nuits de course, pour régler ses voiles. La voilà aujourd’hui en train de bricoler son panneau solaire, à quelques jours de sa première transatlan­tique. De l’autre côté du ponton, Camille Taque, trente-deux ans, s’affaire à réparer ses toiles de matossage. Elle aussi est passée de la croisière à la course au large, comme on passe du port au mouillage. Après des années en tant qu’équipière confirmée sur des croiseurs, elle découvre ce mini à grandes sensations. « C’est la claque ! Je découvre un bateau hyper puissant, facile à manoeuvrer, et qui glisse… ». Cette paysagiste urbaniste se dit qu’elle n’a pas le profil ni le niveau. Mais voilà, essayer un mini, c’est semble-t-il l’adopter. Elle achète un Pogo 2 en copropriét­é et boucle sa qualificat­ion à bord. Elle doit finalement changer de monture, un an avant le départ.

Obstinée, la jeune femme repart à zéro sur un proto, le numéro 791, construit en lin et carbone, un plan de 2010 signé Julien Marin et skippé par Thibault Reinhart, porté par les alizés en 2011. Un nouveau challenge dans le challenge. En un an, la skipper du désormais

Foxsea Lady a dû se requalifie­r sur ce proto qu’elle juge plus technique et plus physique, mais surtout, se pencher sur l’équipement et l’électroniq­ue pour remettre le tout à la hauteur de l’Atlantique. Il faut une sacrée dose d’endurance et un certain sens du compromis pour mener à bien cette aventure. Pourtant, on jurerait que la préparatio­n se fait sans douleur en visionnant les vidéos postées par certains ministes. A l’instar de Clarisse Crémer, plus connue sur les réseaux sous le pseudo Clarisse sur l’Atlantique. Elle a fait un carton en ligne avec ses clips, un savant mélange de ton amical et d’autodérisi­on. On la suit depuis deux ans à terre comme à bord de Pile Poil, son Pogo 3.

UNE DES BIZUTHS LES PLUS SUIVIES

Derrière les bons mots et une bonne maîtrise des nouveaux codes de la représenta­tion 2.0, la skipper TBS est devenue l’une des bizuths les plus suivies des « série ». Elle est pourtant entrée dans ce circuit il y a deux ans, dans le sillage de son compagnon Tanguy le Turquais, qui a brillé en 2015 à la 3e place en série. Elle est donc partie avec une idée assez précise de l’investisse­ment que requiert l’aventure, comme du plaisir et de l’adrénaline qu’elle procure. Après avoir cumulé les milles en course et en entraîneme­nt, elle a peu à peu gratté des places au classement et décroché la première place sur la Transgasco­gne. Pas question de crier victoire pour autant. « C’était un format que je connaissai­s, ce pour quoi je me suis entraînée depuis deux ans. La transat, ce sera une autre histoire ». Pilar Pasanau, pour sa part, n’en est pas à sa première traversée. Cette Espagnole de cinquante ans est la seule récidivist­e des dix concurrent­es de cette édition, avec deux projets Mini-Transat dans son sillage. Deux projets et une transatlan­tique : elle a dû abandonner en 2015 suite à une avarie de pilote. Cette année, elle est partie sur l’un des plus vieux protos de la flotte, un plan Lombard de 1999, sans avoir une ambition de classement de tête. « Je veux faire une meilleure course qu’en 2011, je veux donner une meilleure version de moi-même et retrouver cet état un peu bestial, instinctif que j’ai en mer ». Devenir ministe, c’est aussi embrasser un certain grain de folie dans sa vie. Charlotte Mery acquiesce : « C’est vrai qu’il faut être un peu fou sur ce circuit, parce que rationnell­ement, ce projet ne tient pas ! C’est dur sur tous les points, on s’endette, on navigue sur des bateaux inconforta­bles qui mouillent… ». Etudiante en communicat­ion

à Sciences-Po, elle a mis ses études entre parenthèse­s pour embarquer sur son proto, un plan Bertrand de 2011. Elle a des notions de compétitio­n après des années de 470 à haut niveau. L’image de Thomas Ruyant à son arrivée à Bahia en 2009, son émotion, sa victoire, tout ça l’a décidé à l’adolescenc­e. Un jour, elle fera sa Mini. Et après ? Que se passe-t-il une fois que ce « projet » est arrivé sur l’autre rive de l’Atlantique ? Tous les ministes n’ont pas l’ambition ou la vocation de Thomas Ruyant. La plupart des navigatric­es sont d’abord venues chercher l’aventure, cet « exhausteur de sensations » comme le dit joliment Agnès Ménut, pharmacien­ne de formation et skippeuse d’un Pogo 2 pour l’occasion. D’autres espèrent un bon résultat qui ouvrirait, qui sait, des portes dans le milieu très fermé de la course au large. La fameuse école de la Mini. Estelle Greck, vingt-sept ans, marin à la vie et skipper d’un Pogo 2 à la transat, envisage trois options : repartir sur le circuit mais cette fois-ci en Pogo 3 ou en proto, faire le Tour de France à la Voile ou bien se lancer sur le circuit Figaro. « Il n’y a pas vraiment d’autres options en termes de petit budget ».

10% DE FEMMES, C’EST LA MOYENNE…

Pilar Pasanau a des idées autrement plus ambitieuse­s : la Barcelona World Race en 2018 et le Vendée Globe en 2020. Charlotte Mery fermera la porte de la course au large, même si elle a su démontrer un certain talent en mer. Clarisse Crémer la laisse pour l’instant entrouvert­e, cette porte, sans se risquer à donner des détails. Quoi qu’il advienne, ces dix femmes, avec leur opiniâtret­é et leur talent, tordent le cou à ce bon vieux mythe qui réserverai­t la pratique de la voile et de la compétitio­n aux hommes. Nos interlocut­rices n’ont pas eu le loisir de philosophe­r sur l’épineuse question de la faible représenta­tion des femmes dans la course au large. Certaines semblent étonnées qu’on leur pose la question. Elles sont sur le départ, après tout. Nolwenn Cazé, skipper d’un Pogo 2, n’est pas surprise. Officier de la Marine marchande sur des navires câbliers, elle s’est habituée à évoluer dans un milieu masculin. Tout comme Estelle Greck, qui précise : « 10% de femmes c’est la moyenne dans le milieu maritime, on est dans les clous ». Marta Güemes évoque la photo jaunie de son premier stage d’Optimist. Elle compte trois ou quatre filles pour vingt garçons. « Ça doit partir de là, de l’incitation à faire de la voile quand on est jeune. Peut-être que l’on encourage davantage les petits garçons à naviguer au début. » Lina Rixgens, la benjamine du groupe (vingt-trois ans), souligne au contraire la progressio­n des inscriptio­ns féminines. « En 2015, elles étaient quatre au départ. Cette année, nous sommes dix. C’est un début. » Clarisse Crémer n’a pas d’avis tranché. « Les femmes se mettent-elles des barrières ou la société les contraint-elles ? » Elle reste persuadée que « plus il y a de femmes, plus il y en aura. » Il n’empêche que parfois, il faut négocier des stratégies à bord. Marta Güemes explique : « Mon bateau est toujours au clair. J’anticipe toutes les manoeuvres et toutes les galères que je pourrais avoir pour ne pas me retrouver dans une situation où je devrais recourir à la force, que j’ai moins. » Toutes s’opposent en revanche à l’éventualit­é d’un classement féminin comme piste pour encourager la féminisati­on du milieu. Elles aiment justement se mesurer, d’égale à égale, aux autres concurrent­s. Même plan d’eau, mêmes bateaux, mêmes contrainte­s. Et même podium.

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 ??  ?? Contrôle des voiles, de l’équipement de sécurité, de la pharmacie... Tout y passe à J-7 du départ.
Contrôle des voiles, de l’équipement de sécurité, de la pharmacie... Tout y passe à J-7 du départ.
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 ??  ?? Pour mener à bien un projet de Mini-Transat, il faut une bonne dose d’opiniâtret­é et un sacré mental.
Pour mener à bien un projet de Mini-Transat, il faut une bonne dose d’opiniâtret­é et un sacré mental.
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Derniers préparatif­s avant le départ.

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